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Elément clé de la vie d’un club, le Fanzine foot est une géniale spécialité british dont les Continentaux ignorent souvent les charmes. Le temps est donc venu d’organiser un dépucelage de masse. Et, tant qu’à faire, autant choisir la créature la plus sexy du genre : A Love Supreme, le multi-primé zine de Sunderland et (presque) officiellement élu Meilleur Fanzine de la planète. Rencontre initiatique avec Martyn McFadden, son rédacteur en chef anti langue de bois.

Je recommande la lecture de l’introduction de cette interview. Et si vous n’avez pas lu la première partie, c’est le moment. Un topo complémentaire sur les zines suivra en dernière partie.

Suite de l’interview avec Martyn McFadden, rédac’ chef de A love Supreme (ALS, 2,50 £, mensuel, sauf intersaison) fanzine le plus primé du football britannique : 8 titres de UK Fanzine of the Year (1994, 95, 97, 98, 99, 2001, 2008 et 2009 – voir ici), 4 places de dauphin et une multitude d’awards supplémentaires, dont plusieurs pour le site internet.

Interview.

Martyn, A Love Supreme tire à combien ?

Ecoute, je ne communique pas publiquement là-dessus [les plus vendus en Angleterre dépasseraient les 20 000 exemplaires/mois, ndlr]. Par contre, je peux te dire qu’on avait tiré notre tout premier numéro à 250 (photo)copies en 1989, sans savoir du tout si ça marcherait. Il coûtait 50 pence et comme il s’était très bien vendu, on avait senti que l’attente était très forte. On avait donc tiré le numéro 2 à 1 000 exemplaires. Je m’en souviens bien, on était tellement à la bourre qu’un vendredi soir j’avais dû réunir en urgence quelques amis pour une stapling party, toute la nuit à agrafer les photocopies la veille d’un match contre Brighton… Tout était parti quelques heures plus tard devant le stade [Roker Park, l’ex antre Black Cat]. A partir du numéro 3, on a fait imprimer ALS professionnement, à 3 000 exemplaires d’abord. Là aussi, tous vendus [ALS en est au numéro 223].

Financièrement, vous êtes auto-suffisant ?

Oui, c’est géré comme un business en fait, c’est mon métier à plein temps. A l’intersaison, pas d’ALS, je m’aère l’esprit, je fais autre chose. Je suis musicien et j’organise des concerts, des festivals, comme le Split Festival de Sunderland, des choses comme ça. Par exemple actuellement, je suis impliqué dans le UK Tour des Toy Dolls qui débutera le mois prochain [si vous ne voyez pas, c’est un groupe punk-rock-psychobilly rigolo, originaire de Sunderland et culte dans les Eighties, ici]. Depuis 20 ans, c’est seulement leur deuxième UK Tour. Ils vivent à Londres et sur le continent et se produisent surtout dans des concerts et festivals en Europe du Nord où ils cartonnent. D’ailleurs, lors de leur tournée anglaise, ils utiliseront ma camionnette pour se déplacer !

[clip des Toy Dolls, jouant au Penshaw Monument, l’un des symboles de la ville de Sunderland et représenté sur l’écusson Black Cats. Z’ont pas des groupes comme ça à Newcastle hein… Bon, y’a bien eu Mark Knopfler de Dire Straits, Sting et 2 ou 3 autres, mais bon, qu’est-ce qu’ils ont prouvé ces mecs-là en fin de compte ? Ouais, pas grand chose, leur renommée est largement surfaite, beaucoup de hype pour presque rien #pursproduitsmarketing##boysbandsdes80s]

Vous avez une idée du profil de votre lectorat ?

Vaguement. Ce que je sais c’est que notre fanbase est assez dispersée, des gens de Sunderland qui ont quitté la région, on vend aux 4 coins du pays [par abonnement ou via le site]. Par exemple, quand Roy Keane était manager, on vendait beaucoup d’ALS en Irlande, pas mal d’Irlandais venaient d’ailleurs au Stadium of Light. Les Irlandais n’ont pas de championnat médiatisé et, outre Manchester United et le Celtic qu’ils semblent tous supporter [rires], ils ont tendance à suivre leurs joueurs ou managers préférés ou bien les clubs qui marchent.

J’ai bossé en Irlande au milieu des années 90 quand Blackburn cartonnait et là où j’étais les gamins portaient des maillots de Blackburn… Newcastle marchait bien aussi et j’étais entouré de maillots Magpies, t’imagines l’enfer ! Quand Sunderland tournait bien sous Roy Keane, ils vendaient des maillots Black Cats par wagons entiers à Dublin et Cork, c’était assez dingue.

Vous êtes affiliés à une association de presse ?

Non, je l’ai été mais plus maintenant, c’est devenu bien plus compliqué de nos jours, faut être accrédité, y’a pas mal de contraintes, etc. Ça ne présente pas trop d’avantages pour nous en fait, la Premier League par exemple n’accréditent pas les fanzines, ce qui est quelque peu injuste à mon avis. Avant, je passais pas mal de temps dans les loges de presse et c’était intéressant mais bon, j’ai fait le tour de la question et ça ne m’intéresse plus trop. J’ai une famille aujourd’hui et je préfère aller aux matchs avec eux. Pour tout te dire, ça ne m’a jamais trop emballé d’être catalogué Presse, ça me met pas super à l’aise, même si c’est mon gagne-pain.

Les fanzines ont aussi un rôle éducatif à jouer. Certains servent de relais entre supporters et club et organisent parfois des campagnes, font un travail de sensibilisation (contre le racisme, pour le retour des places debout, etc.), où même lancent des collectes pour acheter des banderoles par exemple (ici). Des organisations comme Supporters Direct leur doivent une fière chandelle à mon avis. Ça te parle ?

Le groupe Haway the Flags monté par A Love Supreme a fait fabriquer cette « surfing banner » pour environ 4 000 £

Le groupe Haway the Flags, monté par A Love Supreme, a fait fabriquer cette « surfing banner » pour environ 4 000 £

Oui, tout à fait. Il nous arrive de sortir des articles là-dessus et on se fait l’écho des campagnes de la Football Supporters’ Federation [220 000 membres] [1]. D’ailleurs la FSF est basée à Sunderland, je connais bien l’un des responsables, l’un de nos contributeurs réguliers y bosse également. On travaille de concert parfois et on va aux réunions importantes ensemble. On n’entretient pas de relations étroites mais on se connaît bien.

Qui écrit dans ALS ?

Des supporters ordinaires surtout, on a un bon noyau de contributeurs réguliers et pas mal d’occasionnels, quelques journalistes aussi. Depuis quelques années, on a aussi développé un partenariat avec l’Université de Sunderland qui offre un cursus Journalisme sportif, ils ont même un module Fanzine ! On invite les meilleurs à écrire pour nous, ça fait partie de leur évaluation. Certains d’entre eux sont vraiment excellents et partent ensuite bosser pour des médias ou journaux nationaux, la BBC, le Guardian, Sky, etc. On reste en contact ensuite.

Sunderland a-t-il d’autres fanzines que A Love Supreme ?

Non, nous sommes le seul aujourd’hui. Il y a juste un magazine intitulé Seventy3, un « retro mag » [mags vintage très à la mode en Angleterre, ndlr]. D’ailleurs le mec qui dirige ça est un ancien d’ALS. Il y en avait trois ou quatre à un moment mais ça remonte déjà.

Les fanzines ne ménagent pas leur club parfois et revendiquent ce droit à la critique sur le principe du « qui aime bien châtie bien », certains appellent ça « l’allégeance critique ». Forcément, quelques-uns sont détestés par leur club car ils fourrent leur nez partout, tel The Square Ball à Leeds du temps de Ken Bates. Cultiver à la fois cette impertinence et garder un lien avec la direction du club tient du numéro d’équilibriste. Quel genre de rapports avez-vous avec Sunderland AFC ?

Depuis quelque temps, nos rapports sont cordiaux mais distants. Les interviews avec les joueurs ou le management, bon, ça ne m’intéresse plus trop, c’est devenu tellement formaté. Faut soumettre les questions par téléphone ou au Press office longtemps à l’avance, ça passe ensuite par des filtres et au final on nous refuse pas mal de questions. Bref, à la fin l’interview est insipide et de toute manière les joueurs ne disent plus grand chose de bien intéressant !

Vers 1997, il y avait collectivement cinq attachés de presse dans les vingt clubs de Premier League, en majorité des anciens journalistes. Aujourd’hui ça serait plutôt cinq par club…

En effet, oui. C’est arrivé à un point d’aseptisation où ça ne vaut plus trop le coup d’interviewer les joueurs ou le manager. Avant, en interview, on déconnait avec eux, on arrivait à leur faire dire des trucs marrants ou intéressants, maintenant c’est limité.

En revanche, ce qui est plus intéressant c’est d’interviewer un joueur une fois qu’il a quitté le club, on a un vrai narratif, un début, un milieu, une fin et il se livre beaucoup plus. Je contacte aussi les autres clubs pour interviewer leurs joueurs et ça passe mieux, les clubs en question savent que l’interview sortira dans un zine non lié au club et, en général, ils sont beaucoup plus coulants pour nous laisser parler aux joueurs.

Parfois, c’est comme si le club était devenu votre ennemi.

Justement, quand le club tombe sur quelque chose qui ne leur plaît pas du tout, ça se passe comment ?

Mal ! J’ai souvent eu des ennuis pour diffamation mais pas récemment. Tu sais, au fil des années, j’ai appris à éviter les écueils. Avec le temps, on sait ce qui peut passer ou pas, on fait gaffe à la formulation. On est obligé d’édulcorer le propos, c’est dommage mais inéluctable. Cette notion de diffamation est assez étrange car, bien forcément, si tu écris un article pour expliquer pourquoi tu penses que le manager est nul à chier, tu vas évidemment le critiquer !

Tu sens un gros changement dans les rapports fanzine-club depuis tes débuts en 1989 ?

Oui, absolument. Parfois, c’est comme si le club était devenu votre ennemi. Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai reçu des lettres menaçantes du club ou d’avocats ou ai été directement menacé de poursuites judiciaires, soit par le président, un dirigeant ou le manager. Ça s’est toujours arrangé avant d’arriver au tribunal, c’était surtout des tentatives d’intimidation mais, à neuf reprises, j’ai dû engager des frais pour me défendre.

A ce propos, j’ai lu dans un vieux ALS tout un topo sur les exécrables relations que vous (fanzines et groupes de supps) entreteniez avec Peter Reid [ci-dessus à droite, manager de Sunderland de 1995 à 2002], et aussi entre Lilian Laslandes et P. Reid. C’était bien rock ‘n’ roll !

Ouais, sous Peter Reid, c’était affreux. Entre lui et Laslandes, c’était très chaud et d’ailleurs, j’aimerais bien retrouver Lilian pour lui poser quelques questions ! [2] Reid avait une manière détestable de traiter les gens, c’était un vrai bully (tyran, petit chef), il fallait qu’il contrôle tout. Il m’a même attaqué un jour, physiquement je veux dire, en plus ça s’est passé en pleine soirée officielle de remise des récompenses de la Football Writers’ Association !

A son arrivée en 1995, je connaissais pas mal de joueurs. A l’époque, les clubs n’avaient pas de press officer, on pouvait assister aux entraînements, parler librement aux joueurs, c’était très relax. Je connaissais personnellement des gens haut placés au club, on sortait ensemble avec les joueurs, etc. Ça lui a déplu et nos rapports se sont progressivement détériorés.

Si on organisait une compétition pour comparer les QI de Peter Reid et Martin O’Neill, on sifflerait la fin du truc au bout de deux minutes.

Quelles étaient tes relations avec Martin O’Neill, MON était différent, non ? Par exemple, peu après son arrivée fin 2011, il avait tenu à voir où Roker Park se trouvait avant sa démolition. Il disait vouloir « retrouver l’âme de Sunderland » (ici). Il avait fait pareil à Aston Villa en déplacement à Middlesbrough un jour, quittant l’hôtel pour aller trouver la maison d’enfance de Brian Clough. C’est quand même pas courant.

Martin O’Neill est quelqu’un d’intelligent, de réfléchi, il a fait des études, c’est pas vraiment ton manager lambda, surtout ceux d’avant. J’veux dire, si on organisait une compétition pour comparer les QI de Peter Reid et Martin O’Neill, bon, on sifflerait la fin du truc au bout de deux minutes quoi ! [rires]

Tu m’autorises à mettre ça dans l’interview ?

Absolument, mets-le !

Bon, parlons de nos très chers voisins, Newcastle United…

A suivre.

Kevin Quigagne.

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[1] La FSF vient d’ailleurs hier de remporter une victoire dans sa campagne-pétition « Twenty’s Plenty » (20 £, c’est bien assez) lancée en janvier 2013 pour mettre les billets extérieurs à 20 £ en Premier League, le coût souvent élevé du billet extérieur – 50 ou 60 £ dans les grands clubs, ici par ex. – s’ajoutant bien sûr aux frais de déplacement.

[2] Martyn a d’ailleurs contacté Lilian Laslandes peu après mais l’ex Black Cat n’a pas répondu à sa demande d’interview. Dommage.