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Définition de « saison de merde » dans le Larousse de la terminologie footballistique (à paraître) : « Saison qui démarre souvent poussivement, connaît généralement une crise de novembre et part ensuite en couille vrillée. Se termine invariablement très mal ». Deux saisons pour le prix d’une pour inaugurer cette nouvelle série, car fusionnelles dans la médiocrité. Le tout  agrémenté d’un bouquet final somptueux. Ceci est peut-être bien aussi un article prémonitoire…

1972 : le début de la fin d’une ère glorieuse pour les Red Devils, celle des Busby Years (1945-1969). L’après Busby est compliqué et depuis quatre saisons, le club traîne un mal-être qui le fait systématiquement s’échouer à une dizaine de points du trio de tête.  Le mythique Matt Busby parti, le club gamberge et la Sainte Trinité Best-Law-Charlton traîne la patte ; Bobby a 35 ans, Denis 32, et George seulement 26 mais la tête ailleurs. Best, en 1972, c’est plus Au Lit Trinity que Holy Trinity

[Ce documentaire exceptionnel, Manchester United Football Family Tree 1968-1993, the lean years – les années de vaches maigres -, revient sur cette période de l’après Busby, de 1’30 à 11 minutes, avec interviews de Docherty, Law, Best, etc. Le tout sans langue de bois !].

Crise à tous les étages

Eté 1972, Man United vient de finir à la 8è place, comme les deux saisons précédentes. Une huitième place n’est jamais glorieuse pour un club comme United mais celles-ci sont particulièrement médiocres : 187 buts encaissés en championnat sur les trois derniers exercices (pour 200 inscrits). Pour ne rien arranger, le voisin Man City fait une razzia sur les trophées sous la houlette du légendaire duo Joe Mercer-Malcolm Allison (D1 en 1968, FA Cup en 1969, Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe et League Cup en 1970).

Une certitude se dessine durant cette période transitionnelle molle : Frank O’Farrell, le placide manager irlandais nommé un peu par défaut été 1971 [1] n’est pas le remède au malaise. Après un début de saison 1972-73 exécrable, le club se retrouve 22è (sur 22) dès la 11è journée. Les nouvelles recrues ne sont pas à la hauteur et le collectif s’appuie trop sur Best et Charlton (Law, souvent blessé, joue rarement).

Aux pépins physiques, les problèmes extrasportifs commencent à s’accumuler pour Best. En novembre 72, il a cassé le nez à une serveuse d’un night-club mancunien et est mis en examen pour coups et blessures. Au procès, en janvier 73, il sera défendu par un de ses potes de comptoir, feu George Carman, un avocat du cru qui entamera son irrésistible ascension vers la notoriété grâce à cette affaire. Carman lui obtient une peine douce, une amende de 100 £ (peu après, Carman apprit qu’il avait été cocufié par Best et voulut payer un caïd pour lui briser les genoux mais l’homme refusa : « Pas question de toucher à Bestie et s’il lui arrive quoi que ce soit, c’est moi qui viendrais te péter les jambes »).

Man United fait peine à voir. En Coupe de la Ligue, les Red Devils se sont fait sortir par Bristol Rovers (D3) et en championnat ils sont lanterne rouge à l’issue de la 18è journée, avec 12 misérables points. Le club passe un sale mois de décembre : 3 lourdes défaites, 1 seule victoire. Une crise résumée ainsi (traduction inutile) dans le livre The official illustrated history of Manchester United :

« By now United had degenerated into something like anarchy, with the dressing room riven by discontent, Best in open revolt and results in freefall. »

Denis Law, dans son autobiographie, parle lui de « saison cauchemardesque ».

Anarchie, vestiaire divisé, chute libre et rébellion de Best (écarté du groupe et en froid avec Bobby Charlton [2]). Fatalement, le couperet tombe pour le distant et effacé O’Farrell, limogé le 19 décembre 1972 après une lourde défaite 5-0 contre Crystal Palace. L’Irlandais part en empochant une forte indemnité de départ (50 000 £, soit cinquante fois son salaire mensuel). Personne ne verse une larme. Denis Law résume ainsi le sentiment général : « O’Farrell était arrivé en parfait inconnu et il est reparti comme tel. »

Mission du nouveau manager : sauver le Soldat Best

Le même jour, le directoire annonce que George Best a fait savoir, de Majorque où il se détend, qu’il prenait sa retraite… Best ne joue plus depuis fin novembre et est alors régulièrement photographié courant les boîtes sélects de Londres et ailleurs, escapades pour lesquelles il sera suspendu. Vraie retraite ou nouvelle fausse alerte [3] ? On sera fixé quelques jours plus tard.

Le 22 décembre, le directoire nomme le nouveau manager : l’Ecossais Tommy Docherty, 44 ans (ci-dessus). Exit le style pincé de O’Farrell, « The Doc » est un ancien milieu rugueux à la grande gueule légendaire qui a particulièrement bien réussi à Chelsea comme entraîneur (février 1961-octobre 1967). Si l’entrée d’Old Trafford avait été une porte de saloon, Docherty l’aurait fait valdinguer d’un grand coup de pompe.
Man United a autant besoin de sa poigne que de sa vision. Le Doc affiche de belles compétences dans deux domaines qui plaisent au directoire : il sait repérer et faire éclore des p’tits jeunes talentueux, tout en sachant éventuellement montrer la sortie à toute vieille garde récalcitrante sans trop s’embarrasser de salamalecs.

La première mission de l’Ecossais est de persuader Best de poursuivre sa carrière (ce qu’il fera rapidement) et, s’il continue, de le remotiver. Best n’a que 26 ans et théoriquement encore du jus en réserve. Beaucoup de jus. Les trois dernières saisons 1969-72, essentiellement sur l’aile, il a claqué 70 buts en 154 matchs et été sacré meilleur buteur du club quatre fois d’affilée depuis 1968.
Toutefois, depuis une bonne année, Best est en mode dilettante. Grâce à un bagage technique hors norme, il a brillamment fait illusion la saison précédente (26 buts en 48 matchs) mais son hédonisme lui a fait rater quantité d’entraînements, en toute impunité. Il vit sur des acquis qui s’épuisent vite.

Best est aussi désabusé. Le club ne forme plus de jeunes de valeur et il a le sentiment que le navire coule. En 1971, Man United a même poussé vers la retraite son talisman Jimmy Murphy, l’ex bras droit de Matt Busby qui rebâtit l’équipe après le crash de Munich et dénicha tant de bons joueurs (voir le film United, où Murphy est magnifiquement interprété par David Tennant). Best dira sur cette période « avoir de plus en plus l’impression de porter l’équipe ».

Deal en carton pour un Best rassasié

La tâche de Docherty s’annonce donc corsée : remplacer les vieillissants Law et Charlton et remettre sur rails un Best physiquement émoussé et de moins en moins impliqué. Côté recrutement, le Doc favorise la filière écossaise (son équipe avec ses imports scots – George Graham, Alex Forsyth, etc. – sera surnommée The Doc’s Tartan Army peu après son arrivée).

Problème de taille : le Doc s’aperçoit vite que Best n’a plus les crocs. Il faut dire que le phénomène a été incroyablement précoce. A 22 ans, il avait déjà tout raflé : le titre national (1965 et 67) et razzia en 1968, avec C1, récompense de Meilleur joueur d’Angleterre et Ballon d’Or (devant Bobby Charlton). Et toujours à 22 ans, il était aussi devenu l’un des joueurs les mieux payés au monde : 1 000 £ par semaine, soit quinze fois plus que la moyenne anglaise de D1, sans parler de ses multiples contrats publicitaires (qui s’amenuiseront au rythme de ses frasques).

Pour s’assurer sa « coopération », Docherty va alors passer un drôle de deal (secret) avec le cinquième Beatle amateur de grasses matinées : entraînement facultatif  le matin – sauf le vendredi veille de match – et réintégration dans le XI titulaire le cas échéant, à condition de rattraper les heures chômées l’après-midi et se tenir tranquille. Un pacte en carton qui fera long feu…

En février 1973, Best est empaté et a définitivement perdu ses principaux atouts d’ailier qui firent merveille : la vivacité et le coup de rein. Pour la troisième fois en dix mois, il reparle de raccrocher les crampons. Docherty le fait changer d’avis.

En fait, Best s’intéresse de près au club, de très près même. Mais au sien : le Slack Alice, un night-club qu’il fait rénover à Manchester avec Malcolm Wagner (« Waggy » [4]), son ancien coiffeur devenu compagnon de déroute et homme de confiance. L’endroit est un ancien pub délabré racheté pour 8 000 £ seulement et qu’il compte transformer en club VIP…

Pendant ce temps-là, mi mars 1973, il reste dix journées et Man United (20è) semble foncer tout droit vers la D2.

A suivre.

Kevin Quigagne.

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[1] Eté 1971, United a peiné pour trouver un manager prêt à succéder à Matt Busby. Jock Stein, était le premier choix du directoire et avait donné son accord. Toutefois, après mûre réflexion, l’homme fort du Celtic se rétracta. La presse le soupçonna d’avoir voulu faire monter les enchères pour revaloriser son salaire au Celtic. Possible, mais il est tout aussi envisageable que son volte-face soit lié au fait que Stein craignait l’influence prégnante de Matt Busby dans la gestion du club (et Stein a en tête l’exemple de Wilf McGuinness, le manager qui succéda à Busby en 1969 – pour un an et demi – et se plaindra de l’interférence de Busby).

En effet, après sa retraite managériale Busby est devenu le bras droit du président-propriétaire, Louis Edwards, et a même accepté de dépanner une demi-saison (décembre 1970-fin avril 71).

L’ombre de Busby plane toujours sur le banc, fait que O’Farrell dénoncera après son limogeage, disant que son travail était rendu impossible par l’omniprésence de Busby, ainsi que ses relations étroites avec les joueurs qui compliquait le travail de l’Irlandais. Réalité ou excuse pour justifier son échec ? Toujours est-il que tout nouvel entraîneur est prévenu : il faudra composer avec Busby.

[2] Best a déjà fait le coup sept mois auparavant, après une tentative de O’Farrell de le transférer. Le 22 mai 1972, le jour de son 26è anniversaire, Best avait officiellement annoncé sa retraite depuis une plage de Marbella, avant de se revenir sur sa décision après une discussion avec Matt Busby.

[3] Dans la première biographie sur George Best (George Best: An Intimate Biography, sortie en 1975 et écrite par son ami Michael Parkinson, le Michel Drucker de la TV anglaise – il n’a pas quitté la téloche depuis 1963), Best revient sur son intense inimitié avec Bobby Charlton. Extrait : « Je ne me suis jamais entendu avec Bobby Charlton, je ne pouvais tout simplement pas l’encadrer. Surtout les trois dernières années à Man United, on ne s’est même pas adressé la parole, sauf pour se dire « bonjour » et encore, si on était de bonne humeur. »

[4] Auteur de l’excellent George Best and Me: Waggy’s Tale (2010).