Christian Jeanpierre, l'air de rien
L'éviction annoncée de "CJP" par son employeur de toujours, TF1, lui vaut enfin un peu d'indulgence. Offrons-lui un bout de rétrospective.
Le processus est inévitable s'agissant des commentateurs qui ont durablement accompagné une époque, sur telle ou telle chaîne: quelle que soit l'exaspération qu'ils ont pu nous faire ressentir, on finit avec une sorte d'attachement pour eux, parce qu'ils incarnent une époque.
La nostalgie n'a pas bonne mémoire, mais elle a le mérite de nous faire retenir les bons moments. C'est ce que l'on ressent au moment où TF1, selon L'Équipe, s'apprête à annoncer la fin de sa collaboration avec Christian Jeanpierre, déjà débarqué de Téléfoot et des commentaires de l'équipe de France par Grégoire Margotton.
À charge et à décharge
Le paradoxe est que ce second voire troisième couteau, qui jouait – avec Vincent Hardy, Frédéric Jaillant et Pascal Praud – les auxiliaires dans le Téléfoot de Thierry Roland, a finalement eu un destin inattendu.
Voué, au mieux, à rester comme le présentateur de la séquence "Les z'insolites" ou la voix off de maintes et périssables cassettes VHS, le décès de Thierry Gilardi lui valut de monter en première ligne et de devenir la "voix des Bleus". Mais il n'en aura jamais acquis la légitimité.
Au micro des matches de l'équipe de France (football et rugby confondus), son invraisemblable candeur est passée pour de l'incompétence. Ici, on l'a qualifiée de niaiserie (ce qui nous a valu les imprécations de Denis Brogniart) tout en rappelant la difficulté du métier de commentateur. Plus tard, on a même plaidé en la défense de CJP.
Face à l'école de la malveillance, dans laquelle quantité de commentateurs contractent la larquéïte, l'enthousiasme jeanpierrien, est, à tout prendre, infiniment moins néfaste. Même s'il fallait subir ses doudous (Léomessi, Titihenry ou Saméto), il était "le serviteur d'un sport heureux où l'on ne se fâche avec personne", avions-nous écrit.
Années de plomb
Christian Jeanpierre s'était déjà acquis une postérité avec son "corner intéressant". Mais, pour l'histoire, il a atteint son sommet lors d'une Coupe du monde 2010 décidément inoubliable. Son invraisemblable collection d'aphorismes, livrées directement du producteur au consommateur, lui valut de remporter aisément le Micro de Plomb.
La concurrence était pourtant rude, avec Xavier "solution finale" Gravelaine, Jean-Michel "Carton! Carton! Carton! Carton! Carton! Carton!" Larqué, Franck "vitesse ultrasonique" Lebœuf et Emmanuel "suppositoire dans le cul" Petit. Ce pays est maudit avec ses commentateurs-consultants (ses comcons).
Beaucoup en témoignent, CJP est sympathique et intègre, et on doit lui en faire crédit. L'indulgence de mise dans les hommages (attention, il n'est pas mort), le souvenir de l'impeccable duo comique formé avec Arsène Wenger ne nous feront tout de même pas oublier nos souffrances, ni regretter nos sarcasmes.
Ne le plaignons pas. Selon l'expression contemporaine, "il a vécu sa meilleure vie", de manière assez inespérée, et il y a certainement trouvé un bonheur que les railleries n'auront pas beaucoup altéré. Et nous, on est pour le bonheur dans le football, fût-ce celui des autres.