Blasons maudits / 4
Notre saga comico-sémiologique des écussons devenus logos se poursuit : quatrième volet avec Lorient, Lyon, Valenciennes, Tours et Marseille.
FC Lorient
Le soleil se lève à Lorient, tout le monde le sait, et comme l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, le FC Lorient en récolte les fruits de mer. Voilà un club qui change ses jeunes mousses en footballeurs à succès et un port de pêche en nid à internationaux. Cette alchimie admirable ne doit pas nous empêcher de faire des Vannes.
Le FC Lorient a été créé par la maman d’un ancien pro (Antoine Cuissard), probablement prénommée Lucienne et surnommée "Mère Lu", ce qui expliquerait tout. Notamment que le club n’a jamais renié ce symbole même lorsqu’il a atteint la notoriété grâce à Gourcuff père. Ne pas confondre ce dernier, druide chevelu à la tronche de mauvaise marée, avec Gourcuff fils. Ce dernier est un beau gosse qui fait forte impression de prime abord, on parle alors d’un éphèbe-œuf.
Bien que mage Gourcuff soit aujourd’hui parti, les Lorientais se distinguent toujours par leur idéalisme. Ils sont candides, innocents voire virginaux dans leur recherche du beau: ne parle-t-on pas de Lorient blanc ? La rondeur des premiers écussons fait, en revanche, référence au côté méridional du club. Il a en effet tendance à exagérer. Exemple, le merlu du blason est démesurément grandi au point d’escamoter le ballon de foot. Pourtant aucun merlu n’a jamais bouché le port.
Le dernier écusson est beaucoup plus sérieux. Plus de "Bretagne-sud": le FCL veut affirmer qu’il représente la région entière. Le merlu est stylisé, on le croirait sorti d’une BD japonaise, et le blason rond prend forme de bouclier. C’est l’écu et le manga. Mais on n’a pas osé revenir sur le tango, que personne n’imagine abandonéon.
(FC) Tours FC
En réalité et comme nous pouvons le voir, il y a eu deux Tours. Et quand il y a deux tours, ça sent le suffrage ou l’attentat. Dans les deux cas, ça tourne mal pour le citoyen, c’est lui qui raque. Et quand il y a trois tours, me direz-vous? Eh bien ça sent l’écusson.
Le football tourangeau a connu deux vies. La première, sous le nom de FC Tours, semée de quelques années de D1 du temps des moustaches, de Vercruysse (Jacky), de Lacombe (Guy) et d’un maire, Jean Royer, qui n’aimait pas les sex-shops mais acceptait que le blason de son club soit orné de trois tours stylisées rappelant furieusement autre chose (les méchants dans les proto-jeux vidéo de l’époque, par exemple). La dominante noire évoque en revanche un 33 Tours.
Disparu en 1992, le FC Tours est bien vite de retour en tant que Tours FC, et en plus sélect. Restauré, l’écu à tour d’argent surplombe des chevrons bleu ciel et se pare d’une bête mythique qui semble lever la patte droite (ça doit plaire à Alexy Bosetti). La citation latine ne veut rien dire et hormis des jeux de mots, ils n’ont rien à nous apporter, en fin de compte, Tours.
Olympique lyonnais
L’Olympique lyonnais a longtemps été à l’image de sa ville, un peu bourgeois, catho, chic, au point qu’on l’appelait le Lyon’s club. De fait, il s’agissait d’un club à l’image de son blason, capable d’accès d’incandescence, accueillant des footballeurs racés certes, mais de salon avant tout: des rois de la jongle. Ainsi, Lyon collectionnait les places d’honneur mais, hormis une ou deux coupes (pour pas que la crinière pousse trop), point de trophée de chasse dans l’appart’ du Lyon. Malgré Chiesa et Di Nallo, l’O avait les L coupées, ce qui est bizarre pour un Lyon.
Puis vint un nouveau président. Résidant place Danton à l’époque (dans le 3e), son slogan était naturellement: "De l’Aulas, encore de l’Aulas, toujours de l’Aulas". Sous son égide, l’Olympique lyonnais va lentement progresser, jusqu’à dominer le championnat. C’est "Lyonnisation du football français", chimie peu amusante pour les adversaires. Il aura fallu de la patience pour parvenir à ce stade. On ne fait pas d’Olmeta sans casser des œufs, surtout avec Sodexho comme sponsor.
Les tâtonnements se voient jusque dans le deuxième blason à la symbolique lourde comme un tablier de sapeur. Ensuite, l’OL renoue avec son côté distingué avec l’actuel, qui a autant accompagné ses sept titres de champion que son passage à vide. Les couleurs traditionnelles sont là, avec prédominance du bleu pour l’extraction. Extraction noble, et non extraction d’hydrocarbures puisque les chevrons ont disparu. L’OL se pare d’or pour symboliser ses multiples succès. Il n’a, en 2016, toujours pas renoncé à cet orgueilleux symbole même si l’ère glorieuse s’est volatilisée – gone with the wind – après que le Lyon se soit légèrement fourvoyé et ait traversé un tunnel d’années décevantes. Le fameux tunnel de fourvoyer.
(US) Valenciennes FC
Le pauvre cygne valenciennois a été tellement maltraité que cela donne une idée de l’histoire tourmentée du club. Pourquoi tant de haine, oh!, envers un pauvre oiseau? Sans doute car l’USVA, devenu VAFC, a plus souvent rasé le bitume que volé à haute altitude. À l’image d'un cygne aussi pesant que Nordine Kourichi, Valenciennes se distingue par sa capacité à rester fière tout en ayant les pieds dans la vase. La démarche peu assurée du volatile rappelle effectivement Borloo un après-midi de questions au gouvernement, ou l’albatros de Baudelaire, voire l’avion de Nungesser après 1927.
Le cygne des premiers blasons vivait en couple mais sa femme s’est barrée au milieu des années 90, on la comprend. Il resta seul dans son étang (le cygne d’étang) après un passage éphémère par la D1 où il prit un peu trop de valises, que sa femme emporta avec elle. Changement de nom, lifting, arrivée d’un vrai Antoine des îles et hop, Valenciennes rebondit et redevient à la mode. C’est Valenciennes mode.
Le foot est constitué de cycles, cependant, et l’actuel est cruel tant le cygne est rattrapé par l’âge que rappelle justement son dernier écusson. Pour faire jouvence, il s’injecte le sang de onze gamins tous les vendredis soirs.
Olympique de Marseille
Ne voyez aucune provocation dans le fait de passer ainsi de Valenciennes à Marseille d’un seul petit saut de ligne: les deux ne sont pas éloignés que ça, surtout si c'est Jacques Mellick qui conduit. Avec son écusson simili-gothique et son slogan ronflant malgré un passé aussi lourd qu’un épisode de Plus belle la vie, l’OM est un spécialiste du gonflement de jabot par gros temps, un peu comme le cygne nordiste. Voyons plutôt.
Au milieu des années 80, le club est au papin sec et l’écusson ne ressemble à rien, lui non plus. L’OM, enfermé dans son destin chaotique, brille par son insuccès et les branches de son M tentent, de leurs petits bras musclés, de briser la spirale. Le "O", lui, est le corset qui oblige le club à rester mince, c’est-à-dire à ne pas dépenser plus que ce qu’il ne déclare pas gagner.
Et puis voilà qu’arrive un homme qui, de la Vie Claire aux piles Wonder, a prouvé ses dons en matière de naufrage d’entreprises. Sur le Vieux-port, cela tombe aussi bien qu’une caméra dans l’eau. Il embauche à tour de bras: Hidalgo, Pardo, Gili, Mura, Di Meco, Dib, Amoros, autant de patronymes semblant sortis d’un épisode des Sopranos et qui firent si peur que l’OM n’eut aucune adversité pendant quelques années. À part France Football qui se voulait un journal de gauche et, sous Mitterrand, ce n’était pas une garantie de victoire.
Bref, l’OM grandit, et le M sort enfin de son carcan. Même après le départ du pétulant Papin, Marseille file droit vers l’astre qu’il veut accrocher à son emblème. D’abord rouge et donc funeste, cette étoile devint pour lui celle du berger (comme le pastis) et lui indiqua Munich un soir de printemps 93.
Tapie dans l’ombre attendait la Faucheuse, une cousine de Di Meco. D’un coup de balai, elle dévoile les dessous pas clairs d’une affaire qui avait fait rêver tout le monde. Le "O" tout blanc du nouvel écusson, que l’on eut volontiers pris pour une auréole, était aussi trompeur que la date de naissance de Basile. L’OM fut condamné pendant quelques années à expier ses victoires, les sincères et les frauduleuses. Une décennie de purges, c’est-à-dire renouvellement estival et intégral de l’effectif, du staff, de l’équipe dirigeante, cure de Bakayoko et de Colleter, tout y passe (même Gravelaine, mais seulement six mois, comme partout). Jusqu’à ce qu’un homme pose ses tongs dans le champ de ruines et achète l’absolution. Marseille se place sous sa protection: le nouveau M adopte une position soumise, presque indécente, ce qui nous écarte… Marseille se peupla de dreyfusards. Faute de Zola, elle eut Ravanelli.
BLASONS MAUDITS / 1 : PARIS, NANCY, LENS, MONTPELLIER ET BORDEAUX
BLASONS MAUDITS / 2 : CAEN, BREST, RENNES, REIMS ET SOCHAUX
BLASONS MAUDITS / 3 : TROYES, NANTES, MONACO, LE HAVRE, LILLE
BLASONS MAUDITS / 5 : GUINGAMP, LAVAL, BASTIA, AUXERRE ET SAINT-ÉTIENNE
BLASONS MAUDITS / 6 : NICE, ANGERS, LILLE, METZ ET TOULOUSE