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Ça y est, les hommes en blanc du Team TK viennent d’extraire Chic Charnley de la salle capitonnée. Après l’intouchable Lars Elstrup en février 2012, ce bon Chic mauvais genre est donc le deuxième spécimen à illuminer notre galerie d’allumés. Chic aurait pu devenir une figure du foot écossais où il sévit de 1982 à 2003. Au lieu de ça, il sera son enfant terrible et restera comme l’un des plus grands originaux du foot british.

Le freak, c'est Chic.

Le freak, c'est Chic.

La préface de Seeing Red, son autobiographie publiée en 2009, dégaine ainsi : Chic Charnley est l’un des personnages les plus controversés et colourful du football écossais. Tu l’as dit MacBouffi. Ce bad boy fut aussi, au début des années 80, l’un de ses grands espoirs mais son indiscipline et sa réputation effrayèrent les clubs majeurs, à l’instar de Robin Friday en son temps. Ce qui explique sa grande vadrouille : 15 clubs et 20 transferts en 21 ans de carrière, de l’Écosse à l’Irlande, en passant par la Suède, l’Angleterre et l’Irlande du Nord.

Cet athlétique milieu de terrain qui grandit dans l’un des plus durs quartiers de Glasgow, et préféra partir picoler avec ses potes au Portugal un été plutôt que d’accepter une offre du Celtic (son club de toujours), collectionna 17 cartons rouges dans sa chaotique carrière, à une époque où on les distribuait avec parcimonie. Une légende en Ecosse – quasi inconnu ailleurs – que Teenage Kicks se devait de vous présenter, histoire d’éviter la faute professionnelle.

[Cliquer sur les photos peut rapporter gros]

Premier essai chez les pros : il finit pinté

Chic Charnley est honnête. Contrairement à la majorité des footballeurs à fort potentiel qui ont merdé mais déclarent presque fièrement « qu’ils ne changeraient rien si c’était à refaire », Chic, lui, n’esquive pas : « Si je pouvais remonter le temps et l’effacer, je changerais 95 % de ma carrière. En vingt ans, je n’ai gagné aucun trophée, que dalle […] Ça me fait mal de l’admettre mais il faut être honnête avec soi-même. Des regrets, j’en ai à la pelle, des millions. » Reconnaître ses errements, Chic le sanguin ne peut faire autrement. Son parcours au long cours, riche en anecdotes improbables, n’aura été qu’une suite de succès immédiatement plombés par de spectaculaires dérapages.

C’est dans le quartier glasvégien sinistré de Possilpark (ci-dessus) que Chic grandit. Un coin si terrifiant, écrit-il, que même les rottweilers vagabondent en bande. Cadet d’une fratrie de six frères et soeurs, élevé par ses grands-parents, James (son vrai nom) est rapidement surnommé Chic car, dès 9 ans, il monte dans sa cité un trafic de chickens congelés (évidemment tombés du camion) que l’un de ses oncles lui refile. James devient Little Chicken, puis Chic.

Père alcoolique, mère dépassée, à 16 ans Chic « s’échappe de l’école » comme il dit et dégote un boulot de magasinier. Son maigre salaire lui sert à suivre son club, Celtic. Il excelle balle au pied et en 1982, à 19 ans, il réussit un superbe coup : il tape dans l’oeil des scouts de Heart of Midlothian (club de D1 d’Edimbourg) qui l’invitent pour un essai d’une semaine avec la réserve. Chic aurait évidemment préféré le Celtic mais l’occasion est inespérée pour ce jeune qui n’a connu que des petits clubs de quartier.

L’essai se passe bien et le dernier jour, Sandy Jardine [1], le manager adjoint de Hearts, lui offre un verre dans un pub. Probablement pour tester son hygiène de vie qui lui semble suspecte… Sans s’en rendre compte, Chic descend six pintes quand Jardine n’a le temps d’en boire que deux. Chic s’est grillé. Hearts ne donne pas suite. La lettre de rejet indique laconiquement « que le club recherche un joueur plus expérimenté ». Plus sobre aussi sans doute.

Premier contrat pro : il agresse son manager

Ses qualités d’excellent passeur et de milieu-aboyeur créatif commencent cependant à se savoir et quelques semaines plus tard, après un essai concluant, il décroche un petit contrat semi-pro chez les Saints de Saint Mirren, club de la banlieue de Glasgow, là où Alex Ferguson fit ses débuts comme manager (octobre 1974 à mai 1978). Là encore, Chic peut être fier de lui car St Mirren évolue parmi l’élite et disputait même la C3 deux saisons auparavant, en 1980-81, après avoir fini 3è en championnat (sorti par Saint-Etienne, ci-dessous photo du programme de match).

Chic évolue avec la réserve mais frappe à la porte de l’équipe première. S’il ne faisait pas tant la bringue, il y serait déjà. Car Chic sort beaucoup. Il n’est certes pas le seul mais contrairement aux autres, il affiche publiquement son goût pour la boisson au point de se transformer en homme-sandwich pour Heineken. Même lors des sorties collectives où ses coéquipiers limitent leur consommation par crainte des engueulades ou sanctions, lui enchaîne bruyamment les pintes et vodka coca (yes, vodka coca…).

Malgré son grand talent, Chic ne disputera qu’un match avec les Buddies (les « Potes », l’autre surnom de St Mirren), en avril 1983. Il n’a pas spécialement démérité lors de ce baptème du feu mais le manager, l’ex Rangers Alex Miller, l’a dans le collimateur.
La goutte d’eau de vie arrive en toute fin de saison quand, histoire de le dresser un peu, Miller lui ordonne un jour de… nettoyer les chaussures des joueurs ! Le rôle de boot-boy était certes courant alors dans le foot britannique, mais seulement pour les jeunes stagiaires. A 20 ans et en tant que (semi) professionnel, Chic ressent cela comme une humiliation. Il refuse et le ton monte vite. Chic pète alors un cable, il se saisit d’une paire de groles et les balance sur son entraîneur en gueulant « Clean them your fuckin’ self ». Sa carrière au mal nommé Love Street (nom du stade) est terminée avant d’avoir commencée. Et peut-être pas qu’à Love Street, se dit-on.

Contrats suivants : commissariat et plate-forme pétrolière

Malgré son casier déjà chargé, il réussit à signer à Ayr United, petit club de D2 de la côte sud-ouest à 70 kms de Glasgow, un comté (Ayrshire) surtout connu pour son aéroport lowcost, Prestwick, célèbre pour être le seul endroit du Royaume-Uni où Elvis Presley posa les pieds (escale durant son service militaire). Le passage du Chic pourrait s’avérer plus rock ‘n’ roll que celui du Pelvis. Peut-être bien aussi sa dernière chance. Now or never.

Mais que nenni. A Ayr, Chic s’oxygène et se refait une santé sportive. Il dispute 17 matchs (3 buts) et participe largement au maintien du club. La tranquillité du coin, loin des tentations glasvégiennes, semble avoir zénifié notre Chic.

Impression trompeuse car en fin de saison c’est la rechute. De retour à Glasgow le temps d’un week-end, il se prend une telle cuite qu’il finit dans un caniveau. La police arrive, Chic s’énerve. Les cops l’embarquent sur l’air de Jailhouse Rock, direction la cellule de dégrisement. Il lui faudra 36 heures pour dessaoûler. Après une brouille avec Ayr United, Chic décide de raccrocher les crampons, à 21 ans seulement.

[Ne partez pas Dear readers, Chic va changer d’avis]

Un mois plus tard, un pote lui propose de venir entraîner les jeunes dans son club très amateur de Nairn County tout en bossant sur une plate-forme pétrolière en Mer du Nord, 15 jours on, 15 jours off. Chic hésite. Nairn est un bled des Highlands vraiment paumé et il ne sait trop comment il s’acclimatera à cette Ecosse si profonde et reculée qu’on croit encore qu’un monstre préhistorique crêche au fond d’un lac. Il finit par accepter, après tout se dit-il, l’éloignement de Glasgow lui fera du bien et ce boulot est très bien payé, 1 800 £/mois. Sa carrière pro semble alors totalement enterrée.

Trois ans s’écoulent, durant lesquels Chic joue occasionnellement pour le minuscule Nairn County, sans trop se soucier de l’avenir mais en gardant un oeil dans le rétroviseur. Forcément. Quand on a goûté au foot pro, difficile à seulement 24 ans d’accepter la routine d’une vie pépère, même grassement rémunérée. Un jour où il s’ennuie, il file sur Glasgow retrouver quelques vieux potes. L’un d’eux se désole de sa situation : « Chic, t’étais trop bon pour arrêter le foot pro si jeune. Ecoute, je connais un mec qui peut t’aider à remettre le pied à l’étrier. » Chic accepte et les pérégrinations reprennent : il signe à Pollok, un club semi-pro ambitieux de la banlieue sud de Glasgow qui lui offre 4 000 £ à la signature. Ambitieux mais limité, Pollok n’évolue même pas en Scottish Football League (D1 à D4).

Il démarre la saison en allongeant l’entraîneur-adjoint

Chic ne disputera aucun match officiel pour Pollok. Il n’y reste que quelques semaines car un bien plus gros poisson l’a contacté entre-temps : Clydebank, club de l’ouest glasvégien qui vient de descendre en D2. Un club très folklo qui sera sponsorisé quelques années plus tard par le groupe local Wet Wet Wet (!) avant d’être liquidé en 2002 (puis reformé l’année suivante).

Chez les Bankies, Chic retrouve son mojo au milieu : 31 matchs, 11 buts. Et seulement deux cartons rouges de la saison. Mais le conte de fée est éphémère. Fin août 1988, lors d’un match de championnat, l’un de ses coéquipiers, Brian Wright, se prend un violent coup de coude d’un dénommé John Boag ; 4 dents éclatées, sorti sur civière. A la mi-temps, Clydebank est mené et l’entraîneur adjoint, Jimmy Gervaise, prend l’agresseur en exemple pour remotiver ses troupes : « Vous avez vu ce qu’a fait John Boag sur Brian, hein ? Et ben c’est ce genre d’attitude de guerrier que je veux que vous ayiez. Est-ce que vous allez me montrer cette attitude ? »

A entendre son propre Number 2 approuver l’agression d’un adversaire sur l’un des leurs, le sang chaud de Chic ne fait qu’un tour. A la question de Gervaise, il répond : « On fait comme ça ? » tout en illustrant son propos d’un crochet au menton. Viré sur le champ.

Chic ne reste toutefois pas longtemps les pieds croisés. Il semble qu’il y ait toujours un manager tête brûlée ou masochiste quelque part qui pense pouvoir tirer la quintessence de l’histrion sans causer trop de dommages collatéraux. Après une pige à Hamilton Academical (promu en D1), il atterrit à Partick Thistle, D2 (surnommé les Jags). L’historique Thistle est hiérarchiquement le troisième club de Glasgow, un larron désargenté qui se gausse haut et fort du tribalisme de clocher Old Firm. Les supps aiment entonner ce chant brutalement égalitaire :

Hello, how do you do?
We hate the boys in royal blue
We hate the boys in emerald green
So fuck the pope and fuck the queen

Et c’est dans ce club décalé que Chic trouve enfin son équilibre, comme s’il avait besoin d’un environnement farfelu pour s’épanouir. Entre 1988 et 1991, il devient une légende Jags : 22 buts en 73 matchs, stat canon pour un milieu de terrain. Malgré son addiction au carton rouge (tacles musclés, bagarres, embrouilles avec arbitres) et une inconstance chronique, Charnley trouve une certaine plénitude et se rend indispensable. La personnalité déjantée du manager, John Lambie, y est pour quelque chose.
Un jour par exemple, après un non match de ses joueurs, Lambie passe un savon carabiné à chacun d’entre eux dans le vestiaire, un par un. En arrivant sur Declan Roche, un jeune Irlandais qui vient de débarquer au club, il sort un pigeon vivant de son survêtement et s’approche de Roche en hurlant :

« Tu vois ce pigeon espèce de bâtard d’Irlandais, et ben t’es aussi utile que ce piaf sur un terrain. »

Sur ce, il tord le cou du pauvre animal et le balance au visage de Roche, terrifié ! [2].

Chic Charnley (à gauche) et Ally McCoist (droite) chahutent le mythique John Lambie, en 2007

Chic Charnley (à gauche) et Ally McCoist (droite) chahutent le mythique John Lambie, en 2007

Charnley n’acquiert pas ses lettres de noblesse Jags que pour ses prestations, ses frasques hors normes lui conférent un statut de cult hero inoxydable. Un jour, à l’entraînement, deux cailleras…

A suivre.

Kevin Quigagne.

Dans la même série TK des grands tarés du foot british :
Lars Elstrup

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[1] Rangers & Hearts legend et ex international écossais, + de 1 000 matchs professionnels ! Malheureusement atteint d’un cancer actuellement.

[2] Dans son autobio, Charnley précise que le pigeon était très malade et allait mourir… John Lambie aimait les pigeons (il était pigeon fancier, hobby répandu au Royaume-Uni) mais il était surtout bien azimuté. Ses dix saisons à Partick Thistle  (trois passages, et trois montées) furent parfois dignes du Crazy Gang de Wimbledon. Lambie et Charnley entretinrent une relation symbiotique ; « Je lui dois tant » écrit Chic sur son mentor qui le managea trois fois à Partick Thistle. « Chic est comme un fils pour moi » confie Lambie dans la préface de l’autobio de Charnley, avant d’ajouter « mais bon sang que j’ai souvent eu envie de l’étrangler ! ».

Quand Lars Elstrup est sacré champion d’Europe avec le Danemark fin juin 1992, il a 29 ans. C’est un gars sain, poli et propre. Un Danois, quoi. Quinze mois plus tard, il s’est fait rebaptiser Darando (Le fleuve qui se jette dans la mer) et moisit dans une secte d’allumés. Retour sur une après-carrière inédite.

On en sait peu sur Lars. Fort heureusement, le moignon de souvenirs que nous a laissés le Danois suffit largement. L’air de rien, des Danois excentriques qui ont évolué dans le foot anglais, on en dénombre quelques uns – Thomas Gravesen, Stig Tøfting ou même Jan Sørensen, qui entraîna Walsall (où il recruta Roger Boli, qui signa ses débuts d’un superbe hat-trick). Une certitude cependant : on est pas près de revoir un spécimen comme Lars Elstrup. Il était donc l’énergumène idéal pour inaugurer cette série.

Aujourd’hui, suite et fin de la première partie.

Nouvelle secte mode auto-entrepreneur

Pour faire prospérer nos fermiers hippies, le gourou Michael Barnett a trouvé une solution bien moins contraignante que de remplir des dossiers de subventions européennes : siphonner directement le compte bancaire d’Elstrup. Ce dernier finit par s’en apercevoir et se brouille avec l’Anglais. Il fonde alors sa propre secte, la Solens Hjerte (le Cœur du Soleil) et reprend son vrai nom. Il résume sa philosophie profonde ainsi :

« Vivons le moment présent, hier est le passé, demain est l’avenir […] Je me situe dans l’interaction avec les autres, je soutiens l’individu en l’aidant à trouver ses propres vérités enfouies et se connecter davantage avec lui-même et Dieu. Pour ce faire, j’utilise le yoga, la thérapie de groupe et la sophrologie. En utilisant ces techniques, j’aide l’individu à démêler l’écheveau de ses nœuds intérieurs, afin de se sentir plus libre et épanoui. »

Fin 1994, le bilan est mitigé, il n’a réussi à attirer qu’une poignée d’illuminés. Elstrup sombre alors dans une longue dépression et refuse tout contact avec le monde extérieur. Il déclarera plus tard :

« J’ai tenté de me suicider plusieurs fois, en me coupant les veines et aussi en me pendant. J’ai même appelé un médecin anonymement pour qu’il m’injecte un produit létal. Je voulais aller aux USA pour voir s’ils avaient ces cliniques où l’on pratique l’euthanasie mais j’avais la phobie de l’avion. Je n’ai vu personne pendant longtemps et suis resté au lit pendant deux ans. Je ne souhaitais qu’une chose : mourir. »

Puis un beau jour de Noël 1999, histoire de s’aérer le corps et l’esprit, Lars décide de sortir en ville revoir le monde extérieur…

Une version inédite des Petits Papiers de Noël

Noël 1999, quand Lars débarque dans le centre-ville d’Odense, il n’a pas vu un être humain normal depuis six ans. Les rues sont bondées et il se positionne à l’entrée d’une galerie commerciale. Il est habillé légèrement et porte une corde bleue autour de la taille. Il jette une écharpe au sol et commence à faire la manche.

A l’évidence, sa tactique n’est pas au point car il ne récolte que 27 couronnes (3.50 €) en trois heures. Cela le vexe et il change radicalement de stratégie. Il décide de livrer sa version hardcore des « Petits Papiers de Noël », sacrément plus fun que celle de Jean-Pierre Descombes. On est en fin de manche et il tente un coup de poker jamais mentionné dans les manuels de coaching. Il fait entrer en jeu un joker au profil peu orthodoxe : son pénis. Il fait alors tournoyer Popaul façon Apocalypse Now tout en criant des obscénités.

le "happening" d'Elstrup

La technique de manche de Lars : le majeur en érection (3.50 € récoltés)

Certains passants l’insultent, les enfants pleurent, les retraités s’évanouissent. La police intervient, Elstrup se rebiffe et frappe violemment un policier ainsi qu’un jeune garçon.

Son wiki anglais nous précise qu’Elstrup est « arrested for indecent exposure, after dick-slapping a school child » (frapper quelqu’un avec sa verge, même en extension, jolie prouesse).

A la politiet, il déclare :

« J’étais venu en ville pour passer un bon moment. J’ai frappé un jeune garçon car il m’avait insulté, mais j’aurais dû le frapper plus fort, ce gamin méritait une bonne correction. »

Peu après ce Noël festif, il s’explique dans la presse danoise :

« Je fais cela pour provoquer. J’aime voir les réactions des gens. Certains peuvent interpréter mon message comme une insulte, d’autres comme une invitation au sexe. Je ressens les réactions des gens très profondément et j’adore le fait que les gens me reconnaissent. »

Après un séjour en hôpital psychiatrique, il part en errance puis retourne parmi les membres de sa secte. Toutefois, ces derniers lui ont barboté son chien. Une dispute éclate, il profère des menaces de mort et est arrêté. Il portera plainte contre la secte en déclarant : « Ces gens de la secte sont inhumains, ils m’ont même volé mon teckel Devi et ils me doivent 190 000 couronnes [25 000 €]. Je suis prêt à porter l’affaire devant la Cour Européenne des Droits de l’homme. »

Un double comeback footballistique anglo-danois

Début 2000, coup de théâtre. Elstrup a presque 37 ans, n’a plus touché un ballon depuis sept ans mais son ancien club d’Odense le prend en pitié et lui offre un essai. Il arrive gonflé à bloc :

« Mon esprit est purifié. Je suis prêt pour un retour. »  (voir clip).

Dans la foulée, il annonce aussi vouloir… rejouer en équipe nationale :

« Je ne me connais pas de limites, ma vie est remplie de joie. Je pense pouvoir rejouer pour le Danemark et disputer l’Euro 2000. »

Physiquement, il n’y est plus et le club arrête les frais au bout de cinq jours. Embrouille. Elstrup exige d’être payé pour l’essai. Odense refuse et le vétéran disparaît dans la nature, en déclarant :

« J’ai trop précipité mon retour. Mon corps n’était pas sur la même longueur d’ondes que mes pensées et je me suis blessé. Je suis un traitement efficace qui me permet de respirer profondément. Quand vous respirez de la sorte, vous entrez en contact avec des parties de votre corps qui sont difficiles à accepter. Et c’est quand vous vous confrontez à ces éléments nuisibles que vous pouvez vous accepter. »

Mars 2000, il prend un studio sur Odense et reprend le football amateur. C’est devenu une bête curieuse et Sky TV vient même le filmer dans le cadre d’une émission sur le foot international, Futbol Mundial. En septembre 2000, se tient son procès de la double affaire d’exhibitionnisme et menaces de mort. Il assure lui-même sa défense :

« Je n’ai rien fait de mal ce jour-là à Odense. La corde bleue que j’avais symbolise la prison dans laquelle nous vivons tous, nos limitations et cette angoisse permanente. Je n’ai pas besoin d’aide, je ne suis pas fou, contrairement à ce que les gens disent […] Oui, j’ai frappé des gens lors de l’arrestation, ils m’avaient insulté. […] Oui, j’ai proféré des menaces de mort envers le leader de la secte du Cœur du Soleil. Mais ce n’était pas une menace physique, c’était son égo surdimensionné que je voulais éliminer, pas lui directement. »

Elstrup s’en tire avec une grosse amende.

Fin mai 2001, il part se ressourcer en Angleterre, un séjour qui ne passera pas inaperçu. Le sachant dans les parages, les journalistes de NME l’invitent pour un match de foot contre ceux de Loaded. Les musicos sont surpris de voir Lars entrer sur le terrain en simple slip. Pour toute explication, il leur lance :

« Je joue pour m’amuser mais aussi pour gagner. »

Et en plein match, il se pisse volontairement dessus tout en dispensant de précieux conseils médicaux à ses coéquipiers :

« Buvez plus d’eau les gars, vous jouerez mieux, comme moi. Et vous pisserez blanc, la pisse jaune, c’est pour les losers. »

Il marque cinq buts dans ce match qui se termine 9-7. Ses team-mates lui proposent de disputer la troisième mi-temps au pub. Le pisseux décline l’invitation par un sibyllin « No, pussy » et s’éloigne sans rien dire. Juillet 2001, il est arrêté en plein Trafalgar Square en train de se faire photographier nu et déféquer au milieu des pigeons et des touristes.

Après les séminaires New Age, l’autobiographie, enfin !

Lars Elstrup en plein cours magistral au séminaire

Lars Elstrup en plein cours magistral au séminaire

Jusqu’en 2007, il organise des séminaires New Age sur l’introspection et la beauté intérieure, toujours sur l’île de Funen (versement non-introspecté de 30 % d’arrhes exigé). Feu le site larselstrup.dk contient alors de flippantes photos de lui, entièrement nu et entouré d’animaux. Pour faire bonne mesure et ratisser large, il y a aussi mis quelques clichés féminins de fesses dodues.

Lars présente l’expérience comme « une exploration intérieure pour guérir son Moi et s’épanouir pleinement. Un cheminement qui permettra d’atteindre des niveaux de conscience très élevés et utiliser sa puissance intérieure pour se ré-énergiser. »

Dans une interview de mai 2011, livrée au tabloïd danois B.T (ici), Elstrup révèle qu’il écrit son autobiographie. En guise de campagne de lancement, il envisage de courir nu sur la pelouse du Odense BK en hurlant aux joueurs « Passe-moi la balle, je connais bien le terrain. » Espérons qu’il ne demande pas au régional de l’étape Bernard Mendy de lui centrer le ballon. Quand le journaliste lui demande (voir lien ci-dessus) : « Etes-vous vraiment fou Lars ? », Lars répond, le plus naturellement du monde :

« Je ne catégorise pas les gens comme fous, mentalement malades ou maniaco-dépressifs. Je me suis toujours senti normal. […] Larrestation lors de l’incident du centre commercial était une expérience sympa. C’est un bon « happening« . En sortant de garde à vue, j’ai de nouveau porté une corde bleue et c’était fun. […] Mon image n’a jamais rien signifié pour moi. Je n’ai jamais voulu être un héros national. C’est venu comme ça et puis j’ai connu des moments difficiles. »

Et c’est vrai qu’à presque cinquante ans, il a l’air épanoui et zen le Lars (voir photo ci-dessous). En tout cas, son autobio devrait déchirer un peu plus que celle de Michael Owen.

Kevin Quigagne.

Lars en mai 2011, enfin épanoui.

Lars en mai 2011, enfin épanoui.

La carrière et vie de Lars Elstrup en résumé

Saison            Club/Activité             Apparitions/Buts

1981-1985    Randers Freja            136 / 59
1986-            Brondby IF                    7 / 2
1986-1988    Feyenoord                  65 / 9
1988-1989    Odense BK                 28 / 17
1989-1991    Luton Town (D1)       60 / 27
1991-1993    Odense BK                 44 / 24

1993-1995    Secte Oie Sauvage       nues
1995-2000    Secte Cœur de Soleil    rares
2001-2002    Libre                            indécentes
2002-2007    Séminaires New Age    tarifées
2011              Écriture/interviews      nues sur un rocher

34 sélections en équipe nationale du Danemark (1988-93), 13 buts.
Champion d’Europe avec le Danemark à l’Euro 92
Champion du Danemark 1989 avec Odense BK
Vainqueur de la Coupe du Danemark avec Odense BK, 1993

Quand Lars Elstrup est sacré champion d’Europe avec le Danemark fin juin 1992, il a 29 ans. C’est un gars sain, poli et propre. Un Danois, quoi. Quinze mois plus tard, il s’est fait rebaptiser Darando (Le fleuve qui se jette dans la mer) et moisit dans une secte d’allumés. Retour sur une après-carrière inédite.

On en sait peu sur Lars. Fort heureusement, le moignon de souvenirs que nous a laissés le Danois suffit largement. L’air de rien, des Danois excentriques qui ont évolué dans le foot anglais, on en dénombre quelques uns – Thomas Gravesen, Stig Tøfting ou même Jan Sørensen, qui entraîna Walsall (où il recruta Roger Boli, qui signa ses débuts d’un superbe hat-trick). Une certitude cependant : on est pas près de revoir un spécimen comme Lars Elstrup. Il était donc l’énergumène idéal pour inaugurer cette série.

Une belle carrière clean

Lars Elstrup naît (en 1963) sous une bonne étoile : celle du serial buteur. En 1981, il débute au Randers Freja (D2) dans son Danemark natal. Il est si prolifique (59 buts en 136 matchs) que le grand Brondby, champion en titre, le fait venir en fin de saison 1985-86. Elstrup y dispute sept matchs et, été 1986, file à Feyenoord où il joue le haut de tableau de la D1 pendant deux saisons. Mais la sauce hollandaise ne prend pas.

Eté 1988, il repart au Danemark, à l’Odense Boldklub (OB, l’actuel foyer de Bernard Mendy), où il se refait une belle santé en signant 17 buts en 28 matchs. Logiquement, le sélectionneur national, l’Allemand Sepp Piontek, l’appelle en équipe nationale. Dès sa première sortie, le 31 août 1988 contre la Suède, il fait parler la poudre à deux reprises et permet aux Danois de l’emporter 2-1 en territoire ennemi. Une entrée fracassante qu’il confirme vite. En 88-89, il marque huit fois avec le Danemark, dont un but lors d’un 6-0 retentissant contre les rivaux Suédois. Grâce à son rendement de feu, Odense conquiert le titre national en 1989.

Naturellement, il attire l’attention d’émissaires étrangers mais rien ne se conclut. Aujourd’hui, nul doute qu’Elstrup aurait atterri dans un club européen de standing (ou fortuné) pour un montant record. Toutefois, à l’époque, les agents sont réservés aux vedettes ; le football européen est relativement cloisonné et les écarts salariaux entre les divers championnats sont minimes (les salaires anglais sont assez bas, les mieux payés à la fin des Eighties émargeant autour de 30 000 £ / mois).

C’est donc le modeste mais euphorique Luton Town qui arrache le Danois. Si aujourd’hui Luton végète en D5, à l’époque, les Hatters frayent parmi l’élite et affichent des ambitions (9è de D1 en 1987-88, vainqueur de la Coupe de la Ligue en 88 et finaliste de cette même coupe en 89). Été 1989, ils n’hésitent pas à faire exploser leur tirelire pour recruter Elstrup : 850 000 £. Une énorme somme pour ce club sans ressources et qui compte la deuxième plus faible affluence de D1, 9 300 spectateurs de moyenne. C’est un risque calculé. Les étrangers non irlandais évoluant en D1 sont alors rares (une vingtaine), principalement des Britanniques nés hors du Royaume – ou d’un parent étranger – et des Scandinaves/Nordiques, appréciés des clubs pour leur britishness.

Le bon temps à Luton

L’acclimatation anglaise de Lars est difficile, il ne marque que 3 buts en championnat la première année. L’entraîneur qui l’a recruté (Ray Harford) se fait limoger en janvier 90 et son remplaçant, Jim Ryan, ne goûte guère du Danois. Entre-temps, fin décembre 1989, Lars s’est blessé et a perdu sa place au profit de Iain Dowie. Une fois rétabli, Lars n’est pas aligné dans les matchs importants et il perd confiance.

Néanmoins, Ryan change progressivement d’avis et saison 1990-91 il titularise systématiquement Lars. Ce dernier claque 16 buts en championnat (le top scorer cette saison-là est le Gunner Alan Smith, 23) et ses réalisations permettent aux Hatters de se maintenir en D1. Elstrup devient le terrace cult hero de Kenilworth Road.

Il faut dire qu’il est pétri de qualités. Excellent finisseur, il est également doté d’un très bon jeu de tête et d’une pointe de vitesse fulgurante. Lors d’un match contre Nottingham Forest, il marque un pion en laissant sur place l’international anglais Des Walker, à l’époque l’un des défenseurs les plus rapides de D1. Cette saison-là, le Chapelier signe aussi un coup du chapeau contre Norwich. Bilan de ses deux saisons anglaises : 27 buts en 60 matchs. De cette période, Elstrup a dit, dans une rare interview accordée à Sky en 2000 :

« Luton, c’était cool, je sortais jouer au billard avec les coéquipiers, surtout Mark Pembridge et Alec Chamberlain, on allait au pub et on se faisait des restos indiens. On m’avait raconté un tas de trucs effrayants sur les hooligans mais je n’ai rencontré que des supporters sympas, même après une défaite. »

Malgré le maintien de Luton en D1 en 1991, le nouvel entraîneur (David Pleat) ne veut plus d’Elstrup. Eté 91, retour à l’envoyeur à Odense, pour seulement 250 000 £. Sans lui, Luton descendra en 1992 et débutera sa longue déliquescence.

Luton Town, ce qu'il en reste.

Le stade de Kenilworth Road, encastré parmi les habitations (cliquez sur la photo pour agrandir)

Du Odense Boldklub à la Compagnie de l’Oie Sauvage

A Odense, Lars affole les compteurs. Il dispute l’Euro 92 en Suède et inscrit le but victorieux contre la France en poule (2-1), privant les Bleus d’une place en demi-finale. A la surprise générale, ce Danemark voleur de poule (ils ont piqué la place de la Yougoslavie) remporte l’Euro en battant en finale l’Allemagne de Brehme et Klinsmann (2-0). Elstrup affiche alors une trentaine de sélections nationales et une douzaine de buts. Il a 29 ans, il est champion d’Europe et il tutoie les sommets.

Cependant, à 30 ans, en plein boum à Odense (24 buts en 44 matchs), il n’est plus sélectionné et il doute. La gamberge laisse place à une aversion pour le football. Un rejet total qui le pousse à se blesser volontairement pour ne pas jouer, expliquera-t-il aux médias anglais. Plus tard, il révèlera également qu’il commença à fortement douter de lui-même pendant l’Euro 1992 :

« Lors de la finale de l’Euro contre l’Allemagne, j’étais sur le banc et terrifié à l’idée que l’entraîneur me fasse rentrer. Dès qu’il regardait dans ma direction, je tournais la tête. »

Eté 93, Elstrup raccroche les crampons dans un état de grande vulnérabilité. Il se sépare de sa compagne et coupe les ponts avec sa famille. En octobre 93, il se fait happer par une secte anarcho-bouddhiste installée sur l’île de Funen, près d’Odense, la Wild Goose Company (Compagnie de l’Oie Sauvage). Le fondateur-leader est un anglais, Michael Barnett, un faux bonze qui a sous sa coupe une vingtaine d’adeptes, dont une majorité de bonzesses. La communauté vit de travaux fermiers et d’artisanat hippie.

On vaque à ses occupations en tenue légère, ce qui fait rappliquer les tabloïds. Lars ne rechigne pas à la tâche et participe activement aux activités du « collectif spirituel » comme l’appelle Barnett : danse, yoga, méditation et détente zen mais aussi queutage tous azimuts (Elstrup s’en défendra, affirmant que les orgies n’avaient lieu que quand il sortait en ville pour faire les courses – guignard jusqu’au bout).

Peu après son arrivée, Lars Elstrup change son nom en Darando (« Le fleuve qui se jette dans la mer »). Elstrup voue à Michael Barnett une adulation sans bornes. En 1994, il déclare :

« Michael m’a beaucoup aidé, il est mon Maître. Nous méditons ensemble et explorons notre beauté intérieure. Je n’ai nul besoin du monde extérieur pour vivre. Ici, tout le monde m’accepte pour ce que je suis, ils me comprennent bien mieux que je me comprends moi-même et ils veulent m’aider. »

A suivre…

Kevin Quigagne.