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On peut se procurer dans les librairies de Norwich un petit ouvrage à la couverture verte et jaune, au format de Bible, intitulé Norwich City, Miscellany et qui regorge d’anecdotes relatant les épisodes glorieux ou pas (plus nombreux) de la longue vie des Canaries.

Son auteur, Edward Couzens-Lake, y fait en préface l’aveu solennel suivant : « l’espoir. L’espoir est la richesse incommensurable de tout supporter et existe en abondance parmi les supporters de Norwich à travers le monde. Tous, nous espérons le meilleur et le meilleur est ce que nous espérons tous ». Le propos ne surprendra aucun habitant des tribunes mais résonne d’un écho particulier dans le cas du Norwich City Football Club.  Comment ne pas y lire, derrière son optimisme de façade, les affres éprouvées des années durant dans les divisions inférieures ? Comment, fondamentalement, ne pas interpréter le discours de l’espoir comme le fruit d’un infiniment douloureux travail sur soi-même sans lequel l’éternel déclassé ne survivrait pas? Et comment, enfin, ne pas voir dans ces mots un mouchoir inconsciemment tendu aux supporters messins et bordelais ?

On mesure par contraste, à l’heure où Norwich City occupe une fière neuvième place au classement de Premier League (juste après la victoire sans appel face à Swansea  et avant celle, unanimement espérée, face à Liverpool ce samedi), l’allégresse qui ne lâche pas les fans des Canaries cette saison, lesquels furent plus bruyants à Old Trafford il y a trois semaines que leurs homologues locaux, malgré la défaite.

Ces dernières années, à Norwich, la figure de l’espoir s’est appelée Delia Smith. Avant d’incarner l’espoir footballistique cependant, Delia Smith a incarné l’espoir gastronomique. Il y a presque 40 ans, Delia Smith a entrepris d’éduquer, devant les cameras de la BBC, un pays culinairement sinistré. L’un de ses héroïques faits d’armes fut d’expliquer à un public que l’on imagine en état de détresse profonde face à la nouvelle que les spaghettis ne se cuisent pas 20 minutes*. Non contente de prendre soin des corps, Delia Smith s’est aussi occupée des esprits britanniques. Elle partagea par écrit ses expériences mystiques, non sans dénoncer au passage la nature profondément anti-spirituelle du four à micro-ondes.

Le gout des causes perdues est-il ce qui a poussé Delia Smith à devenir, avec son mari, l’actionnaire majoritaire des Canaries, sauvant ainsi le club de la banqueroute? Le sens aigu des affaires dont est dotée Delia nous démentirait sans doute. Il n’empêche : en 2005, une intervention publique inouïe, à la mi-temps d’un match à domicile face à Manchester City, consacre Delia Smith comme Grande Prêtresse des fans gentiment fêlés. Le barrage de la raison s’effondre lorsque les Canaries qui menaient 2-0 à Carrow Rd encaissent deux buts coup sur coup. Apparait alors au milieu de la pelouse une Delia Smith nettement moins policée que devant ses fourneaux**

Le match se conclut sur la victoire de Manchester City par 3 buts à 2.

* Consciente de l’aversion du public pour un changement par trop brutal de ses pratiques alimentaires, Delia Smith prit soin de proposer aux Britanniques quelques recettes plus conformes à leurs traditions immémoriales, telles que la barre chocolatée Mars trempée dans un mélange gras.

** »A message for the best football supporters in the world: we need a 12th man here. Where are ya? Where are ya? Let’s be ‘avin’ ya! Come on! »

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