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Depuis leur convaincant match nul à Anfield, les Canaries souffrent. Erreurs défensives, calendrier périlleux et Van Persie sont leurs tourments récents. Pas de quoi assombrir l’humeur des supporters cependant, que le maintien en Premier League comblerait et qui parviennent à rentrer guillerets d’une défaite à domicile face à Arsenal. Pas de quoi non plus pousser le coach, Paul Lambert, à reconsidérer sa philosophie de jeu généreusement offensive, bien que fermement pragmatique. Le NCFC quitte rarement une pelouse sans avoir marqué au moins une fois.

A Norwich, cette saison, l’objectif du maintien n’implique pas de tâcheronner défensivement à dix dans une moitié de terrain pendant 90 minutes en couvant le mince espoir d’une faille soudaine de l’adversaire. Honorons ici Paul Lambert, architecte serein d’un séduisant projet, couronné de deux montées en division supérieure en deux ans, un truc pas vu dans le foot anglais depuis dix ans. Au point que les plus audacieux des commentateurs comparent l’itinéraire de l’Ecossais Paul Lambert à celui de son prestigieux compatriote Ferguson avec Aberdeen.

La saison 2009-2010 de League One, la troisième division anglaise, commence de la pire des manières pour des Canaries mal à l’aise dans leurs habits de big fish in a small pond et ensuqués dans la torpeur des défaites récurrentes. Lors de la première journée, Colchester United, autre club d’East Anglia, juste supplanté par Ipswich dans la subtile hiérarchie des haines supportériales norwichiennes, inflige au NCFC sa pire défaite à Carrow Rd, 7-1. L’humiliation vaut à l’entraineur et ex-gardien de but adulé du club, Bryan Gunn, d’être promptement viré. Le successeur de Bryan Gunn est son bourreau du soir, son homologue de Colchester, Paul Lambert, 40 ans*.

Lorsqu’il signe à Norwich , Paul Lambert n’a que quelques années de pratique d’entraineur derrière lui. A Colchester, donc ; chez les Wycombe Wanderers (League Two) auparavant et à Livingston (Premier League écossaise) un peu plus tôt, comme entraineur puis joueur, à la suite d’une avalanche de blessures dans l’effectif. Le court séjour de Lambert chez le chroniquement instable Livingston échoue misérablement: deux victoires en six mois et un licenciement à la clé. Ses expériences subséquentes sont nettement plus encourageantes: une qualification en play-offs de League Two et une demi-finale de Carling Cup avec les Wycombe Wanderers (la première en 30 ans pour un club de ce niveau), une ascension relative des bas fonds vers le ventre mou de la League One à Colchester.

Paul Lambert s’est plutôt bien débrouillé aussi dans sa carrière antérieure de joueur, débutée et terminée en Ecosse, et ponctuée de 40 sélections en équipe nationale, d’un glorieux titre en Ligue des Champions avec le Borussia Dortmund en 1997 (face à la Juve de Zidane et Deschamps) et de multiples titres et Old Firms victorieux comme capitaine du Celtic Glasgow**.

Analyser la tambouille d’une réussite sportive est un exercice un peu téméraire. Celle de Paul Lambert depuis qu’il entraine les Canaries contient les ingrédients suivants: un attachement indéfectible au labeur quotidien ; un rejet épidermique de l’autosatisfaction d’inspiration très working class*** ; une politique de recrutement finaude, construite sur la durée, et, accessoirement, exclusivement British ; un sens des responsabilités qui le pousse à prendre des décisions pas forcément populaires, notamment lorsqu’il s’agit de mettre sur le banc Grant Holt, le buteur attitré du club. Les joueurs, de leur côté, soulignent que Lambert les inspire et les motive comme personne. Ce qui ne dit finalement pas grand-chose sur la manière dont Paul Lambert s’y prend concrètement et laisse l’observateur frustré.

On en apprendra encore moins en lisant les interviews de l’entraineur, lequel entretient auprès des journalistes une image taciturne et aligne des réponses triviales, sinon creuses. Ainsi, à propos des entraineurs qu’il a admirés: « lorsque vous jouez pour des entraineurs comme Martin O’Neill ou Ottmar Hitzfeld, vous récoltez tout un tas d’astuces au passage mais il y a une chose qui est gravée pour toujours dans ma tête, c’est ce que Martin m’a dit lorsque j’ai eu le job à Wycombe. Il m’a appelé et m’a dit ‘deux conseils, Paul: gagne; gagne et fais en sorte que les joueurs courent pour toi’. C’est ce que j’essaie de faire, gérer les gens de la bonne façon et faire en sorte qu’ils courent pour moi ». A défaut de comprendre tout ce que ceci peut bien vouloir dire, on se convainc finalement que dans la langue vernaculaire du football les mots sont peut-être dispensables.

* Colchester n’a que moyennement apprécié ce départ précipité et inélégant

** Ombre au tableau d’une prolifique carrière de joueur, Paul Lambert n’est jamais parvenu à battre les Girondins de Bordeaux. Tout juste a-t-il arraché un vaillant match nul à Lescure, sous le regard ravi de l’auteur de ces lignes qui ne soupçonnait pas alors la coïncidence lelouchienne qui le rapprocherait onze ans plus tard de Paul Lambert.

*** Paul Lambert fait l’aveu tourmenté suivant au Guardian, en début de saison: « You’ve got to be frightened to lose. That’s what drives me on, being frightened to fail. The past is in the past. I never think I’m safe. »

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