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Le football, science occulte diablement inexacte, a érigé la prophétie fumeuse au rang d’art. De quoi rendre jaloux les économistes, politologues et autres bullshitologues, longtemps les maîtres en la matière. Mais surtout de quoi faire notre bonheur.

Les fanzinards-branquignols que nous sommes aimons jouer les Madame Irma dans notre chambre de bonne, sans grand succès ma foi. Cela dit, c’est bien plus marrant quand ce sont les vrais « experts » qui se vautrent magistralement. Dans aucun ordre particulier, voici donc ma sélection des plus belles prédictions en papier mâché du football anglais.

N’hésitez pas à tenter votre chance avec le jeu-concours # 6, cadeau sympa à gagner (promis, c’est pas une boule de cristal).
Même si vous n’avez aucune idée, allez, soyez sympas et miséricordieux, donnez un nom au hasard que j’ai pas l’air d’un con avec mon jeu-concours sans participants et me retrouve avec un cadeau péteux formidable sur les bras. Si aucun vainqueur, on prendra le plus près journalistiquement ou philosophiquement (ou alphabétiquement) de la réponse. Je suis généreux, je vous donne 72 heures pour trouver quel journaliste et visionnaire français a sorti l’énormité # 6.

# 1. « On ne peut rien gagner avec des gamins. »

Alan Hansen, consultant dans Match of The Day, le 19 août 1995 au sujet de la jeune équipe de Man United, vouée à un abject échec selon lui (le clip).

19.08.1995, première journée de championnat. Un Man United acnéique (composés des Fergie’s Fledglings, les grands ados Beckham, Butt, Scholes et Neville brothers – Giggs était absent) s’incline 3-1 face à Aston Villa. A l’intersaison, trois cadres sont partis, Mark Hughes, Paul Ince et Andrei Kanchelskis. Pour quelques experts, dont le soporifique Alan Hansen, c’est la grosse cata.

Pourtant, s’il s’était creusé la cervelle un chouia, l’ex Liverpool legend se serait souvenu que les Busby Babes remportèrent le titre national avec Man United en 1956 et 57 (21 et 22 ans de moyenne d’âge !). Huit d’entre eux disparaîtront tragiquement dans le crash de Munich du 6 février 1958, sinon les kids auraient probablement continué à cartonner.

Neuf mois plus tard, Man United (24 ans de moyenne d’âge) est champion d’Angleterre et remporte la FA Cup face à Liverpool…

Quant à notre devin écossais préféré, il est malheureusement resté cloué à son fauteuil BBC de Match Of The Day encore 19 ans (avec son triste compère Mark Lawrenson*), payé 40 000 £ par émission avec notre redevance alors que la BBC a licencié des milliers d’employés depuis dix ans. Alléluia, l’an dernier, la Beeb a enfin entendu la vox populi et décidé de le congédier (il arrêtera juste après la Coupe du monde 2014 ; putain, plus que trois mois à tenir).

Hansen, c’est aussi le mec qui, juste avant l’Euro 2012, avait prédit sur le site de la BBC (ici) que l’Allemagne, les Pays-Bas, le Portugal et l’Espagne atteindraient les demi-finales. Euh, plutôt duraille vu que les trois premiers cités étaient dans la même poule à deux qualifiés…

Evidemment, la phrase est devenue cultissime (Fergie s’en servira souvent pour motiver ses jeunes troupes) et a été décliné sous toutes les formes possibles et imaginables (t-shirts, merchandising, titres d’émissions de foot et fanzine, etc.).

[*Lawrenson, dit Lawro, également une ex Liverpool legend qui fait comater le peuple (éjecté du sofa de MOTD l’an dernier lui – remplacé par Alan Shearer), est aussi un fin voyant. Au début de la saison 2009-10, alors que Norwich City avait raté son début de championnat de D3, dont une raclée 7-1 à domicile contre le petit Colchester (d’ailleurs managé par… Paul Lambert, lequel désertera pour Norwich juste après ce match !), l’assommant Lawro avait eu cette illumination céleste : « Je crains pour les Canaries, je les vois descendre en D4. » Loin de dégringoler je ne sais où, Norwich aligna deux montées d’affilée pour atteindre la Premier League en 2011…].

# 2. « Mais pourquoi tu veux recruter Zidane alors qu’on a Tim Sherwood ? »

Feu le propriétaire de Blackburn, Jack Walker, à Kenny Dalglish, manager du club (été 1995). Certes, pas une prédiction pur jus mais une telle réplique aux faux airs prophétiques se devait de figurer ici.

En 1990, le magnat de l’acier et exilé fiscal Jack Walker vend sa boîte Walkersteel à British Steel pour 360m £ et rachète Blackburn Rovers, D2, son club de coeur (qu’il dirigera de Jersey), où il injecte quelques grosses pépettes.

La progression est fulgurante : montée en 1992, 2è en 1994 et titre un an plus tard, grâce notamment à son duo offensif de feu Shearer And Sutton (surnommé SAS) et Tim Sherwood, capitaine (citons aussi Colin Hendry, David Batty et Graeme Le Saux). Au printemps 1995, le Bordelais Richard Witschge, en prêt express à Blackburn, parle de Zidane à Dalglish et l’Ecossais flashe sur le duo Zizou-Dugarry. Las, quand il en cause à son boss il se prend un rateau des familles, avec, en bonus, la phrase immortelle. Zidane coûte pourtant moins que ce que Rovers a déboursé pour Sherwood en 1992 (5m £).

Pour la petite histoire, Ray Harford, l’adjoint et successeur de Dalglish en 1995-96, réessaya la saison suivante (Bordeaux atteint la finale de la C3) et faillit arracher le morceau. Les Girondins acceptèrent 5m £ pour Zidane, avant de le vendre 4m £ à la Juventus une semaine plus tard ; quant à Dugarry, il se montra trop gourmand au final (il voulait 20 000 £/semaine net, énorme salaire pour l’époque où la moyenne PL n’était que de 2 500 £/sem. et les mieux payés – Shearer, Sutton, Cantona, etc. – touchaient 10 000-15 000 £/sem. brut). Ce ne ne fut toutefois que partie remise pour voir du cador frenchie chez les Rovers, Chimbonda et Givet fouleront majestueusement la pelouse d’Ewood Park une bonne décennie plus tard.

# 3. « On ne fera jamais rien avec une équipe de James Milner. »

Graeme Souness, 20 avril 2005, déclaration au Daily Mirror.

L’ex hardman de Liverpool manage alors Newcastle United et Milner, 19 ans et acheté 3m £ à Leeds neuf mois plus tôt, a été discret avec les Mags (mais avec seulement 6 titularisations, guère étonnant que ce joueur très prometteur ne puisse s’épanouir). L’Ecossais a succédé à Bobby Robson et veut inverser la politique jeune du club – les Jenas, Bramble, etc. surnommés les « Bobby Babes » – en achetant de l’expérimenté et du vieux grognard.

Depuis, pour un loser, on peut dire que Milner (28 ans) a fait du chemin : 46 capes Espoirs, 45 capes Seniors avec les Trois Lions, champion d’Angleterre 2012 avec Man City et j’en passe. Quant à Souness, il a fini par trouver refuge sur Sky après une piètre carrière de manager (soyons quand même fair-play, le mec a failli recruter Ali Dia, il a planté le drapeau de Galatasaray sur la pelouse du Fener et il a viré Déco à Benfica pour le remplacer par Marc Pembridge. Alors rien que pour ça : Respect).

La citation de Souness ci-dessus est un résumé de l’originale, un peu longue pour mettre en exergue mais que voici :

« Même si j’adorerais manager ce club pour longtemps, je ne me vois pas faire de vieux os si je commence à bâtir une équipe de James Milner. Sans vouloir être critique à son égard, on ne construit pas une équipe avec des jeunes de 18 ou 19 ans. Ce ne sont pas eux qui vont me faire garder mon boulot. »

# 4. « Kevin Phillips aura du mal à marquer six buts cette saison. »

Rodney Marsh, consultant Sky, août 1999.

Eté 1999, Sunderland monte en Premier League, avec Kevin Phillips comme avant-centre vedette. L’ex Hornet (Watford), 26 ans, vient de marquer 14 buts en 34 matchs de championnat. Un rendement plus qu’honnête pour ce « joueur de Football League » (D2 à D4) qui affiche de belles qualités techniques et a même été capé par les Trois Lions en avril 1999. Mais au diable l’analyse prudente et étayée, pour Rodney Marsh, ex bellâtre bambocheur du foot anglais des années 60 & 70 (principalement QPR et Man City), Phillips est à l’évidence très limité et peinera à suivre le rythme.

Ce qui est priceless mec, ce      30 pions et Soulier d’or européen. Pas dégueu pour un loser
sont surtout tes pronostics

Plus la saison s’écoule, plus le pro-fête Marsh va manger son bob Ricard, coutures incluses. Sunderland sort une putain de saison et finit 6è ex-aequo, grâce surtout au duo Kevin Phillips-Niall Quinn, 44 buts PL à eux deux (l’Irlandais Quinn dans le rôle du remiseur, Phillips dans celui du finisseur). Super Kev a explosé les compteurs : 30 buts PL ! Pas mal pour un novice de l’élite révélé sur le tard et qui jouait encore en D7 à 21 ans. Consécration suprême, on lui remet le Soulier d’or européen (seul Anglais à l’avoir jamais reçu) et il continue à être sélectionné en équipe nationale (8 capes au total).

Aujourd’hui, l’increvable Phillips (41 ans en juillet prochain) claque toujours, à Leicester City, promu en PL.

Quant à Marsh, il n’est plus consultant depuis belle lurette après son limogeage de Sky en 2005 pour cette blague (?) bizarre censée amuser : «  David Beckham a rejeté une offre de Newcastle après les problèmes causés par la Toon Army en Thaïlande. » (crétin jeu de mot hyper approximatif entre Tsunami et Toon Army, l’un des surnoms de NUFC). Quand il trouve un média encore prêt à le faire taffer (rare), il sévit dans des émissions du style Celebrity Come Dine with me (« Un dîner presque parfait » pour has-beens fauchés) où il balance ses vannes grasses et sexistes admirablement conservées dans le formol des Sixties (les femmes à la cuisine et tout le tremblement).

# 5. « Si Dwight Yorke est un footballeur de D1, alors moi je m’appelle Mao Tse-toung. »

Tommy Docherty, 1990.

L’Ecossais, personnage haut en couleur du football britannique – ex manager de l’Ecosse, Chelsea et Man United – est consultant télé quand il sort cette perle (TK évoquait quelques fameux déboires du Doc dans cet article).
Pour nos lecteurs/trices les plus jeunes ou les plus incultes, le Trinitéen Dwight Yorke disputa son premier match de D1 en mars 1990 avec Aston Villa, et son dernier avec Sunderland dix-neuf ans plus tard. Entre-temps, il accomplit une formidable carrière anglaise. En point d’orgue, ses quatre saisons à Man United (acheté 13m £) où il forma un duo légendaire avec Andy Cole (67 buts en 65 matchs PL ensemble).

Bilan du raté qui devait végéter aux étages inférieurs : 19 saisons en D1, 3 titres de Champion d’Angleterre, 1 Ligue des champions + une chiée de coupes et récompenses individuelles (Premier League Player of the Season 1998-99, Golden Boot Premier League 1999, Champions League Top Goalscorer 1999, etc.).

Le Doc ne s’est jamais fait rebaptiser Mao mais a paraît-il longuement médité ce mot de Confucius : « Nul n’est prophète en son empire, surtout le Nul. » Z’étaient super philosophes ces Orientaux quand même, Joey Barton en raffole.

# 6. « Je ne vois vraiment pas David Silva réussir en Angleterre. Il n’a pas du tout le jeu et le profil pour faire grand chose dans le foot anglais. »

Jeu concours avec cadeau sympa à la clé : quel grand mage français (journaliste connu) a fait cette comique prophétie ?

Répondez dans les commentaires svp. On se revoit dans trois jours.

Kevin Quigagne.

(Quand on a le temps, on est sur Facebook et sur Twitter).

Définition de « saison de merde » dans le Larousse de la terminologie footballistique (à paraître) : « Saison qui démarre souvent poussivement, connaît généralement une crise de novembre et part ensuite en couille vrillée. Se termine invariablement très mal ». Deux saisons pour le prix d’une pour inaugurer cette nouvelle série, car fusionnelles dans la médiocrité. Le tout  agrémenté d’un bouquet final somptueux. Ceci est peut-être bien aussi un article prémonitoire…

1972 : le début de la fin d’une ère glorieuse pour les Red Devils, celle des Busby Years (1945-1969). L’après Busby est compliqué et depuis quatre saisons, le club traîne un mal-être qui le fait systématiquement s’échouer à une dizaine de points du trio de tête.  Le mythique Matt Busby parti, le club gamberge et la Sainte Trinité Best-Law-Charlton traîne la patte ; Bobby a 35 ans, Denis 32, et George seulement 26 mais la tête ailleurs. Best, en 1972, c’est plus Au Lit Trinity que Holy Trinity

[Ce documentaire exceptionnel, Manchester United Football Family Tree 1968-1993, the lean years – les années de vaches maigres -, revient sur cette période de l’après Busby, de 1’30 à 11 minutes, avec interviews de Docherty, Law, Best, etc. Le tout sans langue de bois !].

Crise à tous les étages

Eté 1972, Man United vient de finir à la 8è place, comme les deux saisons précédentes. Une huitième place n’est jamais glorieuse pour un club comme United mais celles-ci sont particulièrement médiocres : 187 buts encaissés en championnat sur les trois derniers exercices (pour 200 inscrits). Pour ne rien arranger, le voisin Man City fait une razzia sur les trophées sous la houlette du légendaire duo Joe Mercer-Malcolm Allison (D1 en 1968, FA Cup en 1969, Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe et League Cup en 1970).

Une certitude se dessine durant cette période transitionnelle molle : Frank O’Farrell, le placide manager irlandais nommé un peu par défaut été 1971 [1] n’est pas le remède au malaise. Après un début de saison 1972-73 exécrable, le club se retrouve 22è (sur 22) dès la 11è journée. Les nouvelles recrues ne sont pas à la hauteur et le collectif s’appuie trop sur Best et Charlton (Law, souvent blessé, joue rarement).

Aux pépins physiques, les problèmes extrasportifs commencent à s’accumuler pour Best. En novembre 72, il a cassé le nez à une serveuse d’un night-club mancunien et est mis en examen pour coups et blessures. Au procès, en janvier 73, il sera défendu par un de ses potes de comptoir, feu George Carman, un avocat du cru qui entamera son irrésistible ascension vers la notoriété grâce à cette affaire. Carman lui obtient une peine douce, une amende de 100 £ (peu après, Carman apprit qu’il avait été cocufié par Best et voulut payer un caïd pour lui briser les genoux mais l’homme refusa : « Pas question de toucher à Bestie et s’il lui arrive quoi que ce soit, c’est moi qui viendrais te péter les jambes »).

Man United fait peine à voir. En Coupe de la Ligue, les Red Devils se sont fait sortir par Bristol Rovers (D3) et en championnat ils sont lanterne rouge à l’issue de la 18è journée, avec 12 misérables points. Le club passe un sale mois de décembre : 3 lourdes défaites, 1 seule victoire. Une crise résumée ainsi (traduction inutile) dans le livre The official illustrated history of Manchester United :

« By now United had degenerated into something like anarchy, with the dressing room riven by discontent, Best in open revolt and results in freefall. »

Denis Law, dans son autobiographie, parle lui de « saison cauchemardesque ».

Anarchie, vestiaire divisé, chute libre et rébellion de Best (écarté du groupe et en froid avec Bobby Charlton [2]). Fatalement, le couperet tombe pour le distant et effacé O’Farrell, limogé le 19 décembre 1972 après une lourde défaite 5-0 contre Crystal Palace. L’Irlandais part en empochant une forte indemnité de départ (50 000 £, soit cinquante fois son salaire mensuel). Personne ne verse une larme. Denis Law résume ainsi le sentiment général : « O’Farrell était arrivé en parfait inconnu et il est reparti comme tel. »

Mission du nouveau manager : sauver le Soldat Best

Le même jour, le directoire annonce que George Best a fait savoir, de Majorque où il se détend, qu’il prenait sa retraite… Best ne joue plus depuis fin novembre et est alors régulièrement photographié courant les boîtes sélects de Londres et ailleurs, escapades pour lesquelles il sera suspendu. Vraie retraite ou nouvelle fausse alerte [3] ? On sera fixé quelques jours plus tard.

Le 22 décembre, le directoire nomme le nouveau manager : l’Ecossais Tommy Docherty, 44 ans (ci-dessus). Exit le style pincé de O’Farrell, « The Doc » est un ancien milieu rugueux à la grande gueule légendaire qui a particulièrement bien réussi à Chelsea comme entraîneur (février 1961-octobre 1967). Si l’entrée d’Old Trafford avait été une porte de saloon, Docherty l’aurait fait valdinguer d’un grand coup de pompe.
Man United a autant besoin de sa poigne que de sa vision. Le Doc affiche de belles compétences dans deux domaines qui plaisent au directoire : il sait repérer et faire éclore des p’tits jeunes talentueux, tout en sachant éventuellement montrer la sortie à toute vieille garde récalcitrante sans trop s’embarrasser de salamalecs.

La première mission de l’Ecossais est de persuader Best de poursuivre sa carrière (ce qu’il fera rapidement) et, s’il continue, de le remotiver. Best n’a que 26 ans et théoriquement encore du jus en réserve. Beaucoup de jus. Les trois dernières saisons 1969-72, essentiellement sur l’aile, il a claqué 70 buts en 154 matchs et été sacré meilleur buteur du club quatre fois d’affilée depuis 1968.
Toutefois, depuis une bonne année, Best est en mode dilettante. Grâce à un bagage technique hors norme, il a brillamment fait illusion la saison précédente (26 buts en 48 matchs) mais son hédonisme lui a fait rater quantité d’entraînements, en toute impunité. Il vit sur des acquis qui s’épuisent vite.

Best est aussi désabusé. Le club ne forme plus de jeunes de valeur et il a le sentiment que le navire coule. En 1971, Man United a même poussé vers la retraite son talisman Jimmy Murphy, l’ex bras droit de Matt Busby qui rebâtit l’équipe après le crash de Munich et dénicha tant de bons joueurs (voir le film United, où Murphy est magnifiquement interprété par David Tennant). Best dira sur cette période « avoir de plus en plus l’impression de porter l’équipe ».

Deal en carton pour un Best rassasié

La tâche de Docherty s’annonce donc corsée : remplacer les vieillissants Law et Charlton et remettre sur rails un Best physiquement émoussé et de moins en moins impliqué. Côté recrutement, le Doc favorise la filière écossaise (son équipe avec ses imports scots – George Graham, Alex Forsyth, etc. – sera surnommée The Doc’s Tartan Army peu après son arrivée).

Problème de taille : le Doc s’aperçoit vite que Best n’a plus les crocs. Il faut dire que le phénomène a été incroyablement précoce. A 22 ans, il avait déjà tout raflé : le titre national (1965 et 67) et razzia en 1968, avec C1, récompense de Meilleur joueur d’Angleterre et Ballon d’Or (devant Bobby Charlton). Et toujours à 22 ans, il était aussi devenu l’un des joueurs les mieux payés au monde : 1 000 £ par semaine, soit quinze fois plus que la moyenne anglaise de D1, sans parler de ses multiples contrats publicitaires (qui s’amenuiseront au rythme de ses frasques).

Pour s’assurer sa « coopération », Docherty va alors passer un drôle de deal (secret) avec le cinquième Beatle amateur de grasses matinées : entraînement facultatif  le matin – sauf le vendredi veille de match – et réintégration dans le XI titulaire le cas échéant, à condition de rattraper les heures chômées l’après-midi et se tenir tranquille. Un pacte en carton qui fera long feu…

En février 1973, Best est empaté et a définitivement perdu ses principaux atouts d’ailier qui firent merveille : la vivacité et le coup de rein. Pour la troisième fois en dix mois, il reparle de raccrocher les crampons. Docherty le fait changer d’avis.

En fait, Best s’intéresse de près au club, de très près même. Mais au sien : le Slack Alice, un night-club qu’il fait rénover à Manchester avec Malcolm Wagner (« Waggy » [4]), son ancien coiffeur devenu compagnon de déroute et homme de confiance. L’endroit est un ancien pub délabré racheté pour 8 000 £ seulement et qu’il compte transformer en club VIP…

Pendant ce temps-là, mi mars 1973, il reste dix journées et Man United (20è) semble foncer tout droit vers la D2.

A suivre.

Kevin Quigagne.

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[1] Eté 1971, United a peiné pour trouver un manager prêt à succéder à Matt Busby. Jock Stein, était le premier choix du directoire et avait donné son accord. Toutefois, après mûre réflexion, l’homme fort du Celtic se rétracta. La presse le soupçonna d’avoir voulu faire monter les enchères pour revaloriser son salaire au Celtic. Possible, mais il est tout aussi envisageable que son volte-face soit lié au fait que Stein craignait l’influence prégnante de Matt Busby dans la gestion du club (et Stein a en tête l’exemple de Wilf McGuinness, le manager qui succéda à Busby en 1969 – pour un an et demi – et se plaindra de l’interférence de Busby).

En effet, après sa retraite managériale Busby est devenu le bras droit du président-propriétaire, Louis Edwards, et a même accepté de dépanner une demi-saison (décembre 1970-fin avril 71).

L’ombre de Busby plane toujours sur le banc, fait que O’Farrell dénoncera après son limogeage, disant que son travail était rendu impossible par l’omniprésence de Busby, ainsi que ses relations étroites avec les joueurs qui compliquait le travail de l’Irlandais. Réalité ou excuse pour justifier son échec ? Toujours est-il que tout nouvel entraîneur est prévenu : il faudra composer avec Busby.

[2] Best a déjà fait le coup sept mois auparavant, après une tentative de O’Farrell de le transférer. Le 22 mai 1972, le jour de son 26è anniversaire, Best avait officiellement annoncé sa retraite depuis une plage de Marbella, avant de se revenir sur sa décision après une discussion avec Matt Busby.

[3] Dans la première biographie sur George Best (George Best: An Intimate Biography, sortie en 1975 et écrite par son ami Michael Parkinson, le Michel Drucker de la TV anglaise – il n’a pas quitté la téloche depuis 1963), Best revient sur son intense inimitié avec Bobby Charlton. Extrait : « Je ne me suis jamais entendu avec Bobby Charlton, je ne pouvais tout simplement pas l’encadrer. Surtout les trois dernières années à Man United, on ne s’est même pas adressé la parole, sauf pour se dire « bonjour » et encore, si on était de bonne humeur. »

[4] Auteur de l’excellent George Best and Me: Waggy’s Tale (2010).