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Robin Friday (1952-1990), terrassé par un arrêt cardiaque dû à une overdose d’héroïne, aurait pu être un grand du football anglais. Au lieu de ça, il a été son enfant terrible le plus givré.

Lire intro ici.

[REP = Reading Evening Post]

The greatest footballer you never saw: THE ROBIN FRIDAY STORY

MAURICE EVANS, entraîneur à Reading : Je suis arrivé en juillet 74. Charlie [Hurley], le manager, m’avait beaucoup parlé de Robin, donc pour notre première séance d’entraînement début juillet, j’avais hâte de le rencontrer. Mais pas de Robin. Apparemment, il avait subi une opération chirurgicale pour se faire enlever des tatouages à la main et il portait un plâtre, mais personne savait où il était. Charlie est alors arrivé en s’écriant : « On l’a retrouvé ! Il a passé l’été dans une commune hippie en Cornouaille. Il est en route pour Reading. » Quelques jours après, on l’a aligné en amical contre Watford. Il n’avait pas touché un ballon depuis six semaines, et vous imaginez dans quel état il était dans les Cornouailles. Et ben, il a totalement éclaboussé ce match de sa classe. J’avais du mal à y croire… C’était un type incroyable.

REP, 12 juillet 1974

… Le monde du football s’est réveillé ce matin avec une nouvelle qui fait l’effet d’une bombe : Bill Shankly vient de démissionner et a décidé de prendre sa retraite.

[…] Reading Football Club a annoncé une perte de 16 000 £ sur l’année dernière. La dette du club s’élève désormais à 79 000 £.

REP, 24 juillet 1974

… Le manager Charlie Hurley dit placer beaucoup d’espoir en Robin Friday, cet attaquant arrivé en janvier et qui a eu un fort impact.

Ailleurs, surprise dans le petit club de Dunstable qui vient de recruter… George Best ! Ce dernier a déclaré : «  Tout ce que je veux, c’est de jouer au football, et c’est ce que Dunstable me permet de faire. » Barry Fry, le jeune manager du club, est ravi : « Incroyable, Dunstable a fait signer George Best ! C’est encore mieux que d’avoir Frank Sinatra qui chante à la mi-temps ! »


Barry Fry, un manager déjanté bien dans la lignée des Seventies

MAURICE EVANS : Charlie me dit : « Il faut absolument qu’on fasse déménager Robin à Reading, pour pouvoir le surveiller et avoir une idée de ce qu’il fait. » Je lui réponds : « Je sais pas si c’est une bonne idée, avec tous ces imbéciles qui traînent en ville, il suffit qu’il les fréquente et c’est terminé. »

ROD LEWINGTON, ami : C’est vrai qu’à l’époque y’avait une tripotée de sacrés numéros à Reading et ils idolâtraient tous Robin.

CHARLIE HURLEY, manager de Reading : On lui avait trouvé un appart tout près du club et on avait élaboré un plan pour qu’il se tienne à carreau et n’ait pas trop d’argent à claquer en ville. On retenait directement le loyer, les charges et les factures sur sa paye, si bien qu’il lui restait plus grand chose pour sortir. Mais ça changea rien car il était si populaire que plein de gens lui prêtaient de l’argent sans trop chercher à le récupérer.

ROD LEWINGTON : Il y avait aussi un tas de types qui profitaient de lui, pas dans le sens financier, mais de sa notoriété. Ils l’embarquaient souvent dans des tournées des grands ducs interminables et lui, il manquait de volonté pour refuser.

Il va sur la piste de danse, enlève son pantalon, et là, surprise : il était à poil. Il ne portait qu’une paire de bottes. Incroyable. Des fois, il prenait une nana dans la boîte, se trouvait une petite salle mitoyenne et ils baisaient.

REP, 6 août 1974

Reading 1 – Portsmouth 0

… Match amical durant lequel Friday a raté quelques belles occasions, mais on peut dire que sans lui le spectacle serait bien triste.

JOHN MURRAY, joueur : Moi, j’ai été viré de mon ancien club, Burnley, j’avais cassé la figure du manager là-bas et Charlie Hurley m’a récupéré – il devait avoir un faible pour les gars comme nous.

MAURICE EVANS : Robin était toujours fauché. Je n’arrêtais pas de lui prêter de l’argent, mais il me remboursait toujours.

ROD LEWINGTON : Le problème de Robin, c’est qu’il était trop généreux. Il donnait de l’argent à tout le monde et ne cherchait jamais à le récupérer.

MAURICE EVANS : Ses potes étaient bien barjots aussi, y’avait de sacrés timbrés, des chauffeurs de taxi aussi, qui l’emmenaient partout, le sortaient en boîte. Ils lui faisaient rencontrer des filles, ou carrément le mettaient direct dans un placard avec une nana et ils les laissaient faire leur truc.

ROD LEWINGTON : A l’époque, y’avait Churchill’s, la boîte la plus ringarde que Reading ait jamais eue, un truc super glauque. En fait, c’était une salle au-dessus d’une banque avec juste un comptoir et le minimum absolu pour fonctionner, une piste de danse et des cassettes pour la musique. C’était vraiment un endroit d’une nullité inégalée mais on pouvait y picoler toute la nuit. Tous les mecs qui se retrouvaient au Churchill’s étaient interdits d’entrée partout ailleurs. Un jour on y va avec Robin, après une séance au pub. Robin portait un long manteau et des hobnail boots [sorte de godillots militaires/Doc Martens avec crampons/clous à bouts arrondis – pour faire durer la semelle, ci-dessous].


La tenue de soirée de Robin Friday

Il se met sur la piste de danse, enlève son pantalon, et là, surprise : il était à poil. Il ne portait que ces pompes. Incroyable. Des fois, il prenait une nana dans la boîte, se trouvait une petite salle mitoyenne et ils baisaient. Nous, on se mettait devant la porte pour qu’ils soient pas dérangés. C’était le seul club de la ville qui fermait les yeux sur ce genre de chose.

JOHN MURRAY : Je me souviens que la première chose qu’il a faite en emménageant près du stade fut de repeindre tout en noir. Il disait que y’avait rien de pire que d’être défoncé et de devoir mater des motifs papiers peint plus étranges les uns que les autres.

REP, 17 août 1974

Reading 2 – Cambridge 0

… Superbe match de Robin Friday, qui, comme à habitude, a régalé l’assistance avec sa technique exceptionnelle.

REP, 24 août 1974

Rotherham 2 – Reading 1

… Belle tête de Robin Friday mais son but n’a pas suffi. Bien trop esseulé en pointe.

SYD SYMMONDS, ami : Robin était branché Heavy Metal, surtout le Alex Harvey Band et Led Zeppelin. Dès que t’allais chez lui, même à trois heures du matin, il te mettait ça super fort. Le voisin était un vieux type de presque 80 ans, Bill Smith, un ancien jardinier du Reading FC. Le pauvre, il a morflé, on lui a tout fait. La zique à fond, les gens qui tambourinaient à la porte à toute heure, les nanas qui balançaient des pierres sur les fenêtres… Pauvre vieux quand même.

REP, 2 septembre 1974

Reading 3 – Northampton 2

… But de Dick Habbin, superbement amené par Robin Friday.

REP, 7 septembre 1974

Scunthorpe 0  – Reading 1

… Tête victorieuse de Robin Friday, qui sort un énorme match. C’est son troisième but d’affilée.

REP, 9 septembre 1974

… Charlie Hurley a démenti que Sheffield United [haut de tableau de D1] a fait une offre pour s’attacher les services de Robin, supervisé pour la sixième fois par United cette saison. Toutefois, Friday n’est pas à vendre et s’il l’était, Reading en demanderait une forte somme, minimum 100 000 £.

MAURICE EVANS : Quand on jouait dans le nord de l’Angleterre, on se retrouvait parfois à la gare de Euston à Londres. Une fois, il s’est pointé en jean, avec bottes montantes en crocodile, t-shirt Deep Purple et rien d’autre, absolument rien. Quand on descendait à l’hôtel, les gens le regardaient et disaient « Mais c’est qui ce type ? »

CHARLIE HURLEY : Il essayait de suivre mes conseils, mais il y arrivait pas, son tempérament sauvage et indomptable le dominait. Il adorait boire, il était beau donc j’imagine qu’il avait pas trop de problèmes avec les filles. Ses fréquentations étaient folklos aussi !

MAURICE EVANS : Robin adorait les gens. C’était génial d’être avec lui, et comme c’était une vedette sur Reading, tout le monde voulait l’approcher. On a essayé de le protéger, de lui dire : « Ecoute Robin, prends conscience de tes qualités hors normes et de ta technique monstrueuse, ne sors pas autant, soigne ta forme et tu pourras signer n’importe où. » Mais lui, il nous regardait en se marrant et nous disait : « Putain, mais vous plaisantez ou quoi. M’entraîner tous les jours, faire des tours de terrain sans arrêt, ça m’intéresse pas. Si tu me donnes un ballon, je te fais ce que tu veux, mais bosser comme un dératé, pas question. »

REP, 12 septembre 1974

Reading 4 – Rotherham 2

… Bertie Mee, manager d’Arsenal, était à Elm Park hier soir et, selon un dirigeant des Gunners, il était là pour observer Robin Friday ou Dick Habbin. Superbe prestation de Robin Friday, notamment sa percée de la 11è minute, suivie d’une talonnade-passe qu’Henderson transforma en but.

REP, 14 septembre 1974

Reading 3 – Newport 0

… Superbe performance collective de Reading et but de Friday, son sixième cette saison. Habbin et Friday sont en tête du classement des buteurs. Un supporter a téléphoné au Evening Post jurant qu’il incendierait le stade si jamais le club vendait Friday !

REP, 14 septembre 1974

Reading 1 – Crewe 1

… Robin Friday s’est blessé à la cheville, on craint une fracture.

SYD SIMMONDS : Robin ne portait jamais de protège-tibias. Il sortait du vestiaire mal fagoté, chaussettes en berne après cinq minutes de match, tout débraillé, cheveux longs avec des tatouages Mild et Bitter [types de bière] sur sa poitrine.

REP, 20 septembre 1974

… Plus de peur que de mal, la blessure de Friday à la cheville est superficielle.

REP, 26 septembre 1974

… Chester 2 – Reading 0

Match plein de Friday mais insuffisant (il rate notamment une belle occasion), sous les yeux du manager de Liverpool, Bob Paisley, qui avait fait le déplacement pour observer Friday après avoir envoyé un émissaire à Elm Park en début de saison.

Friday à Liverpool avec Bob, ça aurait eu de la gueule !

Friday à Liverpool avec Bob, ça aurait eu de la gueule !

REP, 30 septembre 1974

Reading 4 – Southport 1

… Robin Friday, le roi des buteurs de Reading, est accusé de se comporter égoïstement envers le club et les supporters et de désavantager son équipe par ses fautes stupides qui entraînent des cartons. Il a déjà accumulé douze points disciplinaires et sera suspendu les deux prochains matchs, ce qui est malvenu pour le club qui vise la montée en D3, devenue impérative. Friday compte déjà neuf buts en championnat cette saison et RFC a plus que jamais besoin de lui pour atteindre ses objectifs. Il est à noter cependant que la réaction théâtrale des joueurs de Southport ne les honorent pas. Sur le coup de coude de Friday, le gardien s’est écroulé comme s’il venait d’être fusillé et quand Friday a mis un petit uppercut inoffensif sur le menton de Johnson (pour plaisanter), ce dernier a tout fait pour faire expulser le Royal.

CHARLIE HURLEY : En fait, Reading n’avait besoin que d’un avant-centre à cette époque : Robin Friday. A lui seul, il pouvait éliminer cinq joueurs. Jouer contre lui était un cauchemar et ces gars-là supportaient pas la façon insolente qu’il avait de mystifier ses adversaires. Et le pire truc en foot, c’est de jouer en ayant l’air de se foutre de l’adversaire.

REP, 1 octobre 1974

Rochdale 0 – Reading 2

… Une foule d’observateurs et de managers connus ont assisté au superbe match de Reading hier soir. Parmi les intéressés, il y avait les managers d’Aston Villa, de West Bromwich Albion, Manchester City, Coventry et le responsable de la cellule de recrutement de Leeds. Dick Habbin et Robin Friday, les deux joueurs observés, ont brillé dans ce qui était avant tout une belle performance collective. Reading est leader du classement.

Liverpool, Leeds, Arsenal, Aston Villa, Man City, Wolves, Sheffield United, Coventry… Un tas de clubs de D1 s’intéressèrent à Robin Friday mais sa réputation effrayait.

MAURICE EVANS : Je me souviens qu’un jour, on jouait contre Crystal Palace et Robin réalisait des trucs pas possibles sur le terrain. Terry Venables [alors manager de Palace] n’arrêtait pas de dire sur le banc d’à côté : « Mais putain, c’est qui ce mec ? » Venables voulait absolument le recruter, mais Palace était fauché et ils voulaient faire un échange de joueurs.

REP, 14 octobre 1974

Reading 1 – Shrewsbury 2

… Deuxième défaite d’affilée pour Reading. Il a été confirmé que chaque joueur recevra 60 £ de prime (car Reading reste dans le top four), et ce malgré la médiocre prestation des joueurs contre Shrewsbury.

DAVID DOWNS, historien du club : Un de mes amis jouait avec Robin à l’époque et c’est vrai que certains de ses coéquipiers ne l’aimaient pas trop, surtout des gars qui ne sortaient ou ne buvaient jamais, ils ne comprenaient pas son lifestyle.

CHARLIE HURLEY : Le truc avec Robin, c’est qu’il était incroyablement naturel, avec tout le monde. Je me souviens que quand le président du club ou les membres du directoire venaient dans les vestiaires, c’était tordant. T’avais Robin qui s’adressait à Sir Ernest Harrison [une huile] comme si c’était un vieux pote à lui, du style « Salut Ernie, ça roule ? » Lui et l’étiquette, ça faisait deux.

REP, 26 octobre 1974

Reading 0 – Barnsley 3

… Cinquième match de Reading sans victoire, la montée s’éloigne. Robin Friday ne jouait pas (grippe).

JOHN MURRAY : Le vendredi matin, je ramenais Robin chez lui en voiture. Y’avait toujours un tas de gens qui allaient et venaient, j’y comprenais rien. Mais ce dont je suis sûr, c’est qu’il était fauché en permanence.

SYD SIMMONDS : S’il n’y avait aucun match en semaine, la plupart du temps, on picolait tous les jours et ensuite on sortait en boîte. Mais à partir du jeudi matin, il arrêtait la boisson. Un soir, en rentrant du pub, il me dit : « J’ai une surprise pour toi, une bonne pastille d’acide. On va se faire une super soirée. » Mais je lui ai répondu que je touchais pas à ça. Il a insisté en rigolant, pour lui c’était la routine, un moyen comme un autre de s’éclater.

REP, 18 novembre 1974

… Robin Friday écope de deux matchs de suspension devant le comité de discipline de la FA.

REP, 6 décembre 1974

… Le salaire moyen national est de 50 £ par semaine. Le prix d’une maison sur Reading est de 15 000 £.

REP, 6 janvier 1975

Crewe 1 – Reading 0

… Quatrième défaite d’affilée de Reading qui dégringole à la 12è place.

REP, 3 février 1974

Reading 3 – Workington 0

… Le plus beau succès depuis trois mois, dont un but tout en opportunisme et détermination de Robin Friday pour son cinquantième match avec les Royals. Mais une nouvelle fois, il a été salement malmené par ses adversaires.

REP, 8 février 1975

… Margaret Thatcher devient leader des Conservateurs et la première femme à diriger un parti politique britannique.

CHARLIE HURLEY : L’une des raisons pour lesquelles Robin et moi on s’entendait si bien c’est que j’étais toujours franc avec lui. Il me demandait souvent mon avis sur sa prestation, car il adorait parler. Il m’arrivait de lui dire qu’il avait été nul à chier. Il me répondait : « Mais j’ai été meilleur qu’untel quand même. » Je lui rétorquais qu’il ne devait jamais se comparer à Pierre, Paul ou Jacques. Souvent, il était difficile à gérer, et je pense qu’il fallait être irlandais comme moi pour gérer Robin !

DAVID DOWNS : Honnêtement, avant l’arrivée de Robin, Reading était un club très quelconque. A lui seul, il a transformé l’image du club. Une quantité formidable de gens l’idolâtrait, beaucoup de gens se rendaient spécialement à Reading juste pour le voir, il a fait venir beaucoup de monde.

REP, 28 février 1975

Northampton 0 – Reading 3

… Plus belle victoire à l’extérieur depuis quatre ans. Friday, blessé, fut remplacé à la 78è, pour la première fois depuis son arrivée au club.

REP, 19 mars 1975

Cambridge 1 – Reading 1

DAVID DOWNS : Je me souviens de ce match contre Cambridge, Robin s’était battu avec Brendan Batson [l’un des rares joueurs noirs de l’époque, qui deviendra célèbre à West Bromwich Albion, Nda]. Ron Atkinson manageait Cambridge et il aurait demandé à Batson de casser les jambes de Robin. Bon, à la fin du match, Robin et Batson se sont serrés la main et Robin lui a dit : « Sans rancune hein, j’ai rien contre les Noirs. Je suis mariée à une Noire. » Je crois que ça a déconcerté Batson d’entendre ça.

Batson, l'un des rares Noirs de D1 des Seventies, où le racisme gangrénait le football anglais

Batson, l'un des rares joueurs noirs de D1 à la fin des Seventies, une époque où le racisme gangrénait le football anglais

MAURICE EVANS : Le public adorait Robin et lui, ça lui donnait encore plus d’audace pour tenter des trucs improbables. Mais il ignorait totalement les consignes, il allait où bon lui semblait sur le terrain. Le seul truc que j’ai vraiment essayé avec lui c’est d’améliorer sa condition physique. Il n’aimait pas ça ! Il détestait courir, il pensait que ça ne servait strictement à rien.

REP, 3 avril 1975

Reading 3 – Exeter 1

… Superbe victoire de Reading. Friday malmené dès le coup d’envoi mais magnifique performance de sa part. Il marque son 17è but en championnat. Par ailleurs, Reading FC a annoncé que le club refuserait l’entrée du stade aux hooligans. Cette décision s’inscrit dans le cadre de la lutte contre le vandalisme.

SYD SIMMONDS : Robin dépensait beaucoup en chaussures, surtout dans ces bottes en croco, il en était dingue, il lui arrivait de claquer 100 £. Il allait les acheter sur King’s Road. Ça et les jeans, il ne portait que ça, tous les autres joueurs portaient l’uniforme du club, veston classe et pantalon gris, sauf Robin.

JOHN MURRAY : Je me souviens d’une fois où on revenait en train d’un match de coupe disputé dans le Nord-Est et l’équipe de West Ham était aussi dans le train ; y’avait Frank Lampard [senior], Clyde Best, Pat Holland et quelques autres. Je discutais avec Steve Death et les joueurs de West Ham au buffet du train quand soudain, Robin entre dans le wagon. Il avait une de ces touches ! Cheveux longs ébouriffés, blouson en cuir, t-shirt noir et jean. Et là il me dit : « John, paye-moi un putain de coup s’il te plaît. » Un des joueurs de West Ham me sort alors : « Putain de supporters, ils s’incrustent partout ! » Steve Death se tourne vers lui et lui fait : « Euh, en fait, c’est notre avant-centre. »

A suivre.

Dans la même série TK des grands tarés du foot british :
Lars Elstrup
Chic Charnley

Deux saisons pour le prix d’une pour inaugurer cette nouvelle série, car fusionnelles dans la médiocrité. Le tout agrémenté d’un bouquet final somptueux signé du Doc et d’un message pour les fêtes, en finnois.

Introduction ici.

L'écusson de United des années 1960 à 1973

L’écusson de United des années 1960 à 1973

Clap de fin pour la Holy Trinity

Finalement, privé de George Best pour le reste de la saison 1972-73, Man United se maintient un peu miraculeusement en finissant 18è, après un gros coup de collier dans l’emballage final : 6 victoires sur les 11 derniers matchs, soit autant que sur le reste de l’exercice. Lou Macari, milieu écossais arrivé en janvier, a sauvé la baraque, 5 buts en 16 matchs et probablement autant de passes décisives (aucune stat à cette époque – mais comment faisaient-ils bon dieu ?).

Bobby Charlton finit meilleur buteur d’un club en déliquescence sportive : 6 malheureux pions (sur 36 matchs). Denis Law affiche un bilan digne des Frères Ameobi ou d’un Danny Graham on fire : 1 but en 11 matchs (des pépins au genou expliquant aussi cela). Best en a inscrit 4, en 19 matchs, tous disputés avant décembre.

Tommy Docherty prend alors une décision grave : Bobby et Denis, 68 ans à eux deux et presque 500 buts pour United, sont priés d’aller faire valider leur carte Vermeil ailleurs. En fait, le Doc a tranché presque le coeur léger. Il dira plus tard (voir clip, à 2’10) : « Les joueurs vieillissants peuvent être comme un cancer dans le vestiaire, ils ne s’intéressent plus qu’à leur longévité, pas à la qualité de leur jeu. J’ai dû me débarrasser des boulets et je l’ai fait sans aucun état d’âme. » Charlton part entraîner Preston North End, D2 (ci-dessous à droite, échec et descente en D3) et le sosie de Benoît Poelvoorde signe à… Man City (où il avait joué en 1960-61).

Le départ de Bobby était attendu mais pas celui de Denis Law [1]. Docherty avait même promis à Law un prolongement de contrat et conclu un deal avec lui pour annoncer son départ, ou sa retraite, le cas échéant dans le courant de la saison suivante. C’est pendant une émission de foot qu’il regardait à la télé dans un pub d’Aberdeen que Law apprit, via le présentateur, son placement sur la liste des transferts…

Docherty semble nourrir encore l’improbable espoir de ressusciter la carrière de Best. Ça ou alors il tient à avoir ses entrées au Slack Alice (la boîte que Best vient d’ouvrir), qu’il fréquentera lui-même en y draguant tout ce qui bouge !

Une saison 1973-74 encore plus galère

L’intersaison a été calme côté recrutement. A l’instar d’Arsenal ces dernières années, le club a les pires difficultés à attirer du gros gibier, les meilleurs préférant aller – ou rester – dans les clubs du moment ou prometteurs, à savoir Leeds United, Arsenal, Liverpool, Derby County, Wolves, Ipswich Town, etc. Ce n’est pas le fameux A.B.U (Anyone But United – supportez n’importe qui sauf United) du début des années 2000 mais Anywhere But United.

Au 26 décembre, le meilleur buteur de Man United est… le gardien, Alex Stepney, qui a converti deux pénaltys.

Les joueurs clés de United sont dans l’ensemble peu connus et majoritairement écossais. Ils se nomment Alex Stepney (gardien), Jim Holton et Martin Buchan (arrières centraux), Willie Morgan (ailier), Brian Greenhoff (milieu défensif), George Graham (le futur manager d’Arsenal), Brian Kidd et Lou Macari qui commence à se faire un nom, sans oublier le jeune Nord-Irlandais Sammy McIlroy. Bref, pour le maintien, c’est pas gagné.

La saison démarre comme prévu, très mal : 4 défaites sur les 6 premiers matchs. Ça se reprend avant de repiquer sérieusement du nez : 20è à mi-parcours avec 14 malheureux points. Au 26 décembre, le meilleur buteur Red est… le gardien Alex Stepney, qui a planté deux pénaltys.

Entre deux pauses dans son tourbillon festif, George Best a réussi à disputer une douzaine de matchs (2 buts). Son club à lui va merveilleusement bien par contre. On l’y croise souvent évidemment, ainsi que les célébrités de l’époque, de Mick Jagger à Elton John en passant par Rod Stewart, Marianne Faithfull ou les vedettes de Man City, tels le play-boy Rodney Marsh ou son vieux pote Mike Summerbee (ci-dessous) avec lequel Best a ouvert une boutique de mode à Manchester.

Triste fin pour Bestie

Début janvier 1974, le club est 20è et la situation est très tendue. Tombe alors la goutte de champ’ qui fait déborder le jéroboam. Le 1er janvier, après une lourde défaite à QPR où Best a été transparent, Docherty et Best s’accrochent sérieusement. Rebelotte le 5 janvier pour un 32è de FA Cup contre Plymouth (D3) à Old Trafford. Mais cette fois-ci, la violente dispute sera fatale à Best.

Best devait jouer ce match contre les Pilgrims mais Docherty l’en empêcha, lui reprochant de s’être pointé au stade à moitié ivre et en trop galante compagnie. Au coeur de l’embrouille, ce fameux deal portant sur les « aménagements » de ses horaires d’entraînement. L’Ecossais reproche au Nord-Irlandais de manquer trop de séances ou de se pointer passablement éméché, ce qui n’était pas prévu dans l’arrangement. Best encaisse mal. Il pense que le Doc veut lui faire porter le chapeau des échecs du club et prend cette attaque pour une trahison. Et puis pour lui, le deal était que bon, il s’entraînait un peu quand il voulait… Best comprend alors qu’il ne rejouera plus jamais pour United.

Abattu, il assiste tout de même à la poussive victoire de son équipe (1-0). Après la rencontre, ce moment poignant : Best reste longuement assis dans les tribunes, seul dans un Old Trafford vide, tête plongée dans les mains. Il pleure, prostré, incapable de bouger. Il faut qu’un membre du staff aille le trouver et lui dise :

« Allez George, faut y aller, c’est fini, on va fermer »

La presse tabloïd défouraille les titres chocs, tel feu News of The World : « Best viré, pour la énième fois il s’était pointé ivre à l’entraînement ». Best et le Doc ne se parleront plus jamais (un froid glacial qui persistera jusqu’à la disparition du Nord-Irlandais en 2005).

Côté terrain, le club sombre totalement. Au 23 mars, United ne compte qu’une seule victoire en 1974 (1-0), en 11 matchs au cours desquels United n’a inscrit que 5 buts… La lanterne est rouge écarlate.

Best s’est bien remis du choc et c’est de loin qu’il observe la déchéance des Red Devils. Il est en effet très occupé : il vient d’ouvrir Oscar’s, une boîte-restaurant décorée sur un thème « chic décadent » qui fait un malheur à Manchester.

Mais surtout, il se retrouve au coeur d’un scandale retentissant : il est arrêté par la police pour cambriolage. Le délit aurait été commis à Londres en février, alors qu’il contait fleurette à l’Américaine Marjorie Wallace (ci-contre), Miss Monde 1973 et fiancée à un pilote de F1, Peter Revson. La miss l’accuse de lui avoir volé des bijoux, un manteau en vison, son passeport, du whisky et un chéquier ! Les Geneviève de Fontenay du concours ne rigolent pas avec ces transgressions libertines et défroquent la belle le 7 mars. Le 22 mars, Peter Revson se tue au cours d’une séance d’essais avant le grand prix d’Afrique du Sud. Wallace retourne alors aux USA et, dépressive, abandonne les poursuites judiciaires contre Best.

Crucifié par leur ex messie

La dernière ligne droite de la saison ressemblera à un long chemin de croix, le club ne quittant plus la zone de crucifixion. Cruellement, c’est  Denis Law qui plantera le clou de grâce, devant les 56 996 spectateurs d’Old Trafford, le 27 avril 1974 [2], à l’occasion de l’avant-dernière journée contre Man City. Talonnade victorieuse (1-0) à la dernière minute de l’ex King Denis of Old Trafford, qui ne célèbre pas son but. Instantanément, des centaines de supporters envahissent le terrain (clip, à 5 minutes, fin de match très chaotique). Quelques supps Citizens, évidemment ravis d’avoir vu Law envoyer Man United en D2 pour la première fois depuis 36 ans, s’en vont féliciter l’Ecossais mais ce dernier les repoussent vigoureusement.

Il décrira ce moment comme le plus douloureux de sa carrière, précisant tout de même (dans son autobiographie) : « Ma talonnade n’a pas envoyé United en D2 [comme il a été écrit], mais symboliquement ce but a confirmé leur sort. […] En fait, j’ai été chanceux car sur la passe de Francis Lee, j’ai balancé ma jambe presque au hasard et c’est rentré. » Un geste heureux resté comme l’un des plus fameux caprices du destin du football anglais.

Le 29 avril 1974, Man United (21è) descend en D2, que les Reds avaient quitté en 1938.

Pour l’anecdote, à l’intersaison 1974-75, Best pense raccrocher quand apparaît au coin du bois un curieux personnage alors inconnu mais devenu depuis un incontournable histrion du football britannique : Barry Fry (ci-contre).

Fry, 29 ans [3], est le nouvel entraîneur de Dunstable Town, un petit club amateur du Bedfordshire (50 kms au nord de Londres). Petit mais costaud. Et bien givré. Le propriétaire est Keith Cheeseman, un riche industriel excentrique : il a filé son chéquier à Fry en l’invitant à recruter qui il veut. Il a même signé quelques chèques en blanc… Et Fry a réussi à faire venir George Best (ici) ! Naturellement, c’est dans un night-club que Best signe le contrat le liant à « Dunstabubble » comme le surnomme l’azimuté Fry.

En fait, Best connaissait Fry, un ancien reject de Man United au début des Sixties, décrit alors par un journaliste comiquement peu visionnaire comme « le futur Jimmy Greaves du Nord » (!). Quand Best débarqua à Manchester de Belfast à 15 ans, il était fauché et sans repère (pas encore professionnel, contrat d’apprenti à 8 £/semaine). Fry, d’un an son aîné, l’avait alors pris sous son aile et dépanné financièrement. Best ne l’oublia pas et quand Fry voulut faire connaître Dunstable au reste du monde, Best accepta de rejoindre le club (il joua trois matchs officiels – l’affluence de Dunstable fut multipliée par 150 ! Elle passa de 34 spectateurs à plus de 5 000. Dans la foulée, Best convainquit aussi l’international anglais Jeff Astle – 174 buts pour West Bromwich Albion en D1 – de jouer une saison pour Dunstable. Mais peu après Cheeseman fut emprisonné pour escroqueries, le club fit faillite et fut dissous).

Quant à Tommy Docherty, son passage de quatre ans et demi à Man United s’achèvera cocassement.

En 1975-76, si l’Ecossais a sacrément redressé Man United avec sa jeune équipe conquérante, jusqu’au bout à la lutte avec Liverpool pour le titre (3è au final), il a aussi bien redressé la jeune femme du kiné du club, Mary Brown (ci-dessus), avec qui il entretient une relation secrète.

Les tabloïds, feu News of the World en tête, dévoilent l’affaire et un scandale très puritain éclate (Docherty est alors marié depuis 27 ans avec 4 enfants).

Au grand dam des supporters (qui manifesteront leur colère dans la rue), le directoire limoge le Doc le 4 juillet 1977 pour « raisons de moralité » (clip) deux mois après avoir remporté une mémorable FA Cup face à Liverpool. Faisant montre d’un romantisme inhabituel chez lui, Docherty déclare : « J’ai été puni pour être tombé amoureux. »

Trente-six ans plus tard, Docherty, 85 ans, est toujours avec l’ex femme du kiné, heureux comme au premier jour. Finalement, le Doc était un grand sentimental.

Kevin Quigagne.

Teenage Kicks va prendre quelques vacances. Fini l’Ile de Man, Doncaster, Wigan ou Ben Nevis, cette fois, on joue la carte du dépaysement classieux et culturel : on va à Hull. Paraît qu’ils ont de jolis marchés de Noël là-haut et pis Hull vient d’être nommé UK City of Culture 2017. On reviendra quand on aura recensé tous les supps Tigers encore traumatisés par les centres au quatrième poteau de Bernard Mendy.

Une fois n’est pas coutume, c’est en finnois qu’on vous souhaite plein de bonnes choses pour les fêtes : Hyvää joulua, Hyvää Uutta Vuotta, hyvä juoma, rakastella ja rukoilla Sunderland car on vous laisse avec l’écusson du club à supporter pendant la trêve (même s’ils ne jouent pas) : le FC Santa Claus de Rovaniemi.

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[1] Contrairement à ce qu’on entend/lit souvent (que Law avait demandé à être transféré, etc.).

[2] Même si techniquement, avec un nul contre City, les autres résultats défavorables à United auraient de toute manière condamné les Red Devils à la descente.

[3] Barry Fry, 66 ans, est aujourd’hui directeur sportif de Peterborough FC (D3) et accessoirement beau-père du buteur de Brighton Craig Mackail-Smith – il a même récemment joué les sages-femmes !