Posts tagged ‘When Saturday Comes’

Elément clé de la vie d’un club, le Fanzine foot est une géniale spécialité british dont les Continentaux ignorent souvent les charmes. Le temps est donc venu d’organiser un dépucelage de masse. Et, tant qu’à faire, autant choisir la créature la plus sexy du genre : A Love Supreme, le multi-primé zine de Sunderland et (presque) officiellement élu Meilleur Fanzine de la planète.

Inspiré indirectement des bandes dessinées de science-fiction US d’avant-guerre et plus directement des cultures alternatives et mouvements musicaux du milieu des Seventies (surtout Punk, voir ici et ici), le fanzine de foot anglais est un enfant de la révolte contre le football malade des Eighties (voir dossier TK). Bien aidé par l’apparition d’associations indépendantes de supporters à la fin des Eighties, le petit fanzine (quelques pages ronéotypées initialement) va fortement se développer à cette époque. Un essor qui sera loin de ravir certains… (lire l’édifiante page 245 de cette étude [1]).

Humoristique, irrévérencieux, incontrôlable, quelquefois puérile ou bien barré, ce drôle de « magazine de club » tient toujours la route, malgré l’Internet et les prédictions des doom merchants (Cassandre) à l’orée des années 2000 qui le voyaient mort et enterré sous dix ans. Parfois sous-estimé ou discrédité en raison de son côté déconneur, le fanzine (mot-valise inventé aux USA vers 1949, fusion de fans et magazine) recèle pourtant bien souvent ce qu’il y a de mieux à lire sur son club – et parfois même sur le football en général.

A love Supreme (ALS, 2,50 £, mensuel, sauf intersaison) possède tout simplement le plus beau palmarès du Royaume-Uni : 8 titres de UK Fanzine of the Year (1994, 95, 97, 98, 99, 2001, 2008 et 2009 – voir ici), 4 places de dauphin et une multitude d’awards supplémentaires.

Rencontre initiatique avec Martyn McFadden (ci-dessous) son rédacteur en chef anti langue de bois. Et c’est entre deux interviews pour les médias nationaux que le très sollicité Martyn m’a fait sa longue séance d’effeuillage.

Interview avec Martyn McFadden, rédac’ chef de A Love Supreme

Martyn, s’il te plaît, rassure nos millions de lecteurs toujours traumatisés par ces deux matchs qualificatifs pour l’Euro 2008 contre l’Ecosse car je crains qu’ils arrêtent de lire tout net en voyant ton nom : as-tu un lien de parenté avec le très brièvement Black Cat James McFadden ?

[Rires] Absolument aucun ! Mais je me souviens bien du France-Ecosse de 2007 où il marque un but venu d’ailleurs, j’étais justement en vacances en Ecosse, grosses célébrations. Quand il est arrivé à Sunderland [octobre 2012, en prêt] je pensais au départ que ça serait cool d’avoir mon nom sur le maillot Black Cat car c’est pas un nom si courant. Pis quand je l’ai vu jouer, j’ai vite changé d’avis !

Ami(e) lecteur/trice, continue sereinement ta lecture, Martyn n'a rien

Ami(e) lecteur/trice, continue sereinement ta lecture, Martyn n'a rien à voir dans l'histoire

Pour ceux qui connaissent mal la chose, un fanzine, ça sert à quoi ?

Un fanzine a plusieurs rôles : informer les supporters autrement que par les voies traditionnelles, donner aux supporters une tribune et les impliquer dans la vie du club. Ce sont les raisons de l’éclosion et de la longévité des zines. A la fin des Eighties, les supporters avaient envie d’autre chose car hormis quelques pages dans la presse locale et les journaux nationaux, impossible de s’informer. Donner son avis était également très difficile, à part envoyer une lettre au canard local et fallait encore qu’elle soit publiée. On ne pouvait ni râler contre son club ou des joueurs, ni le(s) féliciter. Le fanzine permet avant tout aux supporters de s’exprimer, par le biais de contributions écrites dans le zine ou en ligne, ainsi que de créer une vraie interaction entre supps, ce qui n’existait pas avant, ère pré-Internet.

Parmi les premiers fanzines

Parmi les premiers fanzines

Permettre au supp lambda de s’exprimer, n’est-ce pas d’ailleurs votre devise, comme inscrit en page 3 de ALS ?

Oui, l’expression se fait donc via le magazine (contributions, lettres, etc.) et via notre site A Love Supreme, avec ses forums, réactions, etc. On s’exprime et on échange. Notre site enregistre 3 millions de visites par mois, avec d’énormes pointes. Par exemple, le jour où Di Canio a été nommé manager [31 mars 2013], on a fait 4 millions de hits, en 24 heures !

Comme tu le dis, les supporters voulaient pouvoir s’exprimer et entendre parler de foot différemment car niveau presse foot à l’époque, c’était soit les journaux, soit des mags pour ados, style Shoot! et Goal [l’équivalent de Mondial et Onze] et basta. Ressentiez-vous aussi un sentiment de révolte contre ce foot anglais qui partait en vrille, comme ce fut le cas pour le fanzine-devenu-magazine When Saturday Comes [2] ?

Dans notre cas, non pas trop. J’ai davantage créé ALS pour donner une voix à tous nos supporters qu’autre chose. C’est vrai qu’on a dit ça des premiers fanzines dans les Eighties mais j’ai pas l’impression que les gars qui les avaient lancés étaient anti-football ou anti-système. C’était simplement des supps ordinaires qui voulaient surtout parler de leur club et échanger. Moi, j’ai été particulièrement influencé par des fanzines musicaux, comme Sniffin’ Glue. Je me souviens du premier fanzine de zique que j’ai lu, c’était lors d’un festival estival avec Echo and the Bunnymen en tête d’affiche, j’ai pris le zine sans savoir ce que c’était, ai ouvert la première page et là, énorme claque, le truc m’a tellement scotché que je l’ai lu d’une traite !

Pourquoi ce titre A Love Supreme ?

En 1989, quand mon meilleur ami Jeremy Robinson et moi-même avons lancé A Love Supreme à 21 ans, la reprise par Will Downing de l’album jazz A Love Supreme de John Coltrane marchait bien au hit-parade anglais [numéro 14 en 1988, ndlr]. Je suis musicos et j’ai trouvé que le titre collait parfaitement à Sunderland AFC, par rapport à l’amour et la passion que les supps ont pour ce club. Par exemple, quand on était en D2 il y a quelques saisons sous Roy Keane, 5 à 8 000 supporters se déplaçaient régulièrement à l’extérieur. Malheureusement, après une dizaine de numéros, Jeremy a eu un accident de la route et a dû arrêter. Après sa convalescence, il a été embauché comme journaliste et j’ai continué en solo.

ALS peut s’enorgueillir d’avoir le plus beau palmarès britannique des fanzines. Pas trop difficile d’être le Manchester United des zines ? Tu ressens une pression permanente ou tu prends numéro après numéro ?

L'extérieur de la boutique de A Love Supreme

L'extérieur de la boutique A Love Supreme près du Stadium of Light

[Rires] Ouais, ou plutôt le Liverpool des fanzines par rapport à notre époque de lancement. Sans vouloir m’auto-féliciter, je crois que pas mal de fanzines observent ce qu’on fait, on essaie donc de maintenir la barre haut, aussi bien côté zine que site internet et autres, dans les services qu’on propose. Comme tu le sais, on a des locaux, une boutique, avec une gamme de produits dérivés [ALS Merchandise], un département de publications de livres [ALS Publications], un gros site internet, on sort des disques, on organise les déplacements [ALS Coaches], etc.

Très tôt, j’ai eu la chance de pouvoir utiliser des moyens technologiques avancés, mettre de la couleur par exemple, bref, rendre ALS le plus professionnel possible, à une époque où beaucoup de fanzines étaient en noir et blanc ou ne soignaient pas trop leur présentation. Le contenu c’est bien mais ça ne suffit pas. On s’est aperçu qu’on aurait plus de succès si on travaillait la présentation. J’ai eu un peu de chance, ma soeur sortait avec un gars qui avait une boîte de design et graphisme et ça m’a bien servi !

Vous entretenez des liens avec d’autres fanzines ?

Oui, par la force des choses, je connais bien les rédac’ chefs de The Mag et True Faith [les deux principaux fanzines de Newcastle United]. On se rencontre occasionnellement, professionnellement, on fait des interviews ou des trucs ensemble parfois au moment du derby, etc. On a pas mal de choses en commun, même si on se déteste !  Le rédac’ chef de True Faith [Michael Martin] me chambre non-stop quand on se voit… Sans déconner, il n’arrête pas, je te raconte pas comme il me prend la tête parfois !

Au-delà de tout ça, ALS sert un peu de modèle. Par exemple, les fanzines de Newcastle United se sont inspirés de nous en terme de design ou d’organisation, ils ont adopté nos initiatives d’organiser des déplacements pour les supps, louer des autocars, etc.  Pour nous, c’est flatteur et on prend ça comme un compliment.

Je m’entends aussi très bien avec Andy Mitten, le rédac’ chef de United We Stand (Man United, [3]). On s’entraide, les joueurs changent souvent de club aujourd’hui et certains zines aiment bien savoir comment ça s’est passé pour tel nouveau joueur dans son ancien club, ce genre de chose.

Si par exemple un gars du zine de Wolves nous appelle pour une info ou un contact local (médias, joueur, etc.), on l’aidera et vice-versa. On s’interviewe aussi entre fanzines de clubs. Dans ALS, on a par exemple une rubrique What the Fan(zine)s say, on interroge les fanzines ou blogs de nos adversaires du mois. On forme une communauté relativement soudée, tous unis contre le bloc formé par les press officers des clubs ! [rires – on reviendra sur ces attachés de presse…]

Vous vendez aussi en déplacement ?

Oui, pas mal. D’ailleurs, ça peut étonner mais jusqu’à la moitié de nos ventes extérieures le sont à des supps de nos adversaires du jour. Enfin, ça dépend, certains supps sont bien plus réceptifs que d’autres.

Ouais, j’imagine qu’essayer de vendre ALS autour de Saint James’ Park ne doit pas marcher terrible !

[Rires] Effectivement… Mais tu vois, quand on se déplace à West Bromwich Albion par exemple, on a du succès, les supps Baggies viennent nous voir, nous posent des questions et pas mal achètent le fanzine. Dix miles plus loin, à Birmingham City, c’est l’inverse, les mecs sont fermés et ça ne les intéressent pas de s’informer sur un autre club. C’est bizarre.

ALS n'est pas un best-seller autour de SJP...

ALS n'est pas un best-seller autour de SJP.

L’internet, les blogs, l’abondance d’infos, etc. sont parfois perçus comme un danger pour les fanzines. Cela entraînerait une baisse des ventes, surtout en ces temps de crise. Vous avez constaté un coup de mou ces dernières années ?

Non, pas vraiment. Nous, on s’est servis de l’Internet pour développer notre site qui tourne fort ainsi que d’autres activités annexes. On y fait la pub du fanzine aussi, on sort un ALS digital, on vend des produits dérivés, etc. Je ne suis pas un business analyst dans l’âme et je n’ai aucun chiffre en tête mais ça a été un atout. Comme je te disais plus tôt, on fait 3 millions de visites par mois, donc on génère un revenu publicité de cette activité.

Le fanzine semble mieux se porter ces dernières années et sa cote a grimpé (voir article). Il sont moins nombreux qu’avant mais les « survivants » ou les nouveaux marchent bien. Selon toi, leur succès est-il dû au fait que le supp lambda a le sentiment que son club « lui échappe » et que le fanzine recrée ce lien ?

Ouais, je crois. Mais aujourd’hui, celui qui veut démarrer un fanzine le fera probablement sur Internet (e-zine), les investissements design et impression c’est illico des milliers de £ et puis niveau réactivité aussi c’est plus logique de mettre ça sur le Net. Il serait risqué de démarrer un fanzine sans moyens de nos jours, beaucoup ont vite disparu dans les années 2000 et la plupart des clubs n’en ont plus qu’un.

Vous tirez à combien ?

Ecoute, je…

A suivre.

Kevin Quigagne.

PS : Et si vous nous découvrez, nous avez oublié, négligé ou zappé, on est sur Facebook et Twitter.

=========================================

[1] Surtout ce passage en milieu de page 245 qui montre à quel point les fanzines étaient considérés comme subversifs par certains : « Sellers were hounded […] their voices heard. » Traduction : les vendeurs de fanzines autour des stades étaient harcelés par la police, celle-ci craignant que le contenu des textes incite à la violence ; les clubs poursuivaient en justice les rédacteurs à la moindre occasion ; la police prévenait les imprimeries qu’elles risquaient la fermeture (lois sur la publication de matériel à caractère obscène). Et tout cela simplement parce que les supporters voulaient se faire entendre.

Les clashs entre fanzines et clubs ou autorités (police) sont toujours (on y reviendra dans l’entretien), par exemple ici entre Red Issue et Man United.

[2] When Saturday Comes fut lancé en mars 1986 par Andy Lyons et Mike Ticher, supporters en colère. De quelques feuilles tapées à la machine au tout début (le numéro 1 faisait douze pages et fut tiré à 200 exemplaires, 15 pence), WSC devint vite un magazine de référence (culte, même) qui tire aujourd’hui à 20 000 exemplaires et semble se porter comme un charme (WSC facture jusqu’à 2 650 £ la page de pub par numéro). Andy Lyons est toujours rédacteur en chef de WSC et Mike Ticher, aujourd’hui résident australien, est un contributeur régulier du célèbre fanzine-devenu-mag.

Off the ball, autre fanzine « général » (non rattaché à un club), fut créé en même temps que WSC et pour les mêmes raisons mais ne survécut pas. Le succès de WSC contribua largement au développement du mouvement Fanzine.

[3] Fondé par Andy Mitten en 1989, alors âgé de 15 ans. Mitten est le petit-neveu du grand Charlie Mitten, le « Bogotá Bandit ». United We Stand est le seul fanzine anglais disponible nationalement dans les bonnes maisons de la presse, au même titre que le magazine Four Four Two par exemple.