Le football grand-breton, ses instances nous répètent à l’envi depuis vingt ans, est un modèle d’intégration pour les non-Whites. Et il est indéniable que le chemin parcouru ces dernières décennies est colossal. Mais terre d’accueil, le Royaume-Uni ne l’a pas toujours été et on a peine à mesurer la gravité de la situation il n’y pas si longtemps.

Voir introduction du dossier.

On estime qu’entre 1875 et 1914, les années formatives du football britannique, une vingtaine de joueurs noirs ou métis/non-blancs évoluèrent dans des clubs de Football League anglaise et écossaise (D1 et D2). Parmi eux, Andrew Watson, Arthur Wharton et Walter Tull sont, de loin, les plus connus. L’histoire du football britannique antérieure à la Première Guerre mondiale n’a malheureusement gardé aucune ou peu de trace des autres (hormis John Walker, les Frères Cother à Watford, Fred Corbett et Hassan Hegazi), simplement quelques noms (et encore) dans les listes de joueurs.

Aujourd’hui, le daddy de tous les pionniers : Andrew Watson.

# 1. Andrew  Watson (1856-1921)

Né le 24 mai 1856 à Georgetown, Guyane britannique (aujourd’hui Guyana), fils d’un riche planteur écossais de sucre à canne et d’une Guyanienne.

Premier football joueur métis au monde à décrocher une sélection internationale, pour l’Ecosse en 1881, Watson, principalement arrière, était considéré à son apogée comme l’un des tous meilleurs footballeurs de l’époque. Il est également le premier métis à avoir joué en FA Cup, en 1882, avec le club de London Swifts FC. Et contrairement à ce qui est communément admis, il est probable que ce fut Andrew Watson et non Arthur Wharton qui devint le premier footballeur professionnel noir du football britannique.

Élémentaire mon cher : Watson était un vrai crack

Scolarisé à Londres où il pratique assidûment le football, à 19 ans, Andrew Watson démarre des études combinées de mathématiques, ingénierie et philosophie naturelle [sciences] à l’université de Glasgow mais abandonne rapidement son cursus pour se spécialiser dans la mécanique navale.
Arrière central, latéral ou milieu de terrain (généralement dans un dispositif 2-3-5 en Ecosse et 2-2-6 en Angleterre où il partit jouer à partir de 1882 – grosse évolution par rapport au 1-1-8 des années 1860-70 !), il entame en 1874 un parcours ascendant dans les principaux clubs de Glasgow. Après un bref passage au Maxwell FC, il est recruté par l’ambitieux Parkgrove FC où il restera jusqu’en 1880. Le Scottish Football Association annual de 1878-79 classe Watson parmi les meilleurs joueurs en activité.


QPFC et leur belle devise : « Jouer pour le plaisir de jouer » (voir article “Les plus insolites écussons du foot british”).

En avril 1880, Watson est logiquement recruté par le plus grand : les Glasvégiens du Queen’s Park FC [1]. QPFC, déjà quadruple vainqueur de la Scottish Cup, est alors le plus important club du pays et même du Royaume-Uni, un club au rayonnement extraordinaire (« l’équivalent de Man United, Juventus et Real Madrid réunis », nous précise cet intervenant – de 50 secondes à 1’55 – dans ce fascinant clip qui retrace la vie d’Andrew Watson).

En tant que factotum et match secretary, Watson s’occupe également activement de la gestion du club, notamment de l’organisation des matchs à l’extérieur – y compris en Angleterre –, tâche ô combien compliquée à l’époque ! (il n’était pas rare que la moitié des joueurs s’égare en route ou arrive le soir pour un coup d’envoi prévu en début d’après-midi. Sans parler des risques et accidents en tout genre ; selon une blague de l’époque, il était fortement conseillé de souscrire une assurance-vie avant tout déplacement en train ! Rien que pour l’année 1872 par exemple, 1 100 personnes décédèrent dans des accidents ferroviaires – principale raison de ce carnage : les sociétés de chemin de fer traînaient les pieds pour investir dans la sécurité – e.g, dans des systèmes de frein efficaces ! – et la signalisation indiquant la présence de deux trains sur la même voie ne fut rendue obligatoire qu’à partir de 1888. Sujet passionnant mais rassurez-vous, TK ne s’est pas associé à La Vie du Rail alors passons).

Départ pour l’Angleterre

Le 12 mars 1881, Watson décroche sa première sélection pour un Angleterre-Ecosse à Londres (1-6, devant 8 500 spectateurs) où il est d’ailleurs nommé capitaine. Il ne sera capé que trois fois par l’Ecosse (re-victoires fleuves 5-1 sur l’Angleterre et le Pays de Galles) car il partira jouer – et travailler – en Angleterre en 1882 et le réglement de la fédération écossaise interdisait la sélection de joueurs non résidents en Ecosse.


A. Watson, 1880, premier debout en partant de la gauche

S’il est impossible d’établir avec certitude les raisons de son départ d’Ecosse, on peut supposer que l’aspect financier fut étranger à cette décision car Watson était déjà fortuné [2] et épousait vraisemblablement les principes prônés par Queen’s Park FC, le club qui le fit connaître, ainsi que son pendant anglais, le fameux Corinthian FC où il évoluera plus tard [3] (club dont la réincarnation moderne, Corinthian-Casuals – D8 – affrontera les Corinthians de São Paulo dans deux mois au Brésil, ici).

Toutefois, l’argent commençait à irriguer le football et la question financière ne saurait être éludée. En effet, au moment où Watson émergea en tant que joueur de haut niveau, il pouvait être lucratif d’évoluer en Angleterre, bien que le professionnalisme n’y soit pas encore établi… officiellement du moins. Dans la pratique, les paiements se généralisèrent dès la fin des années 1870 (quelques billets étaient glissés dans les chaussures après le match – c’est l’ère du shamateurism, l’amateurisme marron), avec souvent, pour les meilleurs, une offre d’emploi en sus. Il arrivait même que des joueurs écossais, lors de ces fréquentes tournées de matchs amicaux dans le Nord de l’Angleterre [4], disparaissent en plein tour et signent pour un club anglais qui leur faisait miroiter une vie facile ! (un travail peu contraignant, ou même parfois fictif, avec de belles primes de match à la clé, comme ce fut le cas en 1879 pour deux joueurs du club glasvégien de Partick Thistle FC qui signèrent sur le champ à Darwen FC, un club de Blackburn qui leur offrait un job reposant dans le textile et de généreux émoluments – c’est l’un des tous premiers cas avérés de défection).

Fortement poussée par une trentaine de clubs influents de l’époque (Preston North End, Accrington FC et Aston Villa en tête) qui menaçaient de créer leur propre fédération et championnat professionnel, la Football Association anglaise officialisa le professionnalisme en 1885. Mais ce dernier n’arriva en Ecosse qu’en 1893, ce qui explique la prolifération de joueurs écossais à l’époque en Angleterre, surtout dans le Nord (ils étaient aussi recherchés pour leurs qualités de passeur, ayant développé le jeu de passe, principalement grâce à Queen’s Park FC – voir ici et la footnote [1] plus bas).

Sa position sociale le préserve du racisme

Alors qu’il évolue depuis deux saisons aux London Swifts (1882-1885), Watson fait un crochet par le Corinthian FC de Londres. Avec lui, en décembre 1884, Corinthian étrille Blackburn Rovers 8-1, alors tenant de la FA Cup et considéré comme le meilleur club anglais.

Après un retour aux Queen’s Park de Glasgow saisons 1885-87 (où il en profite pour décrocher sa troisième Coupe d’Ecosse), Watson est recruté par feu Bootle FC en 1887, club ambitieux de la banlieue de Liverpool et grand rival d’Everton (LFC n’avait pas encore été créé). Un club qui offrait salaires et primes aux meilleurs joueurs de l’époque, dont Watson faisait partie. S’il n’a jamais été établi qu’il toucha de l’argent de Bootle, on peut légitimement le penser. A Liverpool, il reprend ses études en mécanique navale et obtient son diplôme en 1892. Il raccroche alors les crampons pour parcourir les mers du globe.

Aucun fait de racisme ne semble avoir été relevé à son encontre pendant sa carrière, même si les préjugés de l’époque en matière raciale étaient virulents – thème que nous aborderons dans le prochain volet, sur Arthur Wharton (il convient aussi de souligner la rareté ou brièveté des comptes-rendus de match entre 1880 et 1890, surtout dans les clubs où Watson évolua. La presse foot ne se développera réellement qu’à l’avénement du professionnalisme à partir de 1885 et à la création de la Football League en 1888).
A ce sujet, une thèse intéressante est développée dans le clip sus-cité (à 2’00) : c’est très probablement l’effet de nouveauté (l’un des rares Noirs de Glasgow) ainsi que son standing social élevé qui préservèrent Watson du racisme, au contraire des milliers d’Irlandais paupérisés dont l’ostracisme était le lot quotidien.

On sait peu de choses sur sa vie après le football. Jusqu’à la mi 2013, nombre d’historiens du football (dont ceux du Scottish Football Museum d’Hampden Park) pensaient que Watson avait émigré en Inde puis en Australie où il aurait disparu vers 1900. Toutefois, de récentes découvertes montrent qu’il est mort d’une pneumonie à Londres en 1921. Il est enterré au cimetière de Richmond, sud-ouest de la capitale. Il a été intronisé au Scottish Football Hall of Fame en 2012.

Kevin Quigagne.

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[1] J’ai pas mal écrit dans TK sur Queen’s Park FC et le passing game révolutionnaire qu’ils développèrent, en particulier dans cet article de 2013 (footnote [5]) et ici. Leur surnom, The Spiders, a probablement été inspiré par leur jeu de passe caractéristique « en toile d’araignée », cette toile qu’ils tissaient pour étouffer leurs adversaires (il existe une autre version, voir footnote [5]).

Watson mit un point d’honneur à porter les couleurs de Queen’s Park FC, club de Glasgow originellement « élitiste » (pour l’élite). Les Spiders, éternels tenants d’un amateurisme pur et dur, ont toujours obstinément refusé de passer professionnel. QPFC, aujourd’hui en D4 écossaise, a la particularité d’évoluer à Hampden Park à Glasgow (53 000 places) devant… 600 spectateurs en moyenne. Jusqu’à l’ouverture du Maracana en 1950, Hampden Park était le plus grand stade au monde, pouvant accueillir 150 000 personnes. QPFC, dix fois vainqueur de la Scottish Cup, est le seul club ayant atteint à la fois une finale de Scottish Cup et de FA Cup.

[2] Très jeune, à 13 ans, Watson hérita de son père d’une vaste fortune tirée de l’actionnariat dans les nombreuses compagnies florissantes de chemin de fer (35 000 £, l’équivalent d’environ 20m £ aujourd’hui)

[3] Belle et noble histoire que celle du Corinthian FC, extraordinaire club multisport fondé en 1882 (dissous et amalgamé avec les Casuals en 1939), partiellement en réaction à l’insolente santé du foot écossais national et de club, surtout le Queen’s Park FC. Corinthian était composé d’amateurs aisés, et tout comme leur modèle des Queen’s Park FC, ces gentlemen prônaient un amateurisme absolu et un degré de fair-play sans doute unique dans l’histoire du football. Malgré leur supériorité durable sur des clubs pros et huppés qu’ils affrontaient en amical (en 1904, ils fessèrent même Manchester United – D2 – 11-3 !), ils rejetaient toute idée de compétition, sauf à partir de 1923, où ils acceptèrent à contrecoeur de disputer la FA Cup. Dans cette coupe, ils attirèrent des affluences considérables, jusqu’à 60 000 spectateurs, e.g contre Chelsea en 1930 (voir ce court historique).

Les joueurs du Corinthian FC refusaient également de tirer ou marquer les pénaltys (et leur gardien quittait son but quand ils concédaient un pénalty) et, chose extraordinaire, si un adversaire s’était blessé ou fait expulser, ils renvoyaient l’un des leurs au vestiaire pour équilibrer les débats ! (pas de remplacement à l’époque bien sûr, c’est venu bien plus tard, années 1960). Ils s’interdisaient aussi de protester auprès de l’arbitre. La première guerre mondiale eut largement raison de leur existence (ils perdirent 22 joueurs) et le club périclita même si une version moderne existe toujours (Corinthian-Casuals, sud de Londres, évoqués dans l’article. Evidemment, eux tirent les pénos et jubilent quand un adversaire est expulsé).

En 1910, une tournée du Corinthian FC au Brésil donna l’idée à des cheminots de São Paulo de fonder leur propre club, le Sport Club Corinthians Paulista. Cet article traite en partie de ces tournées des clubs britanniques, d’une importance essentielle pour le développement du football à travers le monde.

[4] En l’absence de tout championnat organisé (jusqu’en 1888 en Angleterre, 1890 en Ecosse), les clubs disputaient des coupes locales/régionales, la FA Cup ou la Scottish Cup, de nombreux matchs amicaux ainsi que des matchs internationaux pour les meilleurs, contre les autres « nations » britanniques (l’Irlande avait alors une équipe unifiée, jusqu’en 1924), notamment lors du British Home Championship – 1884-1984 – premier tournoi international de football au monde. Les championnats structurés n’avaient pas encore vu le jour – le premier fut la Football League, en 1888 – et les clubs s’affrontaient dans les nombreuses coupes (parfois 4 ou 5 coupes coexistaient par ville/région) ou en amical, particulièrement s’ils étaient éliminés de toutes les coupes.

6 commentaires

  1. Fonzie dit :

    Cool ce voyage dans l’antiquité.
    Je connaissais pas ce Watson.

    J’ai suivi ton lien vers le 1-1-8 anglais qui affrontait le 2-2-6 écossais en 1872.
    0-0 à l’arrivée !!!
    Putain les mecs à 8 attaquants contre 2 pauvres défenseurs (les baisés comptez-vous), incapables de mettre un pion.

    Bon d’un autre côté c’est pas étonnant si les mecs essayaient de faire du tiki taka avec leurs croquenauds à bouts carrés sur un champ de patates.

    Concernant les Corinthians et leur côté « gentleman », je pense que ces gars (visiblement de la haute) n’avaient sans doute pas besoin du foot pour vivre contrairement aux ouvriers du nord de l’Angleterre. On voit pas les choses de la même manière forcément…et puis refuser de tirer les pénos, c’est prendre ses adversaires pour des charlots. Non ?

  2. Kevin Quigagne dit :

    Je te répondrai demain ou dans la semaine, je suis claqué là (il est 22h15) et ça demande une réponse détaillée au niveau dispositifs, évolution de la tactique, etc.

    Mais juste comme piste de lecture, cet article que j’ai publié en octobre 2013, ça causait de Queen’s Park FC, des Ecossais, des styles de l’époque en Ecosse et Angleterre, du dribbling game, du passing game, etc. :

    http://cahiersdufootball.net/blogs/teenage-kicks/2013/10/22/il-y-a-150-ans-le-football-naissait-12/

    (voir la footnote [5] en particulier).

    Je bossais (chez moi) ce soir et n’ai vu aucun match mais je viens de voir le score de Chelsea à Schalke… Ils ont l’air bien chauds là et ça me fait sacrément flipper vu qu’on (Sunderland) les reçoit samedi, j’y serai. J’espérais vaguement une redite de Stamford Bridge en avril dernier (victoire Black Cat 2-1) ou au moins un nul et pensais mettre un p’tit billet sur un nul. Bon, ben, peut-être pas tout compte fait…

  3. MisterFrisk dit :

    Excellent comme toujours.
    A chaque fois que je vois qu’il y a un nouvel article sur ce site, je me prépare un moment tranquille avec un café pour le savourer.

    En regardant la photo, je vois que tous les joueurs portent des botines a talon du meilleur gout mais c’était pour la photo ou ils jouaient vraiment avec ca ?

  4. Kevin Quigagne dit :

    @ Fonzie.

    D’après les divers comptes-rendus de ce match qu’on peut trouver ici ou là (bouquins ou sur Internet, comme ici par ex. : http://en.wikipedia.org/wiki/1872_Scotland_vs_England_football_match et http://www.bbc.co.uk/scotland/sportscotland/asportingnation/article/0012/page02.shtml), une chose sauta aux yeux des observateurs : les Ecossais étaient plus légers d’environ 13 kilos et plus petits d’env. 10 cms que les Anglais. En revanche, il fut noté que les Ecossais jouaient avec plus de cohésion. Logique : ils évoluaient tous dans le même club (Queen’s Park FC), au contraire des Anglais, issus de 8 ou 9 clubs différents.

    Logique aussi que les joueurs anglais aient été plus athlétiques ou lourds que leurs homologues écossais vers 1872 : ils venaient tous des principales public schools et universités de l’époque (Eton, Winchester, Charterhouse, Harrow + « Oxbridge » – Oxford & Cambridge), lieux qui ont fourni la matrice rugbystique à partir de laquelle le foot s’est developpé.

    Même après la transition et le schisme football/rugby – années 1860 – les mecs étaient restés sur le même schéma du joueur golgoth, même s’il faut souligner que certains historiens du football ont contesté cette version ci-dessus des joueurs anglais lors de ce match (13 kilos et 10 cms de +), exagérée selon eux. Possible mais peu importe car l’essentiel est avéré : au début des années 1870, les Anglais en imposaient plus physiquement et avaient une attitude bien plus rentre-dedans que les Ecossais.

    Les comptes-rendus divergent quant à la physionomie du match. Pour certains, l’Angleterre domina, pour d’autres ce fut l’Ecosse ! Tous s’accordent cependant à dire que le terrain était effectivement un infâme bourbier (fin novembre, guère étonnant).

    A mon avis, ce fameux match ressembla à un free-for-all, une formidable foire d’empoigne, une espèce de survivance moderne de la soule (il restait évidemment encore une bonne trace de rugby dans ce football des années 1870, au moins dans l’engagement qu’on devine hyper musclé).

    Niveau dispositif, on pense que les Anglais jouaient dans une sorte de 1-2-7 et les Ecossais en 2-2-6. Ça devait donner un truc comme ça :

    http://this11.com/boards/abD36BLaqh.jpg

    Question style, les Anglais privilégiaient alors le dribbling game et les Ecossais le passing game), artistes vs bourrins en schématisant grossièrement. Il faut aussi savoir qu’en 1872, le football naissait à peine en Ecosse (il n’y avait que 10 clubs) et il était probablement plus facile à un petit groupe (QPFC) d’imposer un modèle. Là dessus, certes, les internationaux écossais étaient férus du jeu de passe mais ça ne devait pas être non plus du tiki-taka, pour de multiples raisons.

    Je parlais longuement de tout ça dans cet article de 2013 :

    http://cahiersdufootball.net/blogs/teenage-kicks/2013/10/22/il-y-a-150-ans-le-football-naissait-12/, voir footnote [5] en particulier, que voici :

    Dribbling = conduite de balle, dans ce sens (ce terme signifie aussi « technique de dribble » bien entendu). Ni tactique ni positionnement n’existait vers 1850-1860 (même jusqu’au début des années 1880 en Angleterre, au contraire de l’Ecosse, bien plus avancée dans ce domaine), le modus operandi consistant le plus souvent à balancer le « ballon » devant [une vessie de boeuf ou cochon] et courir en masse derrière. Quand un joueur parvenait à contrôler le ballon et filer vers le but, ses coéquipiers l’entouraient pour le protéger des brutalités.
    Eton College et Harrow, où le dribbling game a été développé, souhaitaient voir émerger un football moins primitif et violent, avec peu de jeu à la main et basé sur la conduite de balle, mais pas encore sur la passe (passer en avant était interdit et passer latéralement ou en arrière était rare).

    Sans trop entrer dans les détails, la passe n’arrivera véritablement en Angleterre qu’au début des années 1880 grâce aux Ecossais (même si quelques clubs anglais, tel Sheffield FC, avaient réfléchi au problème avant QPFC – voir le wiki sur le Combination Game) et en particulier grâce au club avant-gardiste de Queen’s Park FC (Glasgow), tenant d’un amateurisme pur et dur – au point que certains de ses joueurs refusèrent des sélections nationales (tel l’Anglais JB McAlpine dans les années 1920). Une dizaine d’années avant tout le monde, QPFC utilisa des dispositifs de jeu révolutionnaires pour l’époque (fin des années 1870), notamment le 2-3-5 alors que les clubs (anglais surtout), si d’aventure ils utilisaient un semblant de schéma tactique, jouaient en 2-2-6. Le 2-3-5 se généralisera à partir des années 1890. Quand les clubs anglais recrutèrent en masse des joueurs écossais, à partir de 1880, ces derniers introduisirent le jeu de passe en Angleterre.

    Les choses (lois du jeu, dispositifs, postionnement, tactique, etc.) évoluèrent donc grandement au cours de la décennie 1870-80, ère majeure de transition dans l’histoire du football anglais.
    C’est surtout à partir de la fin des années 1870 que les Ecossais mirent des raclées aux Anglais (ce que je précise dans l’article, le 6-1 de 1881 et le 5-1 de 1882, également 7-2 en 1878 – cf http://www.englandstats.com/opp.php?oppid=55).
    Principale raison de cette faiblesse anglaise dans les années 1875-1884 (1 seule victoire pour 9 défaites) : les Anglais étaient en pleine phase d’évolution stylistique, ayant décidé d’adopter un jeu plus élaboré, la tactique commençant à faire son chemin. Exit le bourrinage extrême de la première décennie post création FA (1863), place au passing game, tout en restant physique bien entendu, ce que j’expliquais brièvement dans cet article :

    http://cahiersdufootball.net/blogs/teenage-kicks/2014/10/08/fred-pentland-et-le-tiki-taka-fut/

    (sous l’intertitre : Golgoths versus Esthètes).

    Les Anglais mirent tout simplement plus de temps que les Ecossais à assimiler le jeu de passe et trouver une cohésion. L’avènement du professionnalisme, en 1885, puis la création de la Football League, 1888, sonnèrent le glas de la suprématie écossaise.

  5. Kevin Quigagne dit :

    @ MisterFrisk.

    Merci (sage cérémonial que le tien).

    Oui, ils jouaient vraiment comme ça ! Je fatigue un peu après ma journée et le pavé que je viens de mettre à Fonzie alors j’expliquerai tout ça demain ou + tard.

    Mais rapidos, la chaussure de football a très lentement évolué sur le premier siècle d’existence du football et n’a vraiment commencé à ressembler à ce qu’on connaît aujourd’hui qu’après la Seconde Guerre mondiale. A lire : https://www.footy-boots.com/football-boots-history/

    Juste une piste de réflexion avant de dire bonne nuit : au moment où le foot de club est apparu (années 1860), il faut bien avoir en tête que ce sport était violent, très violent, surtout pour les pieds/chevilles/tibias. Donc, fallait à la fois porter des pompes protectrices et des pompes qui aient du répondant ! (en guise de « force de dissuasion » en quelque sorte). Je développerai tout ça demain inch allah.

  6. Kevin Quigagne dit :

    @ MisterFrisk.

    Oui, comme je te l’écrivais jeudi soir, ils jouaient vraiment comme ça ! La chaussure de football a très lentement évolué sur le premier siècle d’existence du football et n’a vraiment commencé à ressembler à ce qu’on connaît aujourd’hui qu’après la Seconde Guerre mondiale. A lire :

    https://www.footy-boots.com/football-boots-history/

    Au moment où le foot de club est apparu (années 1860), il faut bien avoir en tête que ce sport était très violent, surtout pour les pieds/chevilles/tibias. Logique, car il émanait de la soule, du mob football d’abord puis ensuite de ses dérivés, tels les jeux musclés des public schools (comme le « Eton wall game » ou le « Eton field game »). Le football s’apparentait donc alors bien plus au rugby qu’à autre chose.

    Les premières règles/lois du jeu (1863) l’adoucirent grandement mais y’avait encore du boulot ! Surtout que ces fameuses premières lois n’étaient pas toujours appliquées et surtout pas partout. Il y eut beaucoup de résistance et de tiraillements (entre partisans d’un football rugbystique et ceux d’un football plus « civilisé » – une forme de foot plus acceptable, censée aussi refléter les progrès de la société victorienne)
    et tout cela prit du temps à s’ancrer et s’uniformiser, une bonne quinzaine d’années après l’édiction des Lois du jeu. Bref, le football, sur ses 40 ou 50 premières années, c’était un joyeux bordel. Voir mon dossier à ce sujet :

    http://cahiersdufootball.net/blogs/teenage-kicks/2013/10/22/il-y-a-150-ans-le-football-naissait-12/

    Comme c’était hyper viril et que ça savatait à fond, il était donc fortement conseillé de porter des pompes solides et montantes.
    Les joueurs se souciaient donc davantage de la protection de l’ensemble du pied que de l’efficacité ou du confort. Et les grolles qui couvraient les chevilles étaient donc idéales, d’où le terme football boots (bottes) pour « chaussures de foot ». Evidemment, avec la pluie, la boue, parfois des crampons bien consistants style passage clouté, une pompe pouvait dépasser le kilo. De toute manière, au début (mettons avant la professionalisation en 1885, et même après), on se pointait souvent avec ce qu’on avait sous la main, ou pied en l’occurrence, idem pour les maillots.

    Cette dangerosité du football est mise en évidence dans les premières règles de 1863, que j’ai retraduites ici :

    http://cahiersdufootball.net/blogs/teenage-kicks/2013/10/24/il-y-a-150-ans-le-football-naissait-22/

    (je dis retraduite car y’a une version sur Wiki, celle-ci : http://fr.wikipedia.org/wiki/Lois_du_jeu#Cadre_institutionnel_de_1863, version bonne dans l’ensemble mais quelques erreurs, dont une très comique à la # 13, voir plus bas). Cette dernière loi du jeu, la # 13, porte sur les chaussures, elle dit :

    “No player shall wear projecting nails, iron plates, or gutta percha on the soles or heels of his boots.”

    Ma traduction :

    « Il est interdit de porter des chaussures avec clous protubérants, plaques de fer ou gutta-percha* sur la semelle ou le talon. » [*sorte de caoutchouc/résine très dur, rarement utilisé aujourd’hui]

    [le traducteur de wiki a traduit (projecting nails) par « écarte-narines »… Outre évidemment le délire total du nail (clou) qui devient mystérieusement « narine » (nostril), cette trad n’a aucun sens historique.

    Maintenant, je sais bien qu’on est habitué depuis longtemps à voir des aberrations XL en matière de traduction (à se demander parfois si c’est pas fait par Google Translate) mais là, le mec a fait fort vu qu’en 1863 les joueurs étaient sapés hyper inconfortablement, avaient à peine un ballon potable pour tout un village et jouaient dans des bourbiers alors on imagine aisément que le cadet de leurs soucis était de jouer avec ce dilatateur nasal dont nous parle ce traducteur ! C’est absolument surréel, quasi Monty Pythonesque. J’ai mis une (footnote, la [5] dans mon article sur les premières lois du jeu].

    On devine donc la violence de ce sport à travers cette loi # 13 (« clous protubérants », « plaque de fer », « talon »). Certes, la loi mettait en principe fin à ces pratiques mais une forme de violence perdura longtemps.

    Il faudra attendre la légalisation du professionnalisme (donc 1885 en Angleterre et 1893 en Ecosse) pour que des fabricants de chaussures proposent des modèles adaptés au football.

    Le National Football Museum de Preston que j’ai visité y’a une douzaine d’années présentait une collection de pompes de foot à travers les âges, c’était peut-être temporaire (ils possédaient un tas de collections qu’il faisait tourner). Ils ont peut-être la même chose ou similaire au nouveau NFM à Manchester que je n’ai pas encore eu l’occasion de visiter, à moins que les pompes soient restées à Preston, je sais qu’ils ont gardé beaucoup d’objets à Deepdale (stade de Preston, là où était le musée – z’ont gardé le département de recherches et plein de collections, énormément d’objets, 150 000 je crois).

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