Arbitre simple flic
Notre première tribune des lecteurs est-elle une tribune d'électeur? L'ouverture de nos colonnes s'effectue en tout cas avec une très éclairante analogie entre la répression dans nos cités et la répression arbitrale actuelle… La doctrine sécuritaire envahit-elle aussi le football?
Auteur : Franck d'Embas
le 26 Sept 2002
Ce texte inaugure une rubrique destinée à accueillir les contributions de lecteurs qui ont séduit la rédaction (les contributions, pas les lecteurs). Si l'inspiration vous viens sur un sujet propre à figurer sur ces pages — à condition qu'il ne fasse pas l'apologie de Youri Djorkaeff — vous êtes invités à soumettre vos articles à notre comité de lecture qui s'engage à motiver tous ses refus (sauf si vous avez fait l'apologie de Youri Djorkaeff). Des institutions, fragilisées par des affaires diverses, qui donnent raison à la logique d’une corporation qui s’exprime plus haut, plus fort et plus longtemps que les autres… Ce constat s'applique presque aussi bien à la sphère politique — à propos de la dérive sécuritaire des discours politiques de toutes tendances et du renforcement symbolique et matériel des forces de l'ordre — qu’à la sphère footballistique, si l’on veut bien considérer que les positions du corps arbitral sont renforcées par la nouvelle politique disciplinaire de la Ligue insufflée par Frédéric Thiriez. Avant d’avancer plus loin de le propos, il paraît utile de préciser qu’il ne s’agit aucunement d’un procès de l’arbitrage, mais plutôt d’une mise en perspective, d'une analogie faite entre le monde du foot et l'espace politique français. Le policier du terrain parle-t-il comme un îlotier ? La police a pour fonction dans la société d’intervenir sur le terrain pour faire appliquer la loi. C’est également le rôle de l’arbitre sur le terrain du football. Le parallèle ne s’arrête pas là, il peut aussi se retrouver dans le discours. Au delà de la polémique sur ses décisions d’arbitrage, on peut relever des résonances étonnantes dans certains propos de M. Garibian à la suite du match Sochaux-Nantes (sous réserve d’une retranscription rigoureuse de ses propos). Le titre de son interview parue le lendemain de match dans Ouest-France est assez évocateur: son "J’ai senti les nantais nerveux" ne ressemble-t-il pas au célèbre délit de sale gueule? Le fait de percevoir une équipe comme encline à l’énervement n’est-il pas l’aveu d’une subjectivité au sein même de la décision? Par ailleurs, lorsque le journaliste remarque que le match fut correct, la réponse de M. Garibian stipule l’inverse: dans les mots de l’arbitre, c’est en effet le niveau des sanctions sans appel qu’il a prononcées qui a engendré la correction de ce match. Cette logique se rapproche de celle de certaines politiques de répression préventive, présente dans le discours qui sous-tend la justification de la législation française sur la consommation de cannabis: vouloir sanctionner cet usage pour éviter un usage de drogues plus dures. Le "protocole" : une autocensure de la critique qui ne se cache pas La médiatisation récente des thèmes rebattus par les syndicats de police a a contribué à la victimisation de la fonction. Il en a été de même pour les arbitres qui, par des actions chocs ont réussi à faire passer leurs revendications au premier plan (dont certaines légitimes) reléguant au second bien d’autres. Les premiers ont bravé l’interdiction du droit de grève quand les seconds ont refusé tout simplement d’arbitrer, comme ce fut le cas à la suite des incidents au cours du match Strasbourg-Metz. Dans la vie civile, la police a vu ses thèmes abondamment repris par la presse d’abord, puis par la classe politique dans son ensemble, au prix d’un lobbying mis en œuvre sur une dizaine d’années. Dans le milieu du football, cela fonctionne plus paradoxalement. Alors que, l’an passé, les thèmes évoqués par les arbitres étaient souvent critiqués par les discours de Bourgoin, ils sont devenus plus légitimes avec l’arrivée de Frédéric Thiriez à la tête de la Ligue. Ainsi, le protocole garantit aujourd’hui une absence totale de critique vis-à-vis des arbitres. Didier Deschamps devrait être entendu sur ses propos visant à critiquer ce bel édifice hypnotique. La presse emboîte pour l’heure parfaitement le pas, laissant assez peu paraître le mécontentement larvé. On n’a lu aucune objection ni sur le protocole ni sur le renforcement du pouvoir de sanction des arbitres, seules les résultats statistiques ayant été constatés. Premiers constats sur les effets de la "tolérance zéro" dans le football Les dérives répressives n’ont pourtant rien résolu de la violence sur les terrains. Pour plus de sécurité du joueur, plus de répression: tel est le nouveau credo. Mais le bilan statistique est aujourd’hui discutable. Qu’en est-il véritablement de la sécurité du joueur? Ces nouvelles mesures ont-elles vraiment assaini le jeu? Sans présager de l’avenir, on peut toutefois souligner quelques exemples frappants: on peut penser aux trois meneurs de jeu blessés contre l’OM et indisponibles plus d’un mois et demi qui n’ont suscité aucune expulsion. Parallèlement en vertu de ce qu’on pourrait appelé la jurisprudence "Oreille de Lebœuf", Sylvain Armand et Frédéric Da Rocha ont été suspendus un match pour ironie déplacée envers l’arbitre. Ces éléments pousserait à percevoir en l’espèce un manque d’équité dans la sanction. Il vaut mieux casser un joueur de manière anodine que de rire d’un arbitre, tout comme il vaut mieux creuser des déficits de manière anodine chez Vivendi que voler dans un supermarché (cette métaphore ramène aussi les injustices du football à leur plus juste place). Pour filer la métaphore une dernière fois, on peut estimer que la recrudescence des agressions envers les forces de l’ordre dans certains quartiers occulte des problèmes émanant de la police elle-même (pourquoi la police serait épargnée par un fléau qui touche un électeur exprimé sur quatre?). De même, le soutien aux arbitres autorise-il à faire l'impasse sur les questions liées à la qualité de l'arbitrage? Réformer les procédures de sanctions ? Dans la société civile, si la police agit sur le terrain, c’est la Justice qui dit le droit a posteriori, tout comme les commissions de la Ligue jugent de la sanction à apporter aux actes constatés sur le terrains. En football, la Ligue sanctionne également a posteriori mais refuse actuellement de dédire les hommes de terrains. C’est un peu comme si la "bavure" arbitrale était impossible, comme si la sanction proposée était par essence juste, équitable et exacte. Bien entendu, le fait que la Ligue dispose des règles (renforcement de la sanction) et juge également de leur application nuit sûrement aussi à la mesure de ce jugement et à son indépendance (il faut garder en mémoire les appels du pieds à la clémence du juge de certains présidents l’an passé). Ainsi, la réforme interne aux institutions de la Ligue semble indispensable. Pourquoi ne pas envisager une forme de paritarisme dans le jugement des sanctions? Les commissions jugeant pourraient ainsi prendre en compte des points de vue différents et les décisions paraîtraient moins opaques et sans doute plus cohérentes.