Houllier à la DTN : un scandale silencieux
Comme une lettre à la poste: la nomination à la tête de la DTN de Gérard Houllier, pourtant grand pourfendeur des sélections nationales, n'a pas fait un pli. Il remet sa veste à l'endroit, mais quelle cause défendra-t-il?
Auteur : Jérôme Latta
le 17 Sept 2007
Le poste très convoité de directeur technique national est pourvu: la décision ayant été avalisée par le conseil fédéral de la FFF vendredi dernier, Jean-Pierre Morlans, qui exerçait depuis le 1er janvier et la retraite d'Aimé Jacquet un intérim de six mois (1), cède son fauteuil à Gérard Houllier. Celui-ci retrouve des fonctions qu'il avait déjà exercées entre 1990 et 1998.

Porte-flingue du G14
Le candidat idéal, alors? Oui, si l'on s'en tient au seul critère de la compétence présumée, en écartant toute considération morale. Car si Houllier avait été, après son fiasco de sélectionneur en 1993, à l'origine d'une importante refonte de la DTN (2), il devint ensuite un militant sans scrupule du combat des clubs contre les sélections nationales. À Liverpool, et surtout à Lyon, il ne rechigna pas à quelques bassesses pour se faire le porte-parole du G14 au côté de son comparse Arsène Wenger.
On se souvient ainsi de ses regrettables propos tenus à l’encontre du déplacement des Bleus en Martinique (3), en novembre 2005 – alors que ce voyage s’avérera plus tard avoir été le ciment de l’aventure allemande. L'entraîneur lyonnais n'avait pas ménagé sa peine, non plus, lors de "l'affaire Abidal" qui avait suivi en février 2006, agitant des menaces de forfaits diplomatiques et n'hésitant pas à faire publiquement pression sur le joueur lui-même (lire les CdF #20 et notre dossier "Clubs vs Sélections" dans le #36).
Étrangement, ces contradictions (pour employer un euphémisme) n'ont en rien compromis sa candidature, laquelle n'a pas été questionnée un seul instant sous cet angle, ni par la Fédération, ni par les observateurs.
Gérard et Raymond sur un bateau
L'homme qui concourrait au titre de "personnalité la plus détestée du football français" avec de grandes chances de l'emporter se voit donc récompensé de son infidélité à ses idées. La décision de Jean-Pierre Escalettes est aussi une pierre dans le jardin de retraité d'Aimé Jacquet, qui s'était opposé, en son temps, au retour des ex-membres de la DTN partis monnayer leurs compétences à l'étranger (4). La volonté de Jacquet de prolonger son mandat en 2004, contre toute attente, avait été motivée par le souci de fermer la porte de Clairefontaine à... Gérard Houllier, en rupture de banc à Liverpool.
Mais celui qui a le plus de motifs de trouver la pilule amère n'est autre que le subordonné du nouveau directeur technique: Raymond Domenech, qui était lui aussi candidat et qu'une solide inimitié "lie" à ce dernier. En 1998, le sélectionneur des Espoirs d'alors avait refusé à Houllier de lui laisser garder la main – en Espoirs – sur la génération Henry-Anelka-Trezeguet qu'il avait dirigée dans les catégories de jeunes, et Gérard avait gardé un chien de sa chienne à Raymond (qui le lui rendit bien). Récemment, Domenech a déclaré que "tout autre choix que le maintien de Jean-Pierre Morlans à la tête de la DTN serait une faute. Une vraie faute" (Le Parisien). Ambiance.
Entre deux causes

L'actualité se prêtait pourtant à de telles interrogations: les deux matches de l'équipe de France contre l'Italie et l'Écosse ont été le moment de nouvelles récriminations de l'Inter Milan et du FC Barcelone quant à l'utilisation de Patrick Vieira et Thierrry Henry.
On retiendra justement la façon dont Frédéric Thiriez a salué cette nomination: "Il connaît nos problèmes, pour les avoir vécus au quotidien. Et je sais qu’il aura à cœur d’avoir des liens étroits avec les présidents et les entraîneurs de clubs". On comprend mieux quelles conséquences l'arrivée de Houllier à la DTN pourrait avoir: une plus grande prise en compte des intérêts des clubs dans ce dossier de la libération des internationaux, ce qui pourrait déboucher sur un affaiblissement de l'équipe de France devant ceux qui s'estiment "propriétaires" des joueurs. À moins que nous ne devions compter sur la capacité de Gérard Houlier à épouser sans réserve la cause de ses employeurs, fut-ce après un nouveau changement de camp.
(1) Adjoint de tous les DTN de l’histoire (Georges Boulogne, Michel Hidalgo, Henri Michel, Gérard Houllier et Aimé Jacquet) Morlans était lui-même candidat, mais atteint par la limite d'âge, il n'avait pas les faveurs de Jean-Pierre Escalettes.
(2) On lui doit notamment une politique de post-formation qui a porté de nombreux fruits.
(3) Notamment : "Vous savez comment ça se passe, le public, là-bas, et le terrain, là-bas".
(4) Jean-François Jodar, après sa démission du poste de sélectionneur des Émirats arabes unis, s'était vu barrer le chemin lorsqu'il postula pour devenir l'adjoint de Domenech. Lire aussi "Houllier change de veste", CdF #37.