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L’effervescence footballistique des derniers mois a balayé un évènement remarquable : Vincent Péricard a raccroché les crampons.

Fin février, celui que les médias anglais aiment à présenter comme un « ex Juventus striker » a dit stop. Basta. A seulement 29 ans. Ou plutôt c’est son club de Havant & Waterlooville (mini cylindrée de D6 anglaise) qui l’aurait envoyé à la retraite anticipée en décidant, fin décembre 2011, de ne pas prolonger son contrat de trois mois. Une fin brutale pour un chasseur de buts qui fit jadis rêver dans certaines chaumières reculées de l’Angleterre profonde.

Suite de la première partie.

Stoke, le début de la fin

Saison 2008-2009. Sans réel avenir dans un Stoke City monté en Premier League, Vince en est réduit à jouer les bouche-trous en Coupe de la Ligue plusieurs mois durant. Puis l’espoir renaît soudain mi décembre : il intègre enfin l’effectif de Premier League. Il figure sur la teamsheet pour quatre matchs de championnat (dont trois sur le banc) mais peine à retrouver son mojo. Le 20 décembre, contre Blackburn, il est titularisé mais sa piètre prestation lui fait regagner le banc à l’heure de jeu (ici).

Le 20 février 2009, il est prêté aux Lions de Millwall (D3) pour trois mois. En mars, une énième blessure (tendon d’Achille) limite son séjour londonien à deux matchs. Fatalement, après l’avoir fait sortir de prison en octobre 2007, Stoke City le libère pour de bon en juin 2009.

Pour la première fois de sa carrière, Vince se retrouve sans contrat. Il gamberge et se demande s’il reverra un jour l’élite, surtout que les essais estivaux avec des clubs de D2 s’avèrent infructueux. Qu’importe où on l’annonce, comme ici à Cardiff City, le label glamour d’ancien « avant-centre de la Juventus » lui colle à la peau comme un tatouage devenu oppressant. Cependant, dans un coin singulier du Royaume, sa cote est au zénith…

Carlisle, ville maudite

Scène de rue typique à Carlisle

Scène de rue typique à Carlisle

Début octobre 2009, Vince, au chômage depuis trois mois, est contacté par Carlisle United, modeste club de D3, essentiellement connu pour son ancien propriétaire, Michael Knighton, un excentrique d’obédience kachkarienne. L’ex prof de sport, après avoir bien failli racheter Manchester United en 1989 au bluff (pour 20 millions de £ seulement !), avait finalement jeté son dévolu sur Carlisle United à grand renfort de promesses délirantes (« Nous retrouverons l’élite d’ici dix ans » – Carlisle connut jadis une saison solitaire en D1, 1974-75).

Le contrat n’est que de trois mois et le club est relégable. Le deal n’emballe guère Vince et il hésite. Il faut dire que l’endroit a de quoi rebuter. Carlisle, ville moche de soixante-dix mille habitants d’où partit la fièvre aphteuse et qui fait souvent l’actualité pour ses inondations, se situe aux confins embrumés de l’Angleterre et de l’Écosse. Il y a bien un semblant de château-fort mais il a été largement pillé. A trente kilomètres de là se trouve le site de la tragédie de Lockerbie (270 victimes). Extrait du wiki français sur Carlisle :

« Alcoolisme, hooliganisme et comportement antisocial sont les symptômes qui frappent Carlisle et la région, en proie à une crise identitaire urbaine post-industrielle. […] Selon la légende, la ville serait sous l’influence d’une malédiction. »

Bref, le coin maudit par excellence (le Guide du Routard confirme). Notre Vince national se risquera-t-il à aggraver crise et calamité en signant chez les Cumbrians ?

Les routiers sont sympas mais barjots

Carlisle a cependant un atout, des plus tordus évidemment : la cité a enfanté le Stobart Group, aujourd’hui l’une des plus grosses entreprises de transport et logistique d’Europe (5 500 employés, 2 500 camions, 500M £ de chiffre d’affaires). Un patrimoine routier qui, fatalement, a dérapé sur l’invention d’un hobby unique au monde : le lorry-spotting.

Ce navrant divertissement consiste à rester perché sur les ponts autoroutiers le week-end pour enregistrer expressément plaques d’immatriculation et caractéristiques de centaines de camions. De préférence des Stobart et Norbert Dentressangle dernier cri, ça compte double. Le nec plus ultra est de filmer les bahuts au dépôt, comme un hydrologue va débusquer la rivière à sa source (voir clips si ça vous chante, ici et ici). Le spotter atteint son nirvana en entrant ses données vitales sur Internet. Probablement le passe-temps le plus crétin jamais inventé.

Il faut dire qu’à Carlisle, la gamme des loisirs est limitée. Soit on s’adonne au comptage machinal des camions, soit on se consacre à l’autre hobby du coin : l’étude de la pluviométrie. Les pauvres Carlislois (?) se prennent 1 300 mm de flotte par an sur leur parapluie en titane. Une goutte d’eau comparée aux chiffres des vallées du Lake District tout proche : jusqu’à 4 500 mm l’an (en bas darticle).

Vince, acculé, n’a de toute manière pas le choix et, le 13 octobre 2009, il signe des deux mains frigorifiées dans la Mecque du camionneur trempé.

Vince, à la BBC, fin 2009 : « Participer à la Coupe du Monde est quelque chose qui me fait rêver. C’est peut-être un rêve lointain mais si je travaille dur sur les mois qui viennent, qui sait ? »

Objectif : la Coupe du Monde 2010

Et Vince fait bonne pioche. Cette ambiance de poids-lourds turbo le requinque comme jamais. Dans son rôle de target man en duo avec le brouillard local qui désarçonne les défenses adverses, Vince carbure au nitrogène : six buts en onze matchs. Le club se hisse au milieu de tableau. La Vince-mania gagne toute la région et les gazettes locales en redemandent. Porté par son nouveau statut de cult hero, Vince s’enflamme un chouia et parle même de Coupe du Monde avec le Cameroun (en bas d’article) :

« Participer à la Coupe du Monde est quelque chose qui me fait rêver » déclare-t-il à la BBC, « C’est peut-être un rêve lointain mais si je travaille dur sur les mois qui viennent, qui sait ? »

Bercé par l’euphorie ambiante et l’ennui abrutissant, Vince clame aussi imprudemment son attachement à Carlisle (ici). Morceaux choisis :

« J’adore ma vie ici à Carlisle, malgré le mauvais temps et la pluie. […] C’est génial ici, tout le monde est hyper sympa, j’ai le sourire aux lèvres en permanence et je me dis que j’ai vraiment bien fait de venir. […] Après nos deux victoires d’affilée, l’ambiance est fantastique. Si on continue de la sorte, qui sait ce qui peut arriver. Si on avance soudé et on continue à bosser dur, je ne vois vraiment pas quelle équipe pourra nous arrêter. »

Une fois relancé, il ne s’éternise pas dans le coin

Sa foi dans le club et ses plongées lyriques dans un passé glorieux exacerbent les passions. Les supporters, envoûtés, sont éblouis de compter en leur sein ce digne ex coéquipier de Zidane et Del Piero. Vince leur renvoie l’ascenseur. Love is in the air. Il déclare au canard local (ici) :

« Le temps que j’ai passé avec Zinédine Zidane inspire toujours ma carrière. […] Ici, à Carlisle, ce sont des vrais fans, pas des fans de luxe. Ils croient en l’équipe, ils chantent, et ils font tout pour que les joueurs se sentent vraiment spéciaux. Et c’est ce que veut tout footballeur : se sentir aimé. »

Ses exploits (dont ce spectaculaire but dans une belle purée de pois) ne passent pas inaperçus en Football League et Vince profite de la première occasion pour quitter ce Max Meynier-Land à la masse. Le mercato d’hiver arrivé, finies les déclarations d’amour enflammées pour son nouveau club et ses supporters tombés en adulation. Carlisle United fait le forcing pour le garder mais il rejette leurs multiples avances.

Le 14 janvier 2010, il signe pour un an et demi chez les Robins (rouges-gorges) de Swindon Town (D3), l’ancien club d’Ossie Ardiles et Glenn Hoddle. Swindon, la ville des ronds-points psychédéliques. Après les routiers dérangés et la mousson sauce british, Vince s’apprête à découvrir l’art du sens giratoire dégénéré.

A suivre…

Kevin Quigagne.