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Robin Friday (1952-1990), terrassé par un arrêt cardiaque dû à une overdose d’héroïne, aurait pu être un grand du football anglais. Au lieu de ça, il a été son enfant terrible le plus givré.

Intro ici.

[REP = Reading Evening Post]

DAVID DOWNS, historien de Reading FC : Pour son premier entraînement, dans un match 6 v 6, Robin n’a pas arrêté de savater les joueurs les plus expérimentés du club, si bien que plusieurs d’entre eux ont dû arrêter le match. Le manager lui a dit : « Oh, du calme Robin, va pas m’envoyer toute l’équipe à l’hosto. »

CHARLIE HURLEY, manager de Reading : Il s’entraînait comme il jouait. J’ai dû l’expulser plusieurs fois de séances d’entraînement, il savatait beaucoup, ses propres coéquipiers. Pour lui, les petits matchs c’était pareil que le championnat le samedi, il ne connaissait pas d’autre façon de jouer.

REP, 21 janvier 1974

… Reading n’a gagné que deux matchs sur ses quatorze dernières rencontres…

CHARLIE HURLEY : Dès le début, je me suis rendu compte que jamais j’arriverai à lui faire porter une chemise avec une cravate. Je me souviens lui dire en le faisant signer : « Robin, il faudrait que tu portes une veste ou un blazer de temps en temps. » Il n’en avait pas donc je lui en ai filé une. Il l’a mise, en jurant comme un charretier, on a pris une photo et il l’a aussitôt retirée. A cette époque, on a commencé à jouer le dimanche. Trois jours avant sa première possible titularisation, je lui dis : « Je vais peut-être t’aligner dimanche, contre Northampton. » Il me répond : « Boss, je vous promets, vendredi et samedi soir, je rentrerai sagement chez moi, je ne boirai pas, je ne me bastonnerai pas. » Là je lui fais : « Ecoute, un mensonge, à la limite ça me dérange pas, mais pas trois à la suite ! »

REP, 30 janvier 1974

… Reading 3 – Northampton 0.

Robin Friday, le joueur amateur qui a fait ses débuts pour Reading contre Northampton le week-end dernier a failli perdre la vie dans un accident du travail l’année dernière. Il revient sur cet accident : « Je suis tombé sur gros pieu de chantier qui m’a transpercé le derrière, l’estomac et a raté un poumon d’un cheveu. J’ai failli mourir. Je suis resté trois mois à l’hôpital. » Le manager Charlie Hurley doit maintenant décider s’il offre un contrat professionnel à Friday, ce qui représente un vrai dilemme pour ce dernier s’il acceptait car il ne toucherait que la moitié de son salaire actuel d’asphalteur. Friday a déclaré : « Je veux passer pro et jouer avec Reading. Pour l’instant je m’entraîne que deux soirs par semaine car je bosse à plein temps. Si je passais pro, je devrais abandonner mon boulot et réduire mon salaire de moitié. Mais je suis marié et j’ai un enfant, alors je dois considérer ma situation financière. »

REP, 3 février 1974

… Barnsley 3 – Reading 2.

Premier but de Friday, de la tête. Il a déclaré : « Je voulais d’abord la contrôler de la poitrine et ensuite mettre une talonnade, mais je me suis dit que valait mieux pas trop déconner. »

CHARLIE HURLEY : Contre Barnsley chez eux, on était menés 2-0. A la mi-temps, je leur ai passé une soufflante des familles. On a égalisé 2-2. Et là, ils ont fait rentrer un défenseur, je me suis dit : « Tiens, c’est bizarre, ils jouent à domicile et ils envoient un défenseur au lieu de mettre un attaquant pour remporter le match. » Logiquement, ils auraient dû faire rentrer un attaquant pour jouer la victoire. Au coup de sifflet final, Robin me dit : « Boss, vous savez le défenseur qu’ils ont fait rentrer, eh ben, en plein match, il est venu me voir et m’a demandé de signer pour eux. » J’ai compris qu’ils avaient fait rentrer ce gars pour déstabiliser Robin.

REP, 6 février 1974

… Robin Friday, le nouvel attaquant de Reading qui fait déjà tant parler de lui, vient de signer un contrat professionnel avec Reading. Il a démissionné hier de son poste d’asphalteur.

REP, 9 février 1974

… Charles Hurley, manager, a déclaré : « On a marqué 5 buts en deux matchs à l’extérieur, ça faisait longtemps qu’on avait pas joué de la sorte et Robin Friday a fait des débuts tonitruants avec nous. Il fait 1m85, n’a peur de personne et il est très technique. C’est un joueur que vous, les supporters, aurez hâte de voir sur notre pelouse de Elm Park. On espère donc vous voir nombreux demain. »

REP, 10 février 1974

Reading 4 – Exeter 1

… Malgré la pluie battante, quel spectacle ! Robin Friday pour ses débuts à domicile a livré une prestation absolument magique. Friday a accumulé les prouesses, a fait montre de détermination et d’enthousiasme, tant est si bien que les supporters peuvent d’ores et déjà s’inquiéter : combien de temps le club arrivera-t-il à le garder ? Robin Friday fut le grand artisan de cette victoire acquise dans le dernier quart d’heure, grâce à ses deux superbes buts. A la 80è minute, sur son aile, Friday a dribblé quatre joueurs avant de placer un tir croisé à ras de terre des 18 mètres qui a battu le gardien. Scènes de liesse en tribune, quel début de rêve ! Et ce n’était pas fini ! D’une belle tête, Friday a scellé la victoire de Reading…

REP, 12 février 1974

… Robin Friday déclare : « Charlie Hurley m’a donné ma chance et j’ai bien l’intention de la saisir, je donnerai 100 % pour le maillot. Ouvrir mon compteur de cette manière me remplit de bonheur. Mes adversaires du jour me m’ont pas épargné, j’ai pas arrêté de me prendre des coups, c’en était ridicule, on m’à même refusé un pénalty indiscutable, mais j’ai répondu avec ces deux buts. »

David DOWNS : Robin refusait de mettre des protège-tibias, à l‘entraînement comme en match. En fait, même passé pro il jouait comme s’il faisait un match entre copains au parc du coin. Il n’arrêtait pas de se prendre des coups sans arrêt, mais ça le gênait pas outre mesure.

REP, 16 février 1974

… Robin Friday est incertain pour le match, il peine à se remettre d’une blessure au mollet, contractée lors du match contre Exeter.

REP, 17 février 1974

Lincoln 0 – Reading 2

… Les adversaires n’ont guère été tendres avec Robin Friday, victime d’une bonne demi-douzaine d’attentats, et ce, dès la première minute de jeu, devant même sortir cinq minutes pour ce faire soigner après un tacle assassin. Mais au final, même s’il finit le match sur les rotules, sa somptueuse technique triompha de la boucherie lincolnaise. Deux passes décisives à son actif. Le second but est tout simplement la marque d’un génie hors pair. Il reçoit le ballon près du poteau de corner, élimine deux joueurs à ses basques, puis un autre, et adresse un centre repris victorieusement par Barry Wagstaff.

CHARLIE HURLEY : Le truc, c’est que dès le debut du match, tu pouvais être sûr que les arrières centraux chercheraient à casser Robin, histoire de le tester et voir sa réaction. Il se prenait des dizaines de coups, mais je l’ai jamais entendu se plaindre. Beaucoup d’attaquants à sa place auraient flippé. Mais lui, ça lui faisait l’effet inverse, plus on le savatait, plus il revenait à la charge. Je me souviens d’un match où un adversaire avait fait une crasse à Robin, et au moment ou ce type repassa devant lui, Robin le chopa par les testicules. L’arbitre avait tout vu, sans savoir comment réagir. C’était Robin tout craché ça.

ROD LEWINGTON, ami : Il picolait, de la bière surtout. Une lager très forte, appelée Colt 45. Je l’ai jamais vu boire des spiritueux.

ALF FRIDAY, père : Tu parles, il pouvait s’envoyer du Southern Comfort toute la soirée sans jamais être bourré !

ROD LEWINGTON : Je me souviens de lui un soir au Crown Pub, il sautait de table en table. Là-dessus, le proprio est arrivé et lui a dit qu’il serait interdit de pub. Robin a alors sauté sur le comptoir et ça a déclenché un bordel pas possible.

REP, 24 février 1974

Reading 5 – Doncaster 0

… Les beaux jours reviennent à Elm Park, plus belle victoire depuis 17 mois. Grâce à cette troisième victoire d’affilée, Reading est 7è. L’équipe a été transformée par Robin Friday, auteur d’une incroyable série : seize buts en cinq matchs ! Le clou de ce match fut encore un but de Friday qui valait le billet d’entrée à lui seul, un superbe brossé de l’extérieur au terme d’une somptueuse action.

DAVID DOWNS : Robin fit ce jour-là un truc que je n’ai jamais vu aucun joueur de Reading faire avant lui. A 25 mètres du but, dans un angle fermé, il a pris le ballon de l’extérieur et le cuir, que tout le monde voyait dehors, avait tellement d’effet qu’il a contourné le gardien et s’est fiché dans le petit filet intérieur.

REP, 3 mars 1974

Swansea 2 – Reading 1

… Robin Friday, auteur d’une prestation très décevante, averti pour langage ordurier envers l’arbitre.

REP, 11 mars 1974

Reading 2 – Workington 0

… Robin Friday est le grand artisan de cette victoire, superbe match.

REP, 16 mars 1974

Mansfield 1 – Reading 1

… Superbe prestation de Robin Friday, dans un match largement dominé par les visiteurs. Plusieurs fois, Friday s’est débarrassé de deux ou trois défenseurs, conservation du ballon irréprochable, et auteur de la passe décisive. Mais il est à déplorer les attentats incessants dont il fut victime. Force est de constater que les joueurs de quatrième division ont abandonné tout espoir de lui prendre le ballon à la régulière et ont opté pour des méthodes peu licites.

DAVID DOWNS : Robin était un pur avant-centre, mais quand son équipe souffrait, il n’hésitait pas à prêter main forte à sa défense et mettre le pied. Son style de jeu était très étrange. En fait, il restait souvent au milieu l’air de dire : « Passez-moi le ballon et je m’occupe du reste. » Et souvent, effectivement, il partait en dribble et finissait avec un tir.

CHARLIE HURLEY : Pour un avant-centre, il maîtrisait parfaitement l’art du tacle glissé.

REP, 20 mars 1974

Reading 1 – Barnsley 0

… Robin Friday a de nouveau donné le tournis à la défense adverse. Reading est désormais 5è.

REP, 27 mars 1974

Crewe 2 – Reading 1

… Charlie Hurley a décrété une double ration d’entraînement pour ses joueurs : « Ce que je sais, c’est qu’une dizaine de fautes ont été commises sur Robin Friday, 17 corners pour Crewe et 5 pour nous, ce qui donne une idée du spectacle, c’est-à-dire pas énormément de football. »

REP, 3 avril 1974

Reading 1 – Northampton 2

… Une belle performance du gardien de Northampton empêche le nul, malgré un superbe solo et tir de Friday dans les ultimes secondes. Cela semble compromis pour la montée en D3.

SHEILA FRIDAY, mère : Robin adorait la mode.

ALF FRIDAY : Il ne s’habillait jamais comme les autres.

SHEILA FRIDAY : Un jour, il s’est pointé en costume de satin et chemise en peau de lézard. Il aimait porter ce combo, toujours des trucs en lézard. Il était tout le temps fourré à Kensington Market, même quand il jouait à Reading, il demandait à son père de le conduire là-bas avant un match.

TONY FRIDAY : Il a été l’un des premiers sur Londres à porter un manteau en afghan, à 16 ans. Il se fringuait beaucoup hippy, il pouvait pas se passer de Kensington Market.


Le manteau afghan en peau de mouton tanné dans l’urine de mule était super tendance dans les années 70

REP, 6 avril 1974

Reading 0 – Scunthorpe 0

… Robin Friday de justesse disponible pour ce match (rhume), n’a pas cessé d’être malmené par ses adversaires, dès la première minute (coup à l’estomac).

REP, 12 avril 1974

Reading 4 – Torquay 0

… Victoire facile des Royals, avec le spectacle désormais classique d’adversaires s’acharnant sur Friday, sorti sur blessure à l’heure de jeu. Dommage, au moment où l’on retrouve le Friday de ses débuts. Le deuxième but fut le plus beau, avec un festival de Friday qui dribbla quatre joueurs avant de conclure d’un tir à ras de terre du gauche.

CHARLIE HURLEY : Robin était extrêmement direct et on se disputait souvent après les matchs. Ce qu’il détestait par-dessus tout, c’était s’il voyait que lui seul mouillait le maillot, ça le rendait furieux ça.

REP, 20 avril 1974

Reading 1 – Stockport 1

… Le pire match de Reading à domicile depuis 40 ans. On aurait assisté à un marathon entre deux escargots hors de forme qu’on se serait autant amusés. Un tir de Percy Freeman était tellement raté qu’il a sans doute atterri dans le jardin d’une maison sur Suffolk Road.

REP, 22 avril 1974

Reading 3 – Chester 0

… Superbe performance collective, cela promet une fin de saison captivante.

REP, 27 avril 1974

Chester 0 – Reading 0

… Reading et Robin Friday ont alterné le meilleur et le pire dans ce match. Friday a été le principal fautif, se compliquant inutilement la vie. Il traverse une période difficile. C’est le dix-neuvième match nul de la saison pour Reading.

REP, 16 mai 1974

… Charlie Hurley a révélé que le coriace buteur de Reading, Robin Friday, a joué les quatre derniers matchs avec un os de la cheville félé (résultats radio), sans s’apercevoir de rien ! Hurley a déclaré : « Il ne s’est jamais plaint de rien, on peut dire que c’est un sacré dur au mal. »

SHEILA FRIDAY : Il a joué avec un os à moitié cassé, pas vrai ?

ALF FRIDAY : Ouais. C’est un gars qui lui avait mis un gros coup un soir dans la rue. Bien plus tard, comme ça lui faisait toujours mal, Robin a filé à l’hopital et là ils se sont aperçus qu’il avait cet os à moitié cassé dans sa cheville. On lui a filé des béquilles et il a pas arrêté de faire le con dans les couloirs de l’hôpital à imiter un singe…

REP, 21 mai 1974

… Reading finit 6è et ne montera donc pas en D3. Mais un de nos joueurs est déjà sur le départ. Toutefois, supporters de Reading, ne vous inquiétez pas, cela serait juste pour se rapprocher d’Elm Park. En effet, le manager Charlie Hurley aimerait que Robin Friday, 21 ans, déménage de Londres vers Reading. Robin, devenue une véritable vedette depuis janvier, ne souhaite cependant pas quitter son appartement londonien (il vit au dix-septième étage d’une tour d’habitation HLM à Acton, ouest de Londres) pour une maison HLM près du stade de Reading. Il a déclaré : « Le boss veut que je vienne habiter ici, mais moi je préfère rester à Acton. Je n’aime pas trop la ville de Reading et comme j’ai un gros chien, Ziggy, si je déménageais ça serait pour vivre dans une maison avec jardin, pour ma femme et ma fille de 5 ans, et notre chien, donc faudrait que je devienne propriétaire. Financièrement, ça serait difficile. »

Des problèmes financiers (prêt immobilier) pourraient donc compliquer le déménagement. En effet, Robin a déclaré gagner 45 £ par semaine et ne sait pas à quel type de prêt il pourrait avoir droit. Il touchait jusqu’à 100 £ / semaine comme asphalteur.

REP, 3 juin 1974

… Un sondage effectué sur Reading révèle que presque un tiers des jeunes de la ville ont déjà consommé de la marijuana. Quarante pour cent ont affirmé avoir déjà essayé le LSD.

MAURICE EVANS, entraîneur à Reading : Je suis arrivé en juillet 74. Charlie [Hurley], le manager, m’avait beaucoup parlé de Robin, donc pour notre première séance d’entraînement début juillet, j’avais hâte de le rencontrer. Mais pas de Robin. On m’a alors dit qu’il avait subi une opération chirurgicale pour se faire enlever des tatouages à la main et qu’il portait un plâtre, mais personne savait où il était. Là, Charlie est arrivé en s’écriant : « On l’a retrouvé ! Il a passé l’été dans une commune hippie en Cornouaille. Il est en route pour Reading. »

Quelques jours plus tard, on l’a aligné en amical contre Watford. Il n’avait pas touché un ballon depuis six semaines, et vous imaginez dans quel état il était dans les Cornouailles. Et ben, il a totalement éclaboussé ce match de sa classe. J’avais du mal à y croire… C’était un type incroyable.

A suivre.

Dans la même série TK des grands tarés du foot british :
Lars Elstrup
Chic Charnley