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Douze ans après son arrivée à la tête de Manchester United, Matt Busby a enrichi la vitrine de sept trophées et amené de la rigueur et de la régularité à un club qui en était dépourvu. La saison 1956-1957 est sans doute son apogée : 57 matchs dont 38 victoires et 143 buts, record du club [1]. Trois Busby Babes sont à l’origine de ce festin offensif : Dennis Viollet, Thomas ‘Tommy’ Taylor et William ‘Billy’ Whelan, 93 buts à eux trois.

Dennis Viollet est le premier à signer. Sa famille appartient pourtant au clan Citizen, et tout porte à croire que les prédispositions techniques dont il fait étalage dans l’équipe des Schoolboys de Manchester, puis dans celle des Lancashire Boys, l’amèneront à Maine Road [2]. Frank Swift, gardien de but de City de l’époque, l’a croisé à de multiples occasions et, convaincu du potentiel du jeune garçon, a arrangé une réunion avec un recruteur. Le jour venu, Dennis et son père se présentent à Maine Road, et attendent plus d’une heure. La passion ayant ses limites, ils demandent des informations à une secrétaire, qui leur répond que ledit recruteur a quitté le bâtiment pour un autre rendez-vous. Jamais Dennis ne portera le maillot de City.

A quelques miles de là, Joe Armstrong se frotte les mains. L’ancien technicien des télécommunications au General Post Office, appelé par Busby pour devenir le responsable du recrutement à Old Trafford, suit les premiers pas de Dennis avec beaucoup d’intérêt. Il en touche deux mots à Busby, qui n’hésite pas à se rendre chez les parents Viollet, accompagné de son adjoint Jimmy Murphy, pour les convaincre de laisser leur fils aux mains des voisins en leur expliquant le projet qu’ils commencent à mettre en place, dont le récent succès en FA Cup n’est qu’un avant-goût. Littéralement séduits, les Viollet s’en remettent néanmoins à l’avis final de Frank Swift. Celui-ci ayant appris la nouvelle de la réunion avortée, il leur conseille d’accepter : « J’ai joué avec Matt Busby et c’est un super mec. Vous ne trouverez pas de meilleur boss ou de meilleur club. » Dennis signe le 1er septembre 1949 ; il n’a pas encore 16 ans.

Dennis Violett

Son nom étant l’homophone d’une fleur, emblème de la modestie, Dennis prend son temps pour éclore. Aux côtés de Jackie Blanchflower (un duo parfumé) ou de Jeff Whitefoot, il muscle son jeu, parfait sa finition et enfile les buts. Passe professionnel le jour de ses 17 ans. Gratte du temps de jeu, gagne ses premiers trophées en tant que réserviste. Et joue ses deux premiers matchs au sein de l’équipe première pour deux matchs amicaux, au milieu de l’année 1951.

Puis c’est la conscription. Six mois pendant lesquels il quitte femme, enfant et Old Trafford pour rejoindre un régiment de cavalerie de l’Armée de terre. A son retour, il doit lutter pour rattraper le temps perdu et, enfin, prétendre à une place en équipe première. Le 1er mars 1953, il voit arriver un rival de poids : Tommy Taylor, 21 ans, 1,80m pour 79kg. On devine chez le nouvel arrivant un physique de mineur, métier qu’il a pratiqué à 14 ans avant qu’il n’embrasse la carrière de footballeur à Barnsley. Avant et après son intermède militaire, il trompe les gardiens adverses à 26 reprises en 44 matchs. La deuxième division semble trop petite pour son talent naissant, et United l’achète pour 29,999£, afin de ne pas l’étiqueter comme « joueur à 30,000£ » (Busby fera don du pound restant à une tea lady). Taylor est titularisé six jours après son arrivée contre Preston North End et marque deux des cinq buts de l’équipe. Son avenir en rouge semble tout tracé.

Viollet s’impose au fil des saisons comme le pendant de Taylor : l’un est petit et vif, l’autre est robuste et puissant. La saison 1953/1954 marque la naissance de leur relation, qui ira crescendo jusqu’à 1957 : Taylor termine meilleur buteur du club trois années de suite. Une curiosité, cependant : si celui-ci est régulièrement appelé en équipe d’Angleterre, avec succès (16 buts en 19 matchs), Viollet est remarquablement ignoré.

Deux mois tout juste après la signature de Taylor, c’est Billy Whelan qui fait son apparition dans l’effectif Rouge. Le jeune Dublinois a filé à l’irlandaise de son club de Home Farm, comme son compatriote Johnny Carey en 1936, tous deux ayant pour point commun d’avoir été recruté par Billy Behan. Mais, à la différence des autres, ce transfert est d’abord envisagé dans une vision court-termiste : John Doherty est blessé et il manque un joueur pour la finale aller de la FA Youth Cup contre les Wolves. Whelan éclabousse la rencontre de son talent et porte le pied dans la plaie de ses adversaires (7-1). Après un tournoi joué en Suisse, Whelan croise les yeux doux d’un club brésilien, qui formule une demande à United. Busby et ses adjoints refusent, tout comme ils refuseront l’offre phénoménale de 65,000£ avancée pour Tommy Taylor, à la fin de la saison 1956/1957. Ils se moquent de l’argent. Il leur suffit d’attendre le bon moment pour lancer les fruits de leur cellule de recrutement dans la grande corbeille. Ce sera, pour Whelan aussi, un match contre Preston North End, le 26 mars 1955.

Billy Whelan

Whelan progresse vite, tant et si bien qu’en cette fameuse saison 1956/1957, il fait corps avec Viollet et Taylor pour créer un trio qui marche sur les défenses anglaises. En septembre et octobre, l’Irlandais marque un but lors de chacun des huit matchs consécutifs. Invaincu sur les douze premiers matchs, United occupe 38 fois la première place sur les 42 journées de championnat, dont la dernière. Le parcours en FA Cup est un peu plus hésitant. Par deux fois les Babes manquent de se faire sortir par une équipe de Division Three (actuelle League One) : Hartlepool au troisième tour (4-3), puis Bournemouth en quarts de finale (2-1).

La campagne européenne, elle, démarre comme l’exercice national : par une série de succès. Au tour préliminaire, United rencontre Anderlecht. A l’aller, Viollet et Taylor assurent une victoire confortable (2-0). Deux semaines plus tard,  le retour tourne à la démonstration : quadruplé de Viollet, triplé de Taylor et doublé de Whelan (10-0). United passe le premier tour contre Dortmund (3-2), et la presse commence à parler de triplé. Le quart de finale aller contre l’Athletic Bilbao s’avère rocambolesque. Avant le match, d’abord : la descente en avion sur Bilbao tourne au calvaire, la faute à un blizzard persistant qui gêne considérablement le pilote. Estimant la piste d’atterrissage impraticable, celui-ci choisit finalement un champ à proximité pour se poser. Pendant le match, ensuite : la pelouse de San Mames est enneigée, mais le calendrier condamne les Anglais à jouer, au risque de devoir déclarer forfait pour le match de championnat suivant. Mené 3-0 à la pause, puis 5-2 à deux minutes de la fin, United se réveille grâce à Billy Whelan, qui, récupérant le ballon au niveau de la ligne médiane, s’en va dribbler quatre défenseurs avant de décocher une frappe sous la barre de Carmello. Ce but ranime l’espoir, il faudra trois buts d’écart au retour, ou deux pour jouer un barrage. A Old Trafford, Viollet et Taylor préparent le gâteau, et Berry place la cerise (3-0).

Tommy Taylor (à l'extrême gauche) marque le deuxième but du match retour, face à l'Athletic Bilbao

Mi-avril 1957, United retourne en Espagne pour affronter le Real Madrid. Malgré la fougue et la jeunesse des Busby Babes, l’affaire s’annonce délicate. Devant 120 000 spectateurs, ils sont battus par meilleurs qu’eux (3-1). La réduction du score par Taylor entretient néanmoins l’espoir. Surtout que l’équipe se présente au match retour en tant que néo-champion, sacré à trois journées de la fin, et en lice pour une victoire en FA Cup. La dynamique semble favorable, mais Kopa et Rial douchent rapidement les ambitions de Busby. Taylor et Charlton sauvent l’honneur et permettent de tenir le match nul, une moindre satisfaction. [3]

Le 4 mai, United aligne Taylor et Whelan pour la finale de FA Cup, à Wembley. 100 000 spectateurs assistent au sacre d’Aston Villa, que l’ultime but de Taylor en fin de match ne ternit pas  (2-1).

Dennis Viollet et Tommy Taylor terminent meilleurs buteurs de la Coupe d’Europe, dans cet ordre. Liam Whelan termine meilleur buteur du club, avec 26 buts en 39 apparitions. Le trio part sur les mêmes intentions la saison suivante, bien que Whelan soit légèrement mis en retrait. Jusqu’au 6 février 1958, alors que United rôde à six points du leader du championnat, Wolverhampton, et s’est qualifié pour le cinquième tour de FA Cup ainsi que pour les demi-finales de la Coupe d’Europe, on parle encore de triplé dans les rédactions mancuniennes. Le crash de Munich brise net cet optimisme, en même temps qu’il ôte la vie de 23 hommes, dont celles de Tommy Taylor et Billy Whelan. Du trio, seul Denis Viollet demeure vivant, et apte à la pratique du football. Il poursuit sa quête en contribuant à la victoire contre le Milan AC, en demi-finale aller de la Coupe d’Europe (2-1). Deux ans plus tard, il marque 32 buts en 36 journées de championnat, record inégalé. Puis quitte le club en 1962, laissant derrière lui une ligne de statistiques éloquente : 179 buts pour 293 apparitions, l’un des meilleurs ratios buts/matchs du club, derrière Ruud van Nistelrooy et Tommy Taylor.

« Aucun joueur n’a pris davantage de plaisir que moi à jouer au football. Mais je me retire avec tristesse ; je vois que le jeu est en train de changer. Les individus se réduisent, le football est désormais une organisation quasi militaire. Pourtant, j’ai eu le privilège de passer la majorité de ma carrière dans un club que j’ai toujours considéré comme le meilleur au monde – Manchester United ! Durant ces années, et après, j’ai joué avec des géants comme Duncan Edwards, Roger Byrne, Tommy Taylor, et d’autres. J’ai également été très ému de jouer au côté de l’illustre Stanley Mathews, et face à d’imposants footballeurs tels que Puskas et Di Stefano. Pour moi, c’étaient des rois du football, dominant le jeu par leur intelligence et leur énorme autorité. Aujourd’hui, malheureusement, les rois sont partis. »

Il ne reste que des textes et des images pour les célébrer, des acteurs pour les incarner et des peintres pour les magnifier.

Matthew Dymore

[1] Dépasser les cent buts en championnat était chose usuelle dans le championnat anglais des années 30 et 50. Lors de la saison 1930-1931 (22 clubs), trois équipes parviennent à franchir la barrière : Sheffield Wednesday, 3ème avec 102 buts ; Arsenal, 1er avec 127 buts ; Aston Villa, 2ème avec 128 buts, un record aujourd’hui quasi-inaccessible. Au ratio, c’est néanmoins Sunderland qui mène la danse : 3,33 buts par match en 1892-1893 (16 clubs).

[2] Entendu ici comme l’antre de City. A la fin des années 40 et 50, United l’utilisa comme substitut d’Old Trafford, dont une partie fut détruite pendant la guerre. Il leur en coûta 5,000£ par an à la location.

[3] Nous en parlions déjà ici.

Les trois photos sont issues de « The Official illustrated history of Manchester United », par Alex Murphy (l’autre), paru chez Orion en 2006, et de « The Big Book of United », par James Ward, paru en 2011.

A lire :

Le site consacré à Dennis Viollet, duquel est tiré une partie de cet article.

Une base de données sur  Manchester United.

Une base de données sur le football en général.

A voir :

United (2011), de James Strong, qui retrace l’ascension des Busby Babes jusqu’au crash de Munich.