Blatter sous l'emprise de la GLT
La Coupe des Confédérations a servi de test à une nouvelle "Goal Line Technology" qui, comme prévu, n'a servi à rien – sauf à intoxiquer le débat.
Un système qui coûte cher, qui sera utilisé deux ou trois fois par an au niveau international, dont une petite minorité de stades seront équipés, qui donnera surtout satisfaction aux fabricants d’électronique, qui n’aura aucun effet bénéfique sur le football… Vous avez trouvé? C’est la technologie dans l’arbitrage vue par Sepp Blatter.
Quatorze caméras et quelques centimètres
Après avoir longtemps refusé toute assistance technologique à l’arbitrage, le président de la FIFA a fait entrer dans les lois du jeu, en juillet 2012, un système de vérification du franchissement de la ligne de but par le ballon. La raison affichée de ce revirement? Le match Allemagne-Angleterre du Mondial 2010, durant lequel un but de Lampard a été injustement refusé aux Anglais, ainsi qu’un but lui aussi refusé à tort aux Ukrainiens contre l’Angleterre à l’Euro 2012. Dans ce dernier cas, selon les experts de Hawk-Eye, le ballon était rentré de… 2,5 centimètres.
La Coupe des Confédérations qui vient de s’achever au Brésil devait voir une nouvelle "expérimentation" de Goal Line Technology (GLT). Le système retenu est le GoalControl-4D, produit par une firme allemande. Il comporte quatorze caméras à haute vitesse situées autour du terrain et dirigées vers les buts (sept caméras pour chacun). Elles filment en continu la position du ballon près du but, en trois dimensions. Si le ballon franchit la ligne, l’unité centrale du système envoie en moins d’une seconde un signal vers la montre de l’arbitre. Au Brésil, comme c’était prévisible, aucun cas litigieux ne s’est présenté. Cela avait déjà été le cas lors de l’expérimentation précédente, au Mondial des clubs 2012 au Japon. La première caractéristique de ces systèmes électroniques est en effet qu’ils sont quasiment impossibles à expérimenter en match puisque les situations qu’ils sont supposés éclaircir n’arrivent presque jamais. Et même si une de celles-ci se produisait et que le test s’avérait positif, que pourrait-on conclure à partir d’un seul cas?
À notre connaissance, au niveau international et depuis 1996, seuls sept matches auraient clairement relevé d’une assistance technologique: trois cas avérés (Roumanie-Bulgarie 1996, Brésil-Colombie 2004, Allemagne-Angleterre 2010), trois cas probables (France-Corée du Sud 2006, Brésil-Etats-Unis 2009, Ukraine-Angleterre 2012), un cas limite, Chelsea-Liverpool 2005 en Ligue des champions. Et même si le chiffre réel est sans doute autour de dix ou douze cas, cela reste très, très peu. Quant à l’impact concret que ces buts pour la plupart refusés ont eu sur le résultat des matches concernés, on peut en débattre à perte de vue, tant les situations potentiellement décisives sont nombreuses dans une rencontre.
La révolution n'aura pas lieu
Sepp Blatter a eu un mérite: il a toujours refusé un "arbitrage" vidéo basé sur un visionnage d’images de télévision, trop long et ouvrant la boîte de Pandore des interprétations multiples. Il n’avait en tête qu’une application au franchissement de la ligne de but, à condition que la technologie soit au point. Il a donc beaucoup attendu, a baladé les médias, et beaucoup de ceux-ci, crédules, ont suivi, développant à l’infini le thème: "une révolution dans le football". Une révolution invisible…
Pendant ce temps, Michel Platini, lui, mettait en œuvre l’arbitrage à cinq, avec beaucoup de sagesse et une très méritoire résistance à l’utilisation de toute technologie d’assistance à la prise de décision pendant les matches (autre bien sûr que celle déjà en place pour la communication radio entre arbitres). Comme la GLT, l’arbitrage à cinq a lui aussi été intégré dans les Lois du jeu. Il aurait donc suffi au président de la FIFA de calquer sa position sur celle du président de l’UEFA – et peut-être futur candidat à la présidence de la FIFA – et de laisser s’installer un arbitrage à cinq qui, une fois perfectionné, donnera sans doute d’aussi bons résultats que la GLT, en coûtant moins cher et en apportant bien plus au jeu.
Toutefois, Blatter a décidé de mettre le maximum de bâtons dans les roues de son rival Platini. Il a donc fait passer la GLT, qui sera appliquée au Mondial 2014. Ensuite, eh bien, advienne que pourra. Les fédérations nationales choisiront de l’utiliser ou non, ce sera à la carte... Mais combien de championnats vont-ils pouvoir financer la GLT et l’adopter? On a beau ne pas être un partisan acharné de l’universalité du foot et de l’argument du "football à deux vitesses" qu’il faudrait éviter dans l’arbitrage – il est d’ailleurs déjà au moins à trois vitesses –, cela créera une disparité de plus (et cette fois à l’intérieur même du monde pro…) dont on se serait bien passé. Ces systèmes coûtent cher. Selon Michel Platini: 54 millions d’euros sur cinq ans pour la Ligue des champions et la Ligue Europa. Et pour Jérôme Valcke, secrétaire général de la FIFA: de 121.000 à 201.000 euros par installation de système.
Surtout, ne pas se rater
En réalité, la GLT ne servira pratiquement à rien et relève d’une conception du foot très contestable. Décider de ne retenir qu’un seul type de fait de jeu c’est exclure tous les autres, c’est accorder une prime à une relative maladresse; aucun attaquant n’est en effet obligé de tirer sur la barre, les filets sont fait pour trembler et constituent un outil (pas cher du tout) qui permet de s’assurer que 99,9 % des buts sont bel et bien marqués. Avec la GLT, on va vérifier un cas de figure qui relève plus du saut en longueur que du football. C’est bien dans la logique des lobbies des fabricants d’électronique, qui ont fini par gagner, contre le foot. Ils savent que pour les actions n’entraînant pas de mesure linéaire, leurs créations sont impuissantes. Résultat: on continuera ici et là à refuser à tort des buts valables, avec des filets tout tremblants d’émotion, alors que sur un tir à demi réussi on laissera la GLT explorer l’infiniment petit. La balle est rentrée de six centimètres deviendra une info capitale, au milieu du déferlement sur le football de statistiques délirantes.
Si encore on pouvait être sûr que ces technologies fonctionneront au jour J... Car ce jour-là, il vaudra mieux ne pas se rater. Mais Steve Carter, directeur de Hawk-Eye (système absent de Brésil 2013, alors qu’il était présent au Japon en 2012 et que la Premier League l’utilisera cette saison – vive l’harmonisation) n’a pas l’air si rassuré que ça: "Le pire scénario possible serait que, si le système n’est pas assez précis, les caméras de la télévision montrent qu’il s’est trompé" (!). Alors qu’elle était censée délivrer l’arbitrage des images télé – au moins sur un point – la GLT restera tributaire des chaînes.
Il y a plus encore. Selon le document FIFA "Amendements aux lois du jeu", "L’arbitre doit tester la fonctionnalité du système avant le match. Les tests à effectuer sont établis par le Manuel de tests du Programme Qualité de la FIFA pour la GLT" (45 pages). La confiance règne… L’arbitre garde le dernier mot, le pouvoir décisionnel, nous dit-on. On imagine la scène: "Alors M. l’arbitre, vous en pensez quoi? – Non, aujourd’hui je le sens pas, les tests ne sont pas bons, on va faire sans ". Et deux heures plus tard se reproduit le scénario d’Allemagne-Angleterre 2010... On nage dans l’absurde. Enfin (s’il en était encore besoin), la célèbre revue scientifique Nature a publié un texte du chercheur Nic Fleming, dans lequel il déclare: "l’introduction de la GLT dans le football est susceptible d’engendrer une tromperie massive des téléspectateurs" (…) La mesure implique l’erreur".
L'obstination du président de la FIFA à faire passer la GLT ressemble à une mauvaise plaisanterie faite au football. Elle lui nuira même, dans un avenir proche. Mais les décisions absurdes ont la vie dure.