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Présentation du Hall of Fame Spurs version Teenage Kicks.

D’ici quelques jours, le site Hat-trick (foot britannique) fera son entrée sur le Net. L’une des originalités de Hat-trick sera ses « fiches de club », où le Hall of fame occupe une place de choix. Par manque de disponibilité, je ne pourrai être de l’aventure Hat-trick mais quand Romain Molina, créateur du site, me demanda en juin dernier si je voulais rédiger quelques fiches, je lui dis OK et choisis de faire Sunderland, Liverpool et Newcastle. Et comme personne n’était trop chaud pour faire Tottenham en grand format*, je me suis dévoué.

[*Traitement de faveur réservé par Hat-trick aux gros cubes, eg ma fiche Liverpool FC. La fiche Tottenham TK est une version très allongée par rapport à celle qui apparaîtra dans Hat-trick. Sunderland et Newcastle sont des fiches courtes selon les critères de HT, moins de 6 000 signes pour leur Hall of fame, Sunderland par contrainte éditoriale, Newcastle par obligation – trouver dix grands joueurs Magpies relève du tour de force, mais j’ai rien lâché et y suis parvenu]

Nb : une trentaine de joueurs ont été sélectionnés dans les deux sections – principales et secondaires – de ce Hall of Fame Tottenham, bien au-delà des recommandations initiales du boss de Hat-trick. Impossible d’en caser plus et donc d’inclure tous ceux qui auraient pu prétendre à une place ici. On pense notamment à Ron Burgess, Eddie Baily, Maurice Norman, John White, Mike England, Ralph Coates, Steve Archibald, Graham Roberts, Clive Allen et, récemment, Luka Modrić. Pour complément d’infos, voir ici.

Le Hall of fame TK de Tottenham

Arthur Rowe (1929-1939, joueur et 1949-1955, manager). Le plus emblématique entraîneur de l’histoire du club avec Bill Nicholson.

Né en 1906 tout près de White Hart Lane, Rowe intégra Spurs en 1921 et passa pro en 1929. Sa carrière Spurs comme arrière-central se déroula principalement en D2, fort honorablement (230 apparitions, 1 cape anglaise).

En 1939, cet amateur de beau jeu avide de découverte et d’échange partit disséminer son savoir en Hongrie comme entraîneur et conférencier. Il y exposa une philosophie s’inscrivant dans la filiation de courants qui seront à l’origine de l’émergence des Magyars Magiques (cf passages là-dessus dans Inverting the Pyramid de J. Wilson). Il fit forte impression et les instances hongroises ainsi que Gusztáv Sebes, le futur entraîneur de la grande Hongrie des années 50, voulurent l’enrôler comme entraîneur de l’équipe amateur pour les J.O de 1940 (finalement annulés). Mais la guerre éclata et Rowe retourna au pays.

En mai 1949, Rowe devint manager des Spurs, alors en D2 depuis 1935 (7 saisons, interruption de la Football League de 1939 à 1946). Il y développa le push and run, antithèse du kick and rush, un style fluide basé sur la possession, le jeu de passe et le mouvement ainsi que sur la polyvalence des joueurs clés (en définitive, une sorte de croisement avant-gardiste entre Tiki-taka et Total Football). C’était une révolution pour l’époque et les principes de ce visionnaire suscitèrent le scepticisme.

En 1950, Rowe fit monter le club en D1 et remporta le premier titre de champion d’Angleterre du club ; vice-champion en 1952. Les deux saisons suivantes, Tottenham sera nettement moins performant, pour cause d’effectif vieillissant et d’adaptation des autres clubs au style Spurs.

En mars 1954, la pression et le stress (Tottenham mal classé) eurent raison de la santé d’Arthur Rowe et son adjoint reprit les rênes. Décédé en novembre 1993 de la maladie d’Alzheimer.

Bill Nicholson (1938-1955, joueur et 1958-1974, manager). Surnommé Mister Tottenham pour sa longue association avec le club (68 ans), Nicholson est le plus titré parmi les grands entraîneurs Spurs (John Cameron, Arthur Rowe et Keith Burkinshaw).

Nicholson, devant les Bill Nicholson Gates installées en 1999

Le grand homme himself, inaugurant les Bill Nicholson Gates installées devant White Hart Lane en 1999

Arrivé à Londres de son Yorkshire natal à 16 ans, Nicholson avait été un élément clé de la superbe équipe d’Arthur Rowe, totalisant 344 apparitions d’abord comme arrière-central puis latéral droit.

C’est en tant que manager qu’il va devenir légendaire, en remportant le doublé Championnat-FA Cup en 1960-61 (le premier du XXè siècle) et une flopée de coupes, tout en maintenant les Spurs dans le Top 6 pendant la dizaine de saisons suivantes. L’ère Nicholson fut la plus triomphale de l’histoire du club : 1 titre de D1, 3 FA Cups, 1 C2, 1 C3 et 2 League Cups.

Le titre de 1961 fut  remporté classieusement et en mode bulldozer : 11 victoires d’affilée en hors d’oeuvre (record), 31 victoires/42 matchs en guise de plat sans résistance (record de D1 anglaise, jamais battu ou même égalé), 66 points (record de 1931 d’Arsenal égalé), des roustes à la pelle (Newcastle étrillé 7-0, Birmingham 6-0, etc. 115 buts marqués) et la FA Cup en dessert. Un doublé plus revu depuis Preston en 1889 ! La plus belle ère de Tottenham léguera, entre autres, plusieurs chants et livres ainsi que le film Those Glory Glory Days.

Beaucoup attribuent ce succès au style de jeu caractéristique pratiqué par Spurs : le pass and move. Cette marque de fabrique Spurs s’inscrivait dans la continuité du push and run révolutionaire d’Arthur Rowe, un style auquel Nicholson ajouta une touche de rugosité (Mackay notamment, ci-dessous). Le Spurs du début des Sixties étaient les grands entertainers du football anglais. Seule ombre au tableau : le succès en championnat post titre 1961 ne se confirma pas. Souvent dans le Top 5 mais plus jamais champion, Tottenham fut étiqueté cup team pendant l’ère Nicholson (7 coupes remportées), comme aimait à le rappeler Bill Shankly d’un ton volontiers goguenard.

Les raisons de la démission de Nicholson le 29 septembre 1974 sont multiples. Après 38 ans au club, une certaine lassitude l’avait gagné ainsi que l’appréhension de devoir rebâtir un effectif de zéro (mauvais début de saison, les nouvelles recrues n’étant pas à la hauteur – la descente sera évitée in extremis fin avril 1975). « Bill Nic » fut également marqué par la tournure que prit le football anglais au début des années 70 (généralisation du hooliganisme) et écoeuré par les violences qu’il vécut lors de la finale de la coupe UEFA Feyenoord-Tottenham quelques mois avant. En 1976, il revint au club comme conseiller du manager, Keith Burkinshaw, et y resta jusqu’en 1991. Membre du directoire de Spurs jusqu’à sa mort, en 2004. Tottenham fut son seul club en tant que joueur et entraîneur. Intronisé au English Football Hall of Fame en 2003. Voir article TK sur Bill Nicholson.

Dave Mackay (1959-1968), milieu central puis défenseur central, 362 matchs/63 buts, 22 capes écossaises, 4 buts.

Célèbre image de Mackay empoignant Billy Bremner en août 1966 après un tacle vicieux du teigneux milieu de Leeds (après deux jambes cassées – 1963 et 64 – Mackay était chatouilleux).

Célèbre photo de Mackay empoignant Billy Bremner en août 1966 après un tacle vicieux du teigneux milieu de Leeds (après deux jambes cassées – 1963 et 64 – Mackay était chatouilleux).

L’un des grands durs du football britannique, cet Ecossais aux faux airs de Lino Ventura est considéré par de nombreux supporters Lilywhites comme le grand patron du Hall of fame Spurs (avec Danny Blanchflower).

Alliait une forte présence physique à une vision hors norme et une intelligence du jeu souvent occultée – bien malheureusement – par le souvenir de joueur intraitable qu’il a laissé. Pour preuve, les observateurs d’alors s’accordent à dire que, parmi les défenseurs ou milieux, seul Bobby Moore lui était techniquement supérieur. Se cassa la jambe deux fois de suite en 1963 et 1964 mais revint admirablement bien, cette fois en défense centrale pour compenser la perte de vitesse occasionnée par les blessures, avec en prime le brassard de capitaine chipé à Danny Blanchflower. Non seulement il créa des wagons de buts aux côtés du même Blanchflower mais en marqua une bonne quantité aussi, ne rechignant pas à l’animation offensive. Intronisé au English Football Hall of Fame dès sa création en 2002.

Danny Blanchflower (1954-1964), milieu droit, 436 matchs/27 buts. 56 capes nord-irlandaises, 2 buts.

Elément clé du formidable Tottenham de l’ère Bill Nicholson avec lequel il développa une relation symbiotique. Fut nommé capitaine au début des Sixties.

Blanchflower était un joueur très complet loué pour sa grande vision et science du jeu (son relatif manque de vitesse étant le seul bémol). Ce fin technicien cérébral était aussi un meneur d’hommes et il est parfois dit que sa causerie churchillienne avant la finale de la Coupe des coupes 1963 galvanisa tant les troupes que le match ne fut qu’une formalité pour Tottenham (victoire 5-1 sur l’Atletico Madrid et première coupe d’Europe remportée par un club britannique).

Stratège hors pair, ses passes décisives (non comptabilisées alors) pour Bobby Smith, Cliff Jones ou Jimmy Greaves firent longtemps le bonheur des Spurs. Elu deux fois Joueur de l’année par la Football Writers’ Association (1958 & 1961).

Des problèmes aux genoux le firent raccrocher à 38 ans, il se reconvertit naturellement dans le journalisme et les médias où son éloquence était appréciée. En 1988, la maladie (d’Alzheimer) le força à se retirer. Décédé en décembre 1993 et intronisé au English Football Hall of Fame en 2003.

Bobby Smith (1955-1964), avant-centre, 319 matchs/210 buts, 15 capes anglaises, 13 buts.

Ce puissant et trappu Yorkshireman (1m76, 80-85 kilos) fut recruté par Chelsea à 17 ans en 1950 après un apprentissage comme forgeron. Barré par le grand Roy Bentley, il rejoignit Tottenham à 22 ans pour 18 000 £. Smith s’y imposa rapidement, marquant plus de 130 buts entre 1957 et 1960-61, saison du fameux doublé championnat-coupe.

Extraordinairement prolifique pour les Trois Lions mais son caractère bien trempé et ses piques régulières envers des dirigeants liés à la fédération le privèrent sans doute d’une belle carrière internationale. Il n’est pas anodin que Smith ait dû attendre octobre 1960 et l’âge de 27 ans ½ pour décrocher sa première sélection, malgré ses prouesses avec Spurs, un habitué du podium (2è en 1957, 3è en 1958, 3è en 1960). Avant le début des années 60 et la nomination d’Alf Ramsey comme sélectionneur, la sélection était l’affaire du England Committee Selection, une austère coterie fédérale qui ne goûtait guère les francs-tireurs tel Bobby Smith. Seuls des gentlemen ou favoris des huit membres de la commission – fort parfum de népotisme car groupe composé de directors de clubs – étaient jugés aptes à représenter le pays (ce qui frustrait terriblement le sélectionneur d’alors, Walter Winterbottom – 1946-1962 -, et ce dernier réussit à influencer la sélection vers la fin de son mandat, mais trop tard pour le pauvre Bobby).

En froid avec Bill Nicholson et l’état-major des Spurs, à 31 ans, Smith s’exila à Brighton & Hove Albion (D4) avant qu’une nouvelle série de blessures et des bisbilles avec la direction du club ne le poussent à raccrocher les crampons un an plus tard. Une sévère addiction aux bookmakers (fortes dettes), quelques affinités avec la bouteille, des problèmes récurrents aux genoux et un poids très fluctuant avaient précipité son arrêt (il pesait 105 kilos à l’intersaison 1964 ! Fut alors surnommé « Blobby Smith », Bobby la masse difforme). Malgré ces handicaps insurmontables pour le commun des joueurs, son chant du cygne chez les Mouettes de BHA fut remarquable : ses 19 buts propulsèrent les Seagulls en D3.

Son après-carrière fut tourmentée. Il fallait bien gagner sa vie et Bobby fit artisan, d’abord peintre-décorateur puis chauffeur de taxi, mais un malheureux accident de trottoir (chute dans un trou mal protégé par une bouche d’égout) finit de lui bousiller des jambes qu’il avait déjà bien esquintées. Une crise cardiaque suivit. Sa pension d’invalidité ne suffisant pas, la mort dans l’âme, il organisa la vente aux enchères de sa collection de médailles et trophées (titre, 2 FA Cups, coupe d’Europe, etc.). Terrible coup du sort, il se fit cambrioler du sol au plafond peu avant. La scoumoune jusqu’au bout.

Un petit geste de Chelsea lui mit du baume au coeur et une noisette de beurre dans ses baked beans : chaque Noël, le club londonien verse 1 500 £ à tous les membres de l’effectif du titre de 1955, le premier du club. Petite revanche sur un destin cruel car l’entraîneur avait placardisé Bobby Smith cette saison-là et il ne joua quasiment pas…  Décédé en septembre 2010 d’un cancer.

Jimmy Greaves (1961-1970), avant-centre/ailier droit & gauche/milieu central, 381 matchs/268 buts, 57 capes anglaises, 44 buts (fit partie du groupe Coupe du monde 1966 mais malheureusement pour lui se blessa avant les ¼, Geoff Hurst le remplaça, avec le bonheur que l’on sait).

Relativement méconnu à l’étranger (en partie à cause de son rôle mineur lors de la coupe du monde 1966), « Greavsie » commença son extraordinaire carrière en fanfare à Chelsea, où il avait déjà planté plus de 100 buts avant 20 ans (132 buts en 169 matchs chez les Blues).

Meilleur avant-centre de l’histoire des Spurs et l’un des plus grands du football britannique, voire mondial. Greaves, ce n’était pas simplement un phénoménal ratio buts/match tout au long de sa carrière professionnelle (0.70, 422 buts en 602 matchs) mais un flair player techniquement phénoménal, ce qui amena Milan AC à le recruter en avril 1961 (contre sa volonté mais Chelsea était endetté et accepta goulûment les 80 000 £ offerts – extraordinaire plus-value car Greaves leur avait coûté… 10 £, montant de sa prime à la signature).

Malgré une forte rémunération (600 £/mois, 7 fois son salaire de Chelsea, salary cap oblige) et de superbes stats (9 buts en 12 matchs de D1), l’expérience italienne de Greaves fut un échec sur le plan personnel (décrite comme un « cauchemar » dans son autobio de 2003).

Huit mois après sa signature, Spurs l’arracha aux Rossoneri pour la somme record (pour le foot anglais) de 99 999 £, car Nicholson voulut lui épargner la pression d’être le premier joueur britannique à 100K. Entre-temps, le plafond salarial anglais avait sauté et Greaves rentra au bercail assuré de toucher une belle prime à la signature et un salaire trois fois supérieur à ses maigres émoluments de Chelsea. Six fois meilleur buteur de D1 de 1959 à 1969 (41 buts en championnat saison 1960-61, à Chelsea), il marqua deux buts en finale de C2 contre l’Atlético Madrid (5-1).

Fin de carrière douloureuse. A 31 ans, Greaves sombra dans l’alcoolisme. Extraits-résumés de son autobio :

« Dans les années 70, j’avais plusieurs entreprises avec mon beau-frère et d’autres associés mais je ne me rappelle plus trop ces années-là, j’étais plus ou moins ivre de 1972 à 1977. […] Je m’enfilais souvent 20 pintes dans la journée. Quand le frigo était vide, je conduisais jusqu’au supermarché du coin pour m’acheter une bouteille de vodka – conduire en état d’ébriété était culturellement acceptable – que je descendais en moins de 45 minutes. Je ne dormais jamais sans une bouteille au pied de ma table de chevet, comme ça, dès le réveil, allez hop, un p’tit coup. […] Ma femme n’en pouvait plus et me quitta temporairement. Financièrement, j’étais dans le rouge. Avec de l’aide [médicale et familiale] j’ai réussi à m’en sortir et je n’ai plus touché une goutte d’alcool depuis février 1978. »

Jimmy Greaves, à droite. Le lait, c'est juste pour la photo.

Jimmy Greaves, à droite. Le lait, c'est juste pour la photo

Courageusement, il reprit le dessus et se refit une belle santé dans le club semi-pro de Barnet à la fin des Seventies, à 37 ans passés (Barnet évoluait en non-League, Greaves eut d’ailleurs quelques mois l’excentrique Barry Fry comme entraîneur). De 1985 à 1992, co-présenta la populaire émission télé Saint & Greavsie.

Personnage à la faconde intarissable et gouailleuse (voir clip), Greaves sévit toujours fréquemment dans les médias et est extrêmement demandé sur le lucratif circuit de l’after-dinner speech où il compte parmi les footballeurs les mieux payés (jusqu’à 15 000 £ par soirée/show. Il fit notamment pas mal de shows en duo avec George Best dans les années 90). Plus inhabituel chez les footeux, Greaves manie la plume à ses heures perdues et a co-signé plusieurs livres et romans en tandem avec l’auteur Norman Giller. Intronisé au English Football Hall of Fame dès sa création en 2002.

Kevin Quigagne.

A suivre.

Dans la même série :

Liverpool FC : le Hall of fame (1/2)

Liverpool FC : le Hall of fame (2/2)

Demi-finales de FA Cup ce week-end à Wembley, Chelsea v Man City et Millwall v Wigan. L’occasion de parler de Sunderland donc. Car il y a quarante ans, de janvier à mai 1973, le club du North East (alors ventre-mouiste de D2) signait le plus beau parcours de la longue histoire de la FA Cup (142 ans), jusqu’à la finale, remportée sur le grand Leeds United de Don Revie, meilleur club anglais depuis le milieu des Sixties. Grâce à des joueurs transcendés et un stade mythique, Roker Park. Un temple que les Anciens évoquent souvent la larme à l’oeil.

Lecture de l’intro recommandée (et du reste aussi d’ailleurs). Suite de la première partie.

[Cliquer sur les photos peut rapporter gros ; SAFC = Sunderland]

Huitièmes de finale : le Roker Roar terrasse le grand Man City

Le tirage des 8è n’est pas être tendre avec Sunderland : Manchester City, 4è de D1 la saison précédente. Les Citizens ont de la vedette en pagaille (dont Colin Bell, Francis Lee, Mike Summerbee, Rodney Marsh et Mike Doyle, tous internationaux anglais) et sont donnés favoris pour remporter la Cup, avec Leeds United, détenteur du trophée. City et son manager, le très suffisant Malcolm Allison (dit « Big Mal »), ne sont pas du genre à gamberger. Big Mal parle ouvertement du « petit Sunderland ».

24 février 1973, Man City-Sunderland : 2-2 (54 478 spectateurs, dont 10 000 Black Cats).

Malgré ce match nul acquis dans la douleur, Francis Lee fanfaronne : « Si Man City ne passe pas ce tour, je ferais cadeau au club d’une semaine de salaire. »

Sunderland est alors coté 100/1 chez les bookies pour la victoire finale à Wembley (250/1 au début de la saison). En principe, les Mancuniens ne devraient faire qu’une bouchée des Mackems au retour. Mais les Lads vont sortir le match de leur vie…

27 février 1973. Replay à Roker Park : SAFC l’emporte 3-1 devant 51 782 spectateurs [1].

Cette rencontre sera élue Plus grand match de Sunderland à Roker Park. Doublé de Billy Hughes, l’une des stars de l’équipe, et superbe but de Vic Halom (qui n’est pas sans rappeler la conclusion de cette action).

La Cup fever monte sur Wearside, sevré de gloire depuis les années 30 et son lot de trophées (titre national en 1936 et FA Cup en 1937, l’époque mythique de Raich Carter et Bobby Gurney, 355 buts à eux deux). Roker Park a vibré comme rarement ce soir-là. D’un rugissement profond, presque guttural.

La légende raconte qu’après un Sunderland-Tottenham de mars 1961, le grand Danny Blanchflower fit le tour du terrain en examinant chaque recoin, persuadé que des hauts-parleurs avaient été cachés pour amplifier le bruit du public.

Après la rencontre, le rodomont Francis Lee ravalera ses bravades :

« La ferveur du public était incroyable, on ne s’entendait pas penser sur le terrain. Je n’avais jamais rien connu de tel. »

Dans un article publié quelques jours après un célèbre quart de finale de FA cup à Roker Park devant 61 326 spectateurs en mars 1961 (1-1) ainsi que dans son autobiographie, le légendaire Danny Blanchflower (Tottenham) décrivit la même sensation :

« J’ai déjà été spectateur à Barcelone dans un stade plein et ai connu la foule de Saint James’ Park en délire, ainsi que Old Trafford et ses 60 000 spectateurs déchaînés cette saison. J’ai en tête beaucoup de scènes similaires dans ma carrière. Mais rien ne peut rivaliser avec l’intensité de la clameur entendue à Roker Park quand Sunderland égalisa à 1-1. […] Je réalisai alors ce que voulait dire ce journaliste qui parlait d’un « grondement à percer les tympans » en évoquant le Roker Roar. Je dois avouer que le Roar me terrifia ce jour-là ! »

La légende raconte même qu’après le match, Blanchflower fit le tour du terrain en examinant chaque recoin, persuadé que des hauts-parleurs avaient été dissimulés à des endroits stratégiques pour amplifier le bruit du public !

Trois ans plus tard, Sunderland affrontera Man United en quart de finale de FA Cup à Roker Park (match également légendaire dont nous reparlerons dans la troisième partie). A cette occasion, Denis Law fut tellement secoué par le Roar qu’il ne cessa d’en parler des années durant.

Quarts et demi-finale : presqu’une formalité

17 mars 1973. En quart, Sunderland élimine facilement Luton Town (D2) 2-0 devant 53 151 spectateurs. Buts de Dave Watson et Guthrie.

Un mot sur l’équipe de Sunderland (quasiment toujours la même composition cette saison-là où seule une grosse quinzaine de joueurs furent utilisés) : Jim Montgomery, Dick Malone, Ron Guthrie, Mike Horswill, Ritchie Pitt, Vic Halom, Billy Hughes, Bobby Kerr (capitaine), David Watson, Ian Porterfield, Dennis Tueart. Remplaçant (un seul autorisé) : Brian Chambers.

Les joueurs vedettes (ou qui le deviendront) de Sunderland sont alors [stats entre parenthèses = matchs / buts pour SAFC] :

– le gardien Jim Montgomery (dit Monty, 627 matchs pour SAFC de 1960 à 1977), 1 cape réserviste en équipe d’Angleterre. Remportera la Coupe d’Europe des clubs champions avec Nottingham Forest en 1980 (remplaçant)

– l’attaquant-défenseur central David Watson (1970-75 – 212 / 33, ci-dessus). D’abord avant-centre deux saisons avant d’être repositionné… arrière central (à 25 ans). Signera à Man City (1975-79) puis Southampton (1979-82) et portera le maillot des Trois Lions à 65 reprises (1974-82)

– l’ailier gauche Dennis Tueart (1966-74 – 208 / 56). Le seul Geordie – natif de Newcastle – de l’équipe partira ensuite à Man City où il décrochera six capes anglaises (1975-77)

– Billy Hughes, avant-centre / ailier (1964-77 – 307 / 81). Décrochera une cape écossaise. Voir « Que sont devenus les héros de 1973 ? » plus bas.

7 avril 1973, Demi-finale contre Arsenal à Hillsborough devant 55 000 personnes. Arsenal compte alors parmi les meilleurs clubs anglais depuis plusieurs saisons (4è en 1969, doublé championnat-FA Cup en 1971, 5è en 1972 et 2è en 1973) et vise une troisième finale de FA Cup consécutive. Là encore, on ne donne pas cher des chances des Rokerites. Mais ces derniers vont asphyxier des Gunners dépassés. Billy Hughes sortira un match d’anthologie et donnera la victoire aux Black Cats, 2-1 (clip).

Finale de rêve contre le grand Leeds United

5 mai 1973, Wembley, 100 000 spectateurs. Leeds, meilleure équipe anglaise depuis le milieu des années 1960, est archi favorite. Ses vedettes sont le teigneux petit rouquin Billy Bremner, Johnny Giles, Eddie Gray, Peter Lorimer et Norman « Bites Yer Legs » Hunter (= Norman « Tacle Assassin » Hunter ; avant il fauchait, aujourd’hui il est fauché, ici). Lorimer ne doute pas de la victoire des Whites. Avant le match, il déclare à la BBC que Leeds l’emportera facilement s’ils marquent tôt dans le match. Pour les médias, c’est également David contre Goliath. Brian Clough, consultant pour la télé [2], ne donne pas cher non plus des chances de son ex club (1961-64) : « Si Leeds se met à jouer, ça sera plié en 20 minutes ».

(1 £ le billet « debout », même en 1973, c’était donné)

Leeds se mettra bien à jouer mais Sunderland lui tiendra la dragée haute. Tout comme contre Man City et Arsenal, le milieu de terrain Black Cat, magistralement contrôlé par le rouquin Micky Horswill et le coriace Bobby « Little General » Kerr, va dominer les débats. A la 31è, une demi volée de Ian Porterfield donne l’avantage à Sunderland, 1-0 (clip, à 1’03). Les Whites ne reviendront pas.

Cette finale est restée universellement célèbre pour l’extraordinaire double parade du gardien de Sunderland sur deux tentatives à bout portant de Cherry et Lorimer (ici, à 2’12 et ici). L’arrêt de Monty sur le tir de Lorimer fut élu Greatest Ever FA Cup Save lors d’un sondage réalisé par E.on, le sponsor de la FA Cup de 2006 à 2011 (loin devant David Seaman, Arsenal v Sheffield United demi-finale 2003 et Pepe Reina, Liverpool-West Ham finale 2006 – Petr Cech contre Man United le 1/4/2013 pourrait bien venir intégrer le Top 3 de ce classement).
David Coleman, commentateur vedette de la BBC, était tellement persuadé que Lorimer allait marquer qu’il annonça but ! (ici à 3’27 …Cherry, superbe parade de Montgomery… et Lorimer égalise à 1-1… Non, incroyable ! »). L’exploit de Monty éclipse-t-il la fameuse parade de Gordon Banks sur une tête de Pelé ?

Au coup de sifflet final, le manager Bob Stokoe, bras en l’air, feutre trilby sur le chef, pantalon rouge et gabardine au vent court vers Monty et l’étreint longuement (ci-dessous). Cette course légendaire a été statufiée (devant le Stadium of Light, voir première partie).

En coupe d’Europe la saison suivante (seule campagne européenne de SAFC), Sunderland passera un tour contre les Hongrois de Vasas Budapest (3-0 sur les deux matchs) avant de tomber 3-2 face au Sporting Lisbonne [3].

Que sont devenus les héros de 1973 ?

[entre parenthèses, carrière et nombre de matchs / buts SAFC]

Jim Montgomery, gardien (1960-77 – 627, record du club), 69 ans. Employé comme Ambassadeur de Sunderland AFC après avoir longtemps été entraîneur des gardiens au club.

Dick Malone, latéral droit (1970-77 – 281 / 2 buts), 65 ans. L’Ecossais dirige une entreprise de transport routier à Sunderland.

Ron Guthrie, latéral gauche (1973-75 – 80 / 3), 69 ans. Chauffeur-livreur à Fenwick’s, un grand magasin de Newcastle.

Dave Watson, d’abord avant-centre deux saisons puis… arrière central (1970-75 – 212, 33 buts), 66 ans. Dirige Dave Watson International, société d’événementiel basée près de Nottingham (était ouvrier agricole avant de passer pro – et d’engranger 65 capes anglaises, de 1974 à 1982).

Richie Pitt, arrière central (1968-75 – 144 / 7), 62 ans. Carrière stoppée nette à 24 ans, grave blessure au genou. Entra dans l’enseignement et est toujours prof de maths dans un collège près de Sunderland.

Micky Horswill, ci-dessus, milieu (1971-74 – 91 / 5), 60 ans. Animateur à Star Radio, Newcastle.

Bobby Kerr, milieu et capitaine (1964-79 – 419 / 69), 65 ans. L’Écossais dirigea plusieurs pubs après sa carrière. Se rangea des optiques vers 2010 pour raison de santé.

Ian Porterfield, milieu et buteur de la finale (1967-77 – 256 / 19). Décédé d’un cancer en 2007, âgé de 61 ans. Managea une douzaine de clubs et sélections nationales après sa carrière.

Billy Hughes (le beau moustachu ci-dessous), avant-centre / ailier (1964-77 – 307 / 81), 64 ans. Sera capé une fois pour l’Ecosse. Employé dans un pub près de Nottingham.

Vic Halom, 64 ans, avant-centre / ailier (1973-76 – 134 / 42). Se lança dans la politique (sans succès) puis dans l’immobilier en Bulgarie où il réside toujours. Pige aussi comme scout Europe de l’Est pour Newcastle United [à mon avis, il s’est trompé de coin pour ça]

Dennis Tueart, ci-dessous, principalement ailier gauche (1966-74 – 208 / 56), 63 ans. Quelques années après ses huit ans à Man City, il devint membre du directoire Citizen. En fut éjecté (par email !) à l’arrivée du Thaïlandais Thaksin Shinawatra été 2007. Dirige une société d’organisation de conférences sur Manchester. Tueart fut le premier Anglais à effectuer une saison complète de NASL (USA) en 1978-79, aux New-York Cosmos où il succéda à Pelé. A l’intersaison 1978, Nottingham Forest le voulut mais Tueart choisit l’option  contrat lucratif. Et Forest remporta sa première Coupe d’Europe des clubs champions sans lui. Capé 6 fois par l’Angleterre (1975-77).

David Young, arrière central (1973-74 – 34, 1 but), 67 ans. Remplaçant non utilisé lors de la finale (un seul substitute autorisé à l’époque). Se reconvertit dans la gestion de centres sportifs. Vit dans le Kent.

Bob Stokoe, manager (1972-1976, puis six semaines en avril-mai 1987 comme intérimaire). Décédé en 2004 d’une pneumonie à l’âge de 73 ans.  Hormis cette FA Cup, celui que l’on surnommait le « Messie » fit monter Sunderland en D1 en 1976. A sa splendide statue devant le Stadium of Light (voir première partie).

Et qu’est devenu Roker Park ?

Un peu d’histoire d’abord. A son inauguration été 1898, Roker Park était le septième stade (au sens très large du terme) de Sunderland. Premier match contre Liverpool le 10 septembre 1898 devant 30 000 spectateurs (D1, victoire 1-0). La pelouse, spécialement importée d’Irlande, était d’une telle qualité qu’elle dura… 37 ans ! L’année suivante, Roker Park accueillit un mémorable Angleterre-Irlande : 13-2 ! (Roker Park à cette époque).

En 1929, le célèbre architecte de stade Archibald Leitch fit reconstruire la tribune principale, la Main Stand, portant la capacité du stade à plus de 60 000. L’Ecossais fera également ériger la Clock Stand sept ans plus tard. Durant la deuxième guerre mondiale, Roker Park fut endommagé, Sunderland et Newcastle étant particulièrement visés par la Luftwaffe (chantiers navals, industries lourdes, etc.).

Sunderland quitta Roker Park le 3 mai 1997, après 99 ans d’occupation. Malgré la victoire 3-0 sur Everton ce jour-là (dont un but de Chris Waddle), SAFC descendit en D2. Après le match d’adieu le 13 mai 1997 (victoire 1-0 sur Liverpool, comme en 1898), une cérémonie spéciale eut lieu au cours de laquelle le point central du terrain fut déterré par Charlie Hurley (voir première partie) et transporté au Stadium of Light à deux kilomètres de là.

le passé, Roker Park (photo prise en 1996)

1996. Au premier plan : le futur Stadium of Light. En arrière-plan, Roker Park.

Un lotissement de 130 maisons et appartements sortit de terre un an plus tard (photos). Un coin résidentiel très prisé : le constructeur reçut plus de 2 000 demandes pour « habiter à Roker Park ». Particularité de l’endroit : toutes les rues et impasses portent des noms liés à SAFC ou au football (dont un Passage du Tourniquet), photo ci-dessous. Ces noms furent choisis après une compétition organisée par le journal local. Dommage cependant qu’aucun héros de la finale 73 ou Sunderland legends ne fut sélectionné, un regret exprimé par nombre de supporters Black Cats (un supporter Magpie égaré et médisant trouverait l’endroit manquant d’authenticité : s’il y a bien une Promotion Close – Rue de la Montée – aucune Relegation Street n’a été inclue. Il pourrait bien s’en créer une dans un gros mois…).

Record d’affluence de Roker Park : 75 118, le 8 mars 1933 pour un replay de quart de finale FA Cup contre Derby County. Match resté aussi dans les annales pour des mouvements de foule qui firent deux morts et de nombreux blessés.

Une tragédie que nous évoquerons dans la prochaine partie au cours d’une interview avec une Sunderland legend des Sixties qui nous parlera également, entre autres sujets, de Brian Clough, de Man United, du salary cap, de diététique et de George Best qui eut les jetons de jouer à Roker Park…

Affaire à suivre donc.

Kevin Quigagne.

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[1] Si vous voulez améliorer votre anglais, je conseille vivement le compte-rendu de ce fabuleux match sur ce site de Sunderland : Sunderland-Man City (site tenu par Colin Randall, un supp Black Cat francophile et lecteur de Teenage Kicks – depuis hier)

[2] Brian Clough est alors manager de Derby County (depuis 1967) mais occupe également le terrain médiatique depuis la fin des Sixties (radio, TV, presse), au grand dam de son club (ses incessants coups de gueule et commentaires incendiaires exaspéraient le directoire). Peu après, le 15 octobre 1973, alors que les relations entre Clough et le président de Derby avaient atteint breaking point, Clough démissionnera du club, accompagné de son fidèle adjoint, Peter Taylor. Neuf mois plus tard, « Old Big ‘Ead » débarquera à Leeds United, sans Taylor. Ses 44 jours à la tête des Whites restent comme l’un des épisodes les plus extraordinaires du football anglais. Le livre The Damned Utd ainsi que l’excellent film éponyme sont vivement recommandés.

[3] Les Portugais se distinguèrent aussi hors du terrain : trois d’entre eux furent arrêtés pour vol de cassettes audio dans un magasin de Newcastle et envoyés en comparution immédiate dans un tribunal local (où ils écopèrent d’une amende de 30 £ chacun ; il aurait été fort intéressant de savoir quelles cassettes ils piquèrent mais cette information vitale n’apparaît nulle part, à mon grand regret – svp, pas de blagues déplacées sur l’immense Linda de Suza dans les commentaires, nous avons quelques lecteurs et trices lusitanien(ne)s auxquel(le)s nous tenons beaucoup).