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Le football grand-breton, ses instances nous répètent à l’envi depuis vingt ans, est un modèle d’intégration pour les non-Whites. Et il est indéniable que le  chemin parcouru cer dernières décennies est colossal. Mais terre d’accueil, le Royaume-Uni ne l’a pas toujours été et on a peine à mesurer la gravité de la situation il n’y pas si longtemps.

La lecture de l’introduction de ce dossier est vivement recommandée (rassurez-vous, c’est court).

Nous continuons notre exploration chronologique de l’histoire du football noir britannique (liens des volets précédents en bas d’article) avec Charlie Williams, pionnier à plus d’un titre.

# 11. Charlie Williams (1927-2006)

Destin exceptionnel que celui de Charles Aldolphus Williams, à la fois l’un des premiers footballeurs noirs de l’après-guerre et le premier comique noir anglais à succès.

Williams est aussi l’un des tous premiers à prendre de plein fouet la « nouvelle donne raciste » de l’Angleterre de la fin des Fifties où l’immigration noire, venue principalement des Antilles britanniques, est violemment rejetée par une partie de la population ainsi que certains groupes (du citoyen lambda aux sympathisants des thèses fascistes d’Oswald Mosley).

Le rire pour combattre le racisme

Charles Williams naît en 1927 dans le bassin houiller de Barnsley (près de Sheffield, South Yorkshire), d’un père barbadien et d’une mère anglaise. Dès 14 ans, il doit descendre à la mine pour subvenir aux besoins de la famille, son père ne pouvant travailler à cause d’un foutu pied de tranchée ramené de la Grande Guerre.

Arrière central rugueux et talentueux de l’équipe corpo de la mine, il est repéré par les voisins de Doncaster Rovers (D3) qui le recrutent en 1948. Deux ans plus tard, il est titularisé en équipe première, promue en D2. Il est envoyé ensuite en réserve quatre saisons avant d’être réintégré dans le XI fanion en 1954 où il restera jusqu’en 1959. Au total, il affiche 157 matchs de championnat à Rovers. Diminué par des blessures, il part finir sa carrière en semi-pro.
Sans s’étendre sur le sujet, il dira avoir subi le racisme en ajoutant qu’il préférait parfois en rire ou, souvent, ne pas répondre aux provocations (« J’ai entendu pas mal d’insultes et des « Retourne chez toi en Afrique » dans ma carrière », précisera-t-il laconiquement).

Les crampons définitivement raccrochés en 1960, cet ex ambianceur de vestiaire décide de faire de la scène son métier. Après une période peu convaincante comme chanteur dans les cabarets et pubs ouvriers du coin (working men’s clubs), il s’essaie au stand-up, étant naturellement doué pour la déconne. Dans ce domaine aussi, Williams fut sans doute un pionnier.
Plus tard, il expliquera avoir toujours cherché à amuser car « faire le clown à l’école permettait de détourner ou étouffer le racisme et les préjugés ». Dans les sketches les plus caustiques de son répertoire où l’auto-dérision hardcore domine, il brocarde l’univers viril du football et persifle un certain type de spectateur, le Dupont Lajoie des gradins et sa sinistre marque de fabrique : le racisme débonnaire. 

La célébrité en fait un exemple à suivre

En 1971 feu la grande chaîne régionale Granada, basée à Manchester, le remarque et lui donne sa chance dans une nouvelle émission intitulée The Comedians, le On n’demande qu’à en rire de l’époque. Son originalité plaît et les trois chaînes nationales (BBC 1 & 2 et ITV) s’intéressent à cet OVNI du paysage audiovisuel.
Tout s’emballe en 1972 quand ITV le choisit pour présenter un jeu très regardé, The Golden Shot. Du jour au lendemain, il connaît la célébrité nationale. Son sens de la répartie allié à un naturel enjoué à la Jacques Martin font merveille pendant deux ans, jusqu’en 1974 (le présentateur vedette du show, le célébrissime Bob Monkhouse, reprend les rênes). La BBC l’enrôle alors et, consécration suprême, lui concocte du sur-mesure avec le Charlie Williams Show.

Dans l’univers monochrome et coincé de la télévision britannique des Seventies, Williams détone et devient un role model pour les minorités ethniques du pays (même si, plus tard, beaucoup de Noirs – tel le célèbre Lenny Henry – lui reprocheront certains dérapages, voir plus bas). En solo ou avec une équipe de production, il part aussi en tournée et remplit les salles, y compris le mythique London Palladium où son show télé s’installera six mois durant.

Son succès se tisse sur fond de scène politico-sociale très tendue. Depuis le début des Sixties, l’immigration est devenue une question sociétale doublée d’un enjeu électoral ; le nombre de non-Whites a été multiplié par vingt en quinze ans et tourne autour du million et demi au sortir des Sixties. Aux crispations et craintes qui s’installent dans la population, les gouvernements successifs, conservateur et travailliste, répondent par des mesures fortes. En neuf ans, trois lois majeures sont votées pour freiner l’immigration : la Commonwealth Immigrants Act de 1962 qui restreint considérablement la liberté de mouvement des citoyens de l’ex empire britannique votée en 1948 (British Nationality Act), la Commonwealth Immigrants Act de 1968 et l’Immigration Act de 1971, laquelle forme toujours le socle des textes actuels.

L’ère du « racisme ordinaire »

Au milieu des Seventies, la récession démarrée en 1973 frappe durement (le Royaume-Uni sera surnommé « le malade de l’Europe ») et le National Front monte, sinon en part de vote (qui restera toujours négligeable, ici) au moins par sa présence sur le terrain qu’il occupe bruyamment [1]. C’est l’ère du casual racism, omniprésent, à commencer par la télévision via des sitcoms très populaires et controversés tels Love Thy Neighbour et Till Death Do Us apart où le personnage principal, Alf Garnett, incarne la caricature d’un raciste multicartes patenté (xénophobe, antisémite, homophobe, etc.). Dans le milieu du football, le sujet est tabou et les clubs, de même que les instances, préfèrent ignorer la situation.
Dans ce contexte et en l’absence d’un cadre législatif bien défini et d’organismes de soutien (tel Kick It Out), les quelques joueurs noirs titulaires se sentent isolés et insuffisamment empowered pour mener un quelconque combat.


Nick Griffin, l’un des leaders du NF de l’époque. Cet admirateur de Faurisson et du Ku Klux Klan sera député européen de 2009 à 2014 sous la bannière du British National Party

Un racisme banalisé dont le principal porte-étendard est le député conservateur Enoch Powell, funestement célèbre pour son discours haineux des Fleuves de sang qui prédit aux Britanniques, entre autres prophéties délirantes, « un avenir où, dans 15 à 20 ans, les Noirs domineront les Blancs » (propos tenus dans son discours mais, selon Powell, prononcés par l’un de ses administrés). Une rhétorique d’une rare virulence et inhabituelle en Grande-Bretagne mais qui trouve un large écho auprès de la population : dans un sondage réalisé peu après, 74 % des Britanniques se disent en accord avec le discours de E. Powell.

Quand on interroge Williams un jour sur un énième commentaire raciste d’Enoch Powell, qui enjoignait aux Noirs de rentrer chez eux (« Go home, black man »), le comique ne peut s’empêcher de tourner en dérision la diatribe du Tory : « Ben punaise, si je dois rentrer chez moi, je risque d’attendre une éternité mon bus pour Barnsley. »

La carrière de Charlie Williams s’achèvera dans la controverse. L’humour anglais de la fin des Seventies ne se distingue guère par sa finesse (cf Bernard Manning) et même pour l’époque, directe et crue, certains sketchs des comiques en vue ont de quoi choquer (l’emploi intempestif de termes tels « négro » ou « bicot » est routinier). Williams, resté relativement mainstream jusque là, suit le mouvement du politiquement incorrect, plaisantant lourdement sur les immigrés de la nouvelle génération ou défendant une marque de confiture qui a adopté pour logo un Golliwog, une poupée noire dont les fortes connotations racistes divisent l’opinion (aujourd’hui ce terme peut être considéré comme injurieux, cf ici. Par ailleurs, le lien étymologique et la proximité phonético-sémantique entre golliwog et wog envenimèrent la polémique – wog = basané/bougnoule/etc. Wog était alors fréquemment utilisé contre les non-Blancs, surtout ceux d’origine indienne/pakistanaise).

La reconnaissance, enfin

Alors que les années 70 avaient consacré son talent, au début des Eighties, Williams est soudain perçu comme ringard et irresponsable. Il s’attire l’ire d’une partie de la presse qui lui reproche sa propension à perpétuer des stéréotypes discriminatoires au moment même où de graves tensions raciales secouent la société britannique (des émeutes éclatent à travers le pays). Un dialogue de sourd s’engage, Williams réfute ces critiques en arguant du fait que le meilleur moyen de combattre le racisme est de s’en moquer ouvertement et emphatiquement.

Peu à peu, poussé vers la touche par la concurrence et incapable de se renouveler, il disparaît des écrans et retourne à ses premières amours, les petites salles de ses débuts, les inaugurations de centres commerciaux et ces pantomines de Noël dont les Britanniques sont si friands.

En 1999, Williams est décoré de l’ordre du MBE (sorte de Légion d’Honneur) pour son travail caritatif. En 2000, aux Black Comedy Awards, on lui décerne un prix spécial pour l’ensemble de son oeuvre. Dans son laïus de félicitation, le maître de cérémonie le remercie d’avoir « broken down many barriers ». En 2004, les téléspectateurs de l’émission Football Focus sur BBC 1 l’élisent Doncaster Rovers all-time cult hero. Probablement la récompense qui lui fit le plus chaud au coeur.

Dans le livre Windrush – The Irresistible Rise of Multi-Racial Britain de l’ex politicien travailliste Trevor Phillips, le célèbre comique/acteur/écrivain anglais noir Lenny Henry explique :

« Il faut bien comprendre que l’émergence de Charlie Williams s’est faite dans un timing parfait. Le rôle qu’il adopta était idéal, ce Yorkshireman noir qui avait été footballeur à Doncaster Rovers, qui avait vécu la guerre parmi les Blancs du Yorkshire, qui parlait comme eux, qui pensait comme eux mais qui était noir. Et quand il est devenu célèbre, c’était stupéfiant d’entendre cet homme s’exprimer avec le vocabulaire et l’accent si particuliers de ce coin-là. Je pense que ça a été un énorme choc culturel pour les gens. Et Charlie savait exploiter ces contrastes à fond. »

Frappé par la maladie de Parkinson et atteint de démence, Charlie Williams s’éteint le 3 septembre 2006, à 78 ans. Pour son biographe, Stephen Smith, le pays perd un innovateur et un trailblazer, un précurseur qui a taillé la route – si ardue – pour les générations à venir. Un pionnier qui ne s’est pas contenté d’ouvrir une voie solitaire mais en a dynamité quelques-unes.

Kevin Quigagne.

Les volets précédents :

(1) Introduction. Les premiers Blacks du football britannique
(2) Andrew Watson. Les premiers Blacks du football britannique
(3) Arthur Wharton. Les premiers Blacks du football britannique
(4) John Walker et Walter Tull. Les premiers Blacks du football britannique
(5) Jack Leslie et Eddie Parris. Les premiers Blacks du football britannique
(6) Alfred Charles, Gil Heron, Roy Brown et Lindy Delapenha. Les premiers Blacks du football britannique

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[1] La genèse du National Front est, si l’on peut dire, tristement comique. Le NF est créé en février 1967 par John Tyndall, un adorateur d’Hilter surnommé « le Fürher de Notting Hill », alors quartier populaire et multiculturel touché par des émeutes raciales en 1958 (en réaction, des immigrés caribéens créeront le carnaval de Notting Hill l’année suivante).

En 1963, Tyndall s’était fiancé à Françoise Dior, la nièce de Christian Dior, rencontrée lors d’une réunion du National Socialist Mouvement. Mais alors que Tyndall est en prison pour activités néo-nazis, F. Dior en profite pour se marier avec le meilleur ami de Tyndall (!), un certain Colin Jordan, néo-nazi fondateur de la White Defence League en 1957 (parti dissous en 1960 et qui s’alliera au National Labour Party pour former le British National Party, lui même dissous en 1967 pour laisser place au National Front). Jordan était même en taule avec Tyndall mais fut libéré avant ce dernier, libération dont il profita pour épouser F. Dior en express. Un mariage sans invités expédié à la mairie du coin mais qui ne passera pas inaperçu, comme le raconte le wiki de F. Dior (avant le mariage – pour son enterrement de vie de jeune fille ? -, elle colle des svastikas sur les murs de l’ambassade britannique de Paris). Quand Tyndall sort de prison six mois plus tard, les deux hommes sont brouillés mais, entre-temps, Dior et Jordan se sont séparés et les deux cocus néo-nazis refont cause commune. C’est dans ce contexte que le National Front est créé peu après…

Politiquement inexistant (dû à un manque de moyens, au bipartisme britannique et à la rhétorique dure des Conservateurs), le NF acquiert cependant une visibilité au début des Seventies grâce au militantisme de ses 50 branches et 18 000 membres, des nervis qui se clasheront régulièrement avec les organisations anti-fascistes et même des supporters de football. Au milieu des Seventies, Martin Webster, un jeune ex Conservateur violent et avide de publicité, reprend le puant flambeau. Webster décide de changer radicalement de stratégie en infiltrant le football anglais.

Sans entrer dans les détails (nous aurons l’occasion d’y revenir), Webster va suivre les exhortations d’un jeune militant déjà très expérimenté, Derek Holland. Ce dernier fréquente des fascistes italiens en cavale outre-Manche (car recherchés pour divers méfaits graves) et qui se sont nourris des conflits  politico-footballistiques entre Ultras de gros clubs italiens, querelles attisées par les partis extrêmistes transalpins, gauche et droite. Parmi ces fascistes, Roberto Fiore, recherché pour son implication présumée dans l’attentat de la gare de Bologne en août 1980 (85 morts, plus de 200 blessés. Fiore sera finalement acquitté. Il dirige aujourd’hui le parti néofasciste Forza Nuova qu’il a créé en 1997 et fut député européen de mai 2008 à juillet 2009, en remplacement d’Alessandra Mussolini).

A partir de 1978, Le NF délaissera la voie électorale, jugée vaine et terne, pour prôner le combat musclé sur le terrain. Pour ce faire, le NF va tout axer sur le recrutement de jeunes. Tout naturellement, ce positionnement amènera le parti à s’intéresser au football et à ses hooligans (« On peut faire beaucoup de choses avec un hooligan » aimait dire Webster. Voir ce documentaire BBC sur Millwall diffusé en 1977 ; Webster, à 26’20 : « We are very glad to recruit younsters who are of a robust disposition and who are willing and able to defend our legal activities from communist assault when necessary. I think there’s a lot you can do with a soccer hooligan. » Un docu commandité par Millwall pour montrer « qu’il était un club comme les autres » ; une initiative qui se retournera contre le club londonien).

Bientôt, le NF affirmerait sa présence dans, et autour, des stades britanniques.