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Ça y est, les hommes en blanc du Team TK viennent d’extraire Chic Charnley de la salle capitonnée. Après l’intouchable Lars Elstrup en février 2012, ce bon Chic mauvais genre est donc le deuxième spécimen à illuminer notre galerie d’allumés. Chic aurait pu devenir une figure du foot écossais où il sévit de 1982 à 2003. Au lieu de ça, il sera son enfant terrible et restera comme l’un des plus grands originaux du foot british.

Le freak, c'est Chic.

Le freak, c'est Chic.

La préface de Seeing Red, son autobiographie publiée en 2009, dégaine ainsi : Chic Charnley est l’un des personnages les plus controversés et colourful du football écossais. Tu l’as dit MacBouffi. Ce bad boy fut aussi, au début des années 80, l’un de ses grands espoirs mais son indiscipline et sa réputation effrayèrent les clubs majeurs, à l’instar de Robin Friday en son temps. Ce qui explique sa grande vadrouille : 15 clubs et 20 transferts en 21 ans de carrière, de l’Écosse à l’Irlande, en passant par la Suède, l’Angleterre et l’Irlande du Nord.

Cet athlétique milieu de terrain qui grandit dans l’un des plus durs quartiers de Glasgow, et préféra partir picoler avec ses potes au Portugal un été plutôt que d’accepter une offre du Celtic (son club de toujours), collectionna 17 cartons rouges dans sa chaotique carrière, à une époque où on les distribuait avec parcimonie. Une légende en Ecosse – quasi inconnu ailleurs – que Teenage Kicks se devait de vous présenter, histoire d’éviter la faute professionnelle.

[Cliquer sur les photos peut rapporter gros]

Premier essai chez les pros : il finit pinté

Chic Charnley est honnête. Contrairement à la majorité des footballeurs à fort potentiel qui ont merdé mais déclarent presque fièrement « qu’ils ne changeraient rien si c’était à refaire », Chic, lui, n’esquive pas : « Si je pouvais remonter le temps et l’effacer, je changerais 95 % de ma carrière. En vingt ans, je n’ai gagné aucun trophée, que dalle […] Ça me fait mal de l’admettre mais il faut être honnête avec soi-même. Des regrets, j’en ai à la pelle, des millions. » Reconnaître ses errements, Chic le sanguin ne peut faire autrement. Son parcours au long cours, riche en anecdotes improbables, n’aura été qu’une suite de succès immédiatement plombés par de spectaculaires dérapages.

C’est dans le quartier glasvégien sinistré de Possilpark (ci-dessus) que Chic grandit. Un coin si terrifiant, écrit-il, que même les rottweilers vagabondent en bande. Cadet d’une fratrie de six frères et soeurs, élevé par ses grands-parents, James (son vrai nom) est rapidement surnommé Chic car, dès 9 ans, il monte dans sa cité un trafic de chickens congelés (évidemment tombés du camion) que l’un de ses oncles lui refile. James devient Little Chicken, puis Chic.

Père alcoolique, mère dépassée, à 16 ans Chic « s’échappe de l’école » comme il dit et dégote un boulot de magasinier. Son maigre salaire lui sert à suivre son club, Celtic. Il excelle balle au pied et en 1982, à 19 ans, il réussit un superbe coup : il tape dans l’oeil des scouts de Heart of Midlothian (club de D1 d’Edimbourg) qui l’invitent pour un essai d’une semaine avec la réserve. Chic aurait évidemment préféré le Celtic mais l’occasion est inespérée pour ce jeune qui n’a connu que des petits clubs de quartier.

L’essai se passe bien et le dernier jour, Sandy Jardine [1], le manager adjoint de Hearts, lui offre un verre dans un pub. Probablement pour tester son hygiène de vie qui lui semble suspecte… Sans s’en rendre compte, Chic descend six pintes quand Jardine n’a le temps d’en boire que deux. Chic s’est grillé. Hearts ne donne pas suite. La lettre de rejet indique laconiquement « que le club recherche un joueur plus expérimenté ». Plus sobre aussi sans doute.

Premier contrat pro : il agresse son manager

Ses qualités d’excellent passeur et de milieu-aboyeur créatif commencent cependant à se savoir et quelques semaines plus tard, après un essai concluant, il décroche un petit contrat semi-pro chez les Saints de Saint Mirren, club de la banlieue de Glasgow, là où Alex Ferguson fit ses débuts comme manager (octobre 1974 à mai 1978). Là encore, Chic peut être fier de lui car St Mirren évolue parmi l’élite et disputait même la C3 deux saisons auparavant, en 1980-81, après avoir fini 3è en championnat (sorti par Saint-Etienne, ci-dessous photo du programme de match).

Chic évolue avec la réserve mais frappe à la porte de l’équipe première. S’il ne faisait pas tant la bringue, il y serait déjà. Car Chic sort beaucoup. Il n’est certes pas le seul mais contrairement aux autres, il affiche publiquement son goût pour la boisson au point de se transformer en homme-sandwich pour Heineken. Même lors des sorties collectives où ses coéquipiers limitent leur consommation par crainte des engueulades ou sanctions, lui enchaîne bruyamment les pintes et vodka coca (yes, vodka coca…).

Malgré son grand talent, Chic ne disputera qu’un match avec les Buddies (les « Potes », l’autre surnom de St Mirren), en avril 1983. Il n’a pas spécialement démérité lors de ce baptème du feu mais le manager, l’ex Rangers Alex Miller, l’a dans le collimateur.
La goutte d’eau de vie arrive en toute fin de saison quand, histoire de le dresser un peu, Miller lui ordonne un jour de… nettoyer les chaussures des joueurs ! Le rôle de boot-boy était certes courant alors dans le foot britannique, mais seulement pour les jeunes stagiaires. A 20 ans et en tant que (semi) professionnel, Chic ressent cela comme une humiliation. Il refuse et le ton monte vite. Chic pète alors un cable, il se saisit d’une paire de groles et les balance sur son entraîneur en gueulant « Clean them your fuckin’ self ». Sa carrière au mal nommé Love Street (nom du stade) est terminée avant d’avoir commencée. Et peut-être pas qu’à Love Street, se dit-on.

Contrats suivants : commissariat et plate-forme pétrolière

Malgré son casier déjà chargé, il réussit à signer à Ayr United, petit club de D2 de la côte sud-ouest à 70 kms de Glasgow, un comté (Ayrshire) surtout connu pour son aéroport lowcost, Prestwick, célèbre pour être le seul endroit du Royaume-Uni où Elvis Presley posa les pieds (escale durant son service militaire). Le passage du Chic pourrait s’avérer plus rock ‘n’ roll que celui du Pelvis. Peut-être bien aussi sa dernière chance. Now or never.

Mais que nenni. A Ayr, Chic s’oxygène et se refait une santé sportive. Il dispute 17 matchs (3 buts) et participe largement au maintien du club. La tranquillité du coin, loin des tentations glasvégiennes, semble avoir zénifié notre Chic.

Impression trompeuse car en fin de saison c’est la rechute. De retour à Glasgow le temps d’un week-end, il se prend une telle cuite qu’il finit dans un caniveau. La police arrive, Chic s’énerve. Les cops l’embarquent sur l’air de Jailhouse Rock, direction la cellule de dégrisement. Il lui faudra 36 heures pour dessaoûler. Après une brouille avec Ayr United, Chic décide de raccrocher les crampons, à 21 ans seulement.

[Ne partez pas Dear readers, Chic va changer d’avis]

Un mois plus tard, un pote lui propose de venir entraîner les jeunes dans son club très amateur de Nairn County tout en bossant sur une plate-forme pétrolière en Mer du Nord, 15 jours on, 15 jours off. Chic hésite. Nairn est un bled des Highlands vraiment paumé et il ne sait trop comment il s’acclimatera à cette Ecosse si profonde et reculée qu’on croit encore qu’un monstre préhistorique crêche au fond d’un lac. Il finit par accepter, après tout se dit-il, l’éloignement de Glasgow lui fera du bien et ce boulot est très bien payé, 1 800 £/mois. Sa carrière pro semble alors totalement enterrée.

Trois ans s’écoulent, durant lesquels Chic joue occasionnellement pour le minuscule Nairn County, sans trop se soucier de l’avenir mais en gardant un oeil dans le rétroviseur. Forcément. Quand on a goûté au foot pro, difficile à seulement 24 ans d’accepter la routine d’une vie pépère, même grassement rémunérée. Un jour où il s’ennuie, il file sur Glasgow retrouver quelques vieux potes. L’un d’eux se désole de sa situation : « Chic, t’étais trop bon pour arrêter le foot pro si jeune. Ecoute, je connais un mec qui peut t’aider à remettre le pied à l’étrier. » Chic accepte et les pérégrinations reprennent : il signe à Pollok, un club semi-pro ambitieux de la banlieue sud de Glasgow qui lui offre 4 000 £ à la signature. Ambitieux mais limité, Pollok n’évolue même pas en Scottish Football League (D1 à D4).

Il démarre la saison en allongeant l’entraîneur-adjoint

Chic ne disputera aucun match officiel pour Pollok. Il n’y reste que quelques semaines car un bien plus gros poisson l’a contacté entre-temps : Clydebank, club de l’ouest glasvégien qui vient de descendre en D2. Un club très folklo qui sera sponsorisé quelques années plus tard par le groupe local Wet Wet Wet (!) avant d’être liquidé en 2002 (puis reformé l’année suivante).

Chez les Bankies, Chic retrouve son mojo au milieu : 31 matchs, 11 buts. Et seulement deux cartons rouges de la saison. Mais le conte de fée est éphémère. Fin août 1988, lors d’un match de championnat, l’un de ses coéquipiers, Brian Wright, se prend un violent coup de coude d’un dénommé John Boag ; 4 dents éclatées, sorti sur civière. A la mi-temps, Clydebank est mené et l’entraîneur adjoint, Jimmy Gervaise, prend l’agresseur en exemple pour remotiver ses troupes : « Vous avez vu ce qu’a fait John Boag sur Brian, hein ? Et ben c’est ce genre d’attitude de guerrier que je veux que vous ayiez. Est-ce que vous allez me montrer cette attitude ? »

A entendre son propre Number 2 approuver l’agression d’un adversaire sur l’un des leurs, le sang chaud de Chic ne fait qu’un tour. A la question de Gervaise, il répond : « On fait comme ça ? » tout en illustrant son propos d’un crochet au menton. Viré sur le champ.

Chic ne reste toutefois pas longtemps les pieds croisés. Il semble qu’il y ait toujours un manager tête brûlée ou masochiste quelque part qui pense pouvoir tirer la quintessence de l’histrion sans causer trop de dommages collatéraux. Après une pige à Hamilton Academical (promu en D1), il atterrit à Partick Thistle, D2 (surnommé les Jags). L’historique Thistle est hiérarchiquement le troisième club de Glasgow, un larron désargenté qui se gausse haut et fort du tribalisme de clocher Old Firm. Les supps aiment entonner ce chant brutalement égalitaire :

Hello, how do you do?
We hate the boys in royal blue
We hate the boys in emerald green
So fuck the pope and fuck the queen

Et c’est dans ce club décalé que Chic trouve enfin son équilibre, comme s’il avait besoin d’un environnement farfelu pour s’épanouir. Entre 1988 et 1991, il devient une légende Jags : 22 buts en 73 matchs, stat canon pour un milieu de terrain. Malgré son addiction au carton rouge (tacles musclés, bagarres, embrouilles avec arbitres) et une inconstance chronique, Charnley trouve une certaine plénitude et se rend indispensable. La personnalité déjantée du manager, John Lambie, y est pour quelque chose.
Un jour par exemple, après un non match de ses joueurs, Lambie passe un savon carabiné à chacun d’entre eux dans le vestiaire, un par un. En arrivant sur Declan Roche, un jeune Irlandais qui vient de débarquer au club, il sort un pigeon vivant de son survêtement et s’approche de Roche en hurlant :

« Tu vois ce pigeon espèce de bâtard d’Irlandais, et ben t’es aussi utile que ce piaf sur un terrain. »

Sur ce, il tord le cou du pauvre animal et le balance au visage de Roche, terrifié ! [2].

Chic Charnley (à gauche) et Ally McCoist (droite) chahutent le mythique John Lambie, en 2007

Chic Charnley (à gauche) et Ally McCoist (droite) chahutent le mythique John Lambie, en 2007

Charnley n’acquiert pas ses lettres de noblesse Jags que pour ses prestations, ses frasques hors normes lui conférent un statut de cult hero inoxydable. Un jour, à l’entraînement, deux cailleras…

A suivre.

Kevin Quigagne.

Dans la même série TK des grands tarés du foot british :
Lars Elstrup

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[1] Rangers & Hearts legend et ex international écossais, + de 1 000 matchs professionnels ! Malheureusement atteint d’un cancer actuellement.

[2] Dans son autobio, Charnley précise que le pigeon était très malade et allait mourir… John Lambie aimait les pigeons (il était pigeon fancier, hobby répandu au Royaume-Uni) mais il était surtout bien azimuté. Ses dix saisons à Partick Thistle  (trois passages, et trois montées) furent parfois dignes du Crazy Gang de Wimbledon. Lambie et Charnley entretinrent une relation symbiotique ; « Je lui dois tant » écrit Chic sur son mentor qui le managea trois fois à Partick Thistle. « Chic est comme un fils pour moi » confie Lambie dans la préface de l’autobio de Charnley, avant d’ajouter « mais bon sang que j’ai souvent eu envie de l’étrangler ! ».