Archive for mars, 2013

I Am The Secret Footballer. Quand ce titre « évènement » sort en France début janvier, il est instantanément propulsé au firmament des must-read de la littérature foot par un feu d’artifice médiatique tenant davantage du publi-reportage collectif que de la critique objective. Un livre que les médias français, à l’unisson, s’empressent de présenter comme in-dis-pen-sable, révolutionnaire et « obsédant » les Britanniques. Sans parfois donner l’impression de l’avoir lu.

Le 22 janvier 2011, le site du Guardian publie la première chronique hebdomadaire d’un footballeur anonyme en activité (The Secret Footballer, TSF) qui, après un long disclaimer juridique, se propose de nous conter sa profession de l’intérieur.
Vivant en Angleterre depuis longtemps et fidèle lecteur (ainsi qu’admirateur, voire contributeur à l’occasion) du Guardian depuis les Eighties, je suis cette nouvelle gazette d’un oeil. Je remarque que deux semaines avant, le magazine Four Four Two a lancé une série identique, toujours en cours, intitulée « [Secret columnist] The Player » (série d’ailleurs éphémèrement déclinée en rubriques top secret : The secret chief executive, The secret physio (kiné), The secret manager et The secret referee – à quand The Secret Magazine, vendu dans des kiosques clandestins ou placardé façon dazibao ?).

Dix-huit mois et une cinquantaine de chroniques plus tard, fin août 2012, le livre sort en Angleterre [1], dans l’indifférence générale (un certain engouement naîtra par la suite, mais infiniment plus mesuré que ce qu’ont rapporté les médias français [2], à la fois sans doute tranquillisés et « encouragés » par l’origine du livre, l’excellent site football du Guardian).
Sont-ce la torpeur de l’été, la pléthore d’excellents livres de foot alimentant en permanence le marché anglais ou la reprise de la Premier League, mais peu de médias, généralistes ou spécialisés, ne s’y intéresseront ou publieront de critique du livre.
Au même moment, le SF arrête ses chroniques Guardianesques. Place au lancement du phénomène, pour lequel le Guardian sort ce clip qui donne le ton. Le SF y « révèle » qu’il est riche, qu’un joueur n’aime pas que son remplaçant brille, qu’une tapée d’apprentis wags tournent en permanence autour des footballeurs et que les médias paient le prix fort pour toute histoire de coucheries (fort heureusement, la lecture du livre s’avèrera tout de même plus enthousiasmante).

Début mars, pour la bonne cause TK, je prends un peu de temps pour lire la version anglaise de ce SF qui, à en juger par le tombereau d’éloges déversé par les médias francophones, est au lectorat footeux ce que Cinquante nuances de Grey est aux Madames Michu du monde entier : un fantasme en technicolor. N’ayant pas l’intention de débourser un penny puisque j’ai déjà lu la plupart des billets SF du Guardian, j’ai donc emprunté le chef-d’œuvre à ma bibliothèque de quartier (Dieu merci, il en reste encore [3]).

Du réchauffé marketé comme « ground-breaking »

Le concept à l’origine du Secret Footballer est bien rodé outre-Manche et toujours relativement porteur (même s’il s’essoufle). Maints blogs nous exposent depuis dix ans la face cachée – et souvent fascinante – du monde enseignant, des hôpitaux, des commissariats, etc. Le football s’imposait donc comme vecteur idéal pour étoffer le genre. Quoi de plus alléchant en effet que de pénétrer dans les coulisses de ce sport qui recèle tant de mystères et secrets intrigants ? (si tant est qu’il en reste encore à découvrir).

Toutefois, là où les blogs professionnels parvenaient aisément à happer et passionner le chaland grâce à leurs révélations aussi fraîches que troublantes, ce livre pêche par la (relative) faiblesse de ses insights, pourtant censées faire sa force et son originalité (la version anglaise est sous-titrée « Lifting the lid on the beautiful game » – révélations sur les dessous du football). Pourquoi, par exemple, ne pas avoir évoqué dans le livre l’inique et ô combien critique Football creditor rule (voir article TK là-dessus) ou l’actuelle refonte de la formation, points que le SF aborde – trop brièvement – dans ses chroniques ? Ces aspects essentiels du football anglais sont méconnus et bénéficieraient grandement d’un éclairage de l’intérieur, surtout s’il est apporté par un professionnel tel le SF, manifestement ouvert et éloquent.

Une « belle opportunité de gâchée » dirait un consultant ; « Monstrueuse occase vendangée » lâcherait le supporter. De fait, ce sentiment de mal ciblé ou d’inachevé traverse le récit comme un ballon chaud filant dans une surface bondée sans que personne ne concrétise. Frustrant. Rageant, même. En définitive, le lecteur s’est certes diverti mais il n’apprend pas grand-chose de réellement nouveau. A fortiori le consommateur de football anglais, assailli en permanence, voire abruti, par un déluge « d’informations » via les chaînes TV et radio, les réseaux sociaux, les milliers de sites, blogs, forums, livres, (auto)biographies, magazines, journaux, suppléments, fanzines, etc.

De surcroît, si l’anonymat des blogs professionnels passe bien (car de nature généraliste : on traite d’une profession dans son ensemble et l’identité des protagonistes – inconnus du grand public – importe peu), il n’en est pas de même pour le SF. Sa posture anonyme, évidemment compréhensible, compromet la substance du livre qui, lui, se polarise sur une profession où, ère de la célébrité oblige, le Nom (l’Individu) fascine tout autant que le sport qu’il représente ; les anecdotes de X qui parle de Y en évoquant Z sont certes parfois cocasses mais cette dilution en cascade entretient un flou artistique susceptible de lasser, voire égarer, le lecteur qui en veut surtout pour son argent (et à 16 € le bouquin, on le comprend).

Rue89 (31/12/2012). Le « footballeur secret » vide son sac et obsède les Britanniques.

L’équipe (3/01/2013). Foot – Eco : Les secrets des vestiaires anglais. Dans un livre publié ce jeudi en France, un joueur anglais éclaire sous couvert d’anonymat la face cachée de la Premier League. Où il est question du terrain (un peu), de sexe (pas mal) et d’argent (beaucoup).

So Foot (26/01/2013) THE SECRET FOOTBALLER – INTERVIEW. Qui est « The Secret Footballer » ? En Angleterre, cette question est devenue une obsession depuis qu’un footballeur mystère livre une chronique hebdo truffée d’anecdotes sur les sombres coulisses du foot dans l’excellent Guardian. Son ouvrage sort en France. L’occasion d’une interview épistolaire avec le traducteur du livre. Sous couvert d’anonymat, bien sûr.

Toutefois, le contenu du livre est peut-être moins à blâmer que la décennie de sortie. Il y a quelques années, cet ouvrage aurait présenté un intérêt certain. Mais, entre-temps, les vannes se sont ouvertes qui ont assouvi la soif de curiosité de nombreux supporters sur cet univers ouvert et proche mais clos et lointain à la fois, tant il est devenu sanctuarisé. Cette surdose d’infos semble avoir parfois poussé l’auteur dans ses derniers retranchements.

D’où le recours à de l’anecdote paroxystique de petite volée. Pour un texte qui se veut original et novateur, était-il indispensable de réserver autant de place à l’argent ou consacrer cinq pages détaillées à une soirée obscènement coûteuse (100 000 €) à Las Vegas ? Un domaine devenu en Angleterre, depuis George Best, Malcolm Allison ou Stan Bowles, l’équivalent foot du chien écrasé dans la gazette locale. Le SF a-t-il estimé que pour le supporter lambda, blasé et souffrant d’information overload, seule une surenchère dopée par quelques labels bling-bling (Barça, Anelka, etc.) pouvait créer un électrochoc et le sortir de sa torpeur cognitive ?

Une inquiétante déferlante d’éloges

Et c’est véritablement là où le bât blesse. Ce texte émane de la plume d’un footballeur qui promet de tout déballer en plaçant la barre très haut pour finalement accoucher d’un livre « grand public » qui fleure bon le déjà-vu et l’anecdote facile ou éculée (sexe, argent, paris, potins, wags, conflits de vestiaire : le pain quotidien des médias anglais depuis les Swinging Sixties ; sauf que cette fois-ci, avec la version SF chiche en noms, on a le droit à un croûton rassis).

Si ce livre possède indéniablement des qualités – il se laisse globalement lire, fait parfois sourire et les chapitres sur la tactique ou les agents présentent un certain intérêt – il se déleste vite de ses engagements initiaux pour verser dans le truisme. En termes professionnels, il ne remplit pas son contrat. Certes, en marketing, comme en politique, la promesse a depuis longtemps été érigée au rang d’art obscur et la vigilance (caveat emptor) doit faire partie de l’arsenal défensif de tout consomma(c)teur. Se laisser « berner » par une campagne médiatique savamment menée ou une couverture alléchante n’est pas une excuse mais se conçoit.

« 95 ou 98 % de ce qui passe dans le football est inconnu du grand public », clame le Secret Footballer. Notre taux d’ignorance est donc de 95 ou 98. Nous assimile-t-on à du carburant sans plomb dans la cervelle ? En clair, le SF nous prend-il pour des buses ?

Il est donc d’autant plus étonnant de constater l’accueil si unanimement et uniformément dithyrambique des médias français pour ce qui ressemble à une enfilade de chapitres tournant souvent à l’enfonçage de portes ouvertes. Ce livre tient davantage de l’autobiographie d’honnête facture ou de ces « exclusifs » qui ne le sont guère que d’un catalogue de révélations chocs censées nous ébranler en permanence (en quatrième de couverture : « On dit souvent que 95 % de ce qui arrive dans le football se passe derrière des portes closes. La plupart de ces histoires, je ne devrais pas vous les raconter. Et pourtant, je vais le faire. » Traduction de France24, qui lui aussi annonce « le grand déballage ». C’était 98 % dans le clip de lancement. Notre taux d’ignorance est donc de 95-98 %… Nous assimile-t-on à du carburant sans plomb dans la cervelle ? En clair, le SF nous prend-il pour des buses ?).

Pourquoi l’esprit critique, si souvent associé au tempérament français, se liquéfie-t-il aussi mystérieusement devant l’avis largement diffusé d’une poignée d’intervenants issus du « sérail » (tel le traducteur [4]) et qui ont, directement ou pas, un vested interest à défendre l’ouvrage ? Immaturité ou carence réelle des médias foot français sur les moeurs du football ou émerveillement surfait ? Ou s’agit-il, tout bêtement, d’un manque de discernement analytique (ou de courage) lié à un penchant humain à suivre le mouvement ? La solution de facilité a-t-elle, par commodité, pris le pas sur le principe et la conviction ?

Autant de questions et points qui seraient assurément au moins aussi intéressants à approfondir que de rechercher en vain l’identité de ce Secret Footballer qui, en promettant la lune tout en brouillant les pistes, a su générer un intérêt que son récit seul peine à susciter.

Liste non exhaustive des révélations fracassantes du livre

– tout footballeur préfère jouer en Premier League qu’en Football League mais la pression est bien plus intense en PL et les propriétaires souvent plus exigeants

– certains journalistes / ex pros / consultants sont poliment détestés, en particulier quand ils critiquent « leurs » anciens collègues (joueurs). Mais les médias ont aussi leur utilité, surtout pendant les périodes de transferts (les agents se servent d’eux pour jauger l’offre et faire monter les enchères)

– il est fortement recommandé d’avoir quelques amis ou connaissances journalistes dans les médias, cela facilite la vie (faveurs accordées), rend à la fois les appréciations plus douces en cas de pépin ou embrouilles (avec staff ou coéquipiers) et toute représaille bien plus aisée (réglements de compte par média interposé)

– la mentalité et le foot anglais en général ont fortement évolué depuis l’avènement de la Premier League

– les médias aiment exagérer, voire faire dans le sensationnel

– plus un joueur est connu, plus il est protégé et traité favorablement par son club, surtout en cas de gros problème

– les histoires de fesses agitent parfois le vestiaire

– beaucoup de jeunes femmes courrent après les footballeurs en quête d’une vie confortable et facile. Certaines vendent leurs histoires aux tabloïds qui en font leurs choux gras

Steven Ireland n'a rien à voir dans l'histoire mais son lit est trop classe

Stephen Ireland n'a rien à voir dans l'histoire (de moins en moins à voir avec le foot tout court d'ailleurs) mais son lit est irrésistible

– nul besoin de bien s’entendre avec son partenaire de jeu (charnière centrale ou attaque par exemple) pour être performant

– un footballeur gagne et dépense beaucoup mais il ne vole pas son argent, il le mérite

– un bon entraîneur doit être ferme et savoir se faire respecter, tout en faisant de la psychologie et du man-management. Il est préférable qu’il s’entende bien avec son adjoint et le reste du staff. Avoir un bon numéro 2 est essentiel mais leur utilité n’est pas assez reconnue

– un bon agent vaut de l’or, il peut te négocier un tas de primes. Les agents ont mauvaise presse et c’est injuste

– ne pas croire les rumeurs de transferts, elles sont souvent inventées par les agents eux-mêmes

– la relation entre les footballeurs et les supporters s’est considérablement distendue et c’est regrettable. Mais certains supporters se croient un peu tout permis sous prétexte qu’ils payent cher leur billet

– La pression et le cocktail succès-argent-adulation peuvent conduire à la solitude ou l’isolation (page 12 : « Je n’aimais pas la vie quotidienne du footballeur. […] Pendant la semaine, il n’y avait absolument rien à faire, hormis rester chez soi, lire et regarder la télévision. »).

Petit conseil de Kevin aux footeux qui se trouvent trop oisifs : qu’ils créent une fondation et s’occupent ou fassent s’occuper de jeunes ; ou tout simplement qu’ils s’impliquent davantage dans la vie locale via la branche Football in the Community du club. Enrichissement personnel garanti, pour tout le monde. Et sans qu’il soit question d’argent.

Kevin Quigagne.

========================================================

[1] Plusieurs chroniques du Guardian ne figurent pas dans le livre (dans l’ensemble, une sage décision selon moi).

[2] Voir extraits en bleu en milieu d’article.

Non, ce livre n’a pas « obsédé » les Britanniques comme il a été dit et écrit à l’envi, bien imprudemment. Pour s’en convaincre, prenons quelques indicateurs de popularité, critères utilisés par les médias français eux-mêmes pour étayer leur argumentation d’extrême popularité du livre*.

a) Le nombre de comments sous la rubrique TSF du Guardian a souvent été donné comme « parmi les plus élevés du Guardian », notamment sur RMC en janvier lors d’un long Spécial SF dans l’After Foot.

Vérification faite, il est de 136 en moyenne (sur les 54 chroniques SF publiées), ce qui le situe dans la moyenne d’un article football du Guardian online (certains journalistes / certaines rubriques dépassent régulièrement les 300 ou 400 réactions, quotidiennement).

De surcroît, beaucoup de ces réactions ne portaient pas sur le livre en lui-même (qualité) mais tournaient autour de l’identité de ce mystérieux footballeur. Un travail de fin limier bien naturel au pays d’Agatha Christie et Conan-Doyle. Les Britanniques raffolent du genre whodunit.

b) Le clip du Guardian mis en ligne fin août 2012 n’avait attiré que 4 800 views quatre mois plus tard.

c) Le site www.whoisthesecretfootballer.co.uk, là encore décrit comme « pris d’assaut par les internautes » par les médias français. En réalité, il a été bien loin de faire sauter le serveur  : sur ses 12 sondages effectués sur l’identité du SF en un an, seuls 4 ont recueilli… plus de 300 votes (379, 466, 630, 890).

d) Le compte Twitter et la page Facebook de Who is the SF : respectivement 970 et 639 followers au 30/01/2013 (en berne depuis cette date).

e) Rue 89 écrivait ici que (feu) le compte Twitter du TSF avait attiré plus de 50 000 abonnés au 31/12/2012.

Pour relativiser et remettre ce chiffre dans le contexte souvent irrationnel des réseaux sociaux, le compte Twitter de Charlie Morgan, ce grotesque ramasseur de balle du Swansea-Chelsea du 23 janvier, passa de 600 (avant l’incident impliquant Eden Hazard) à 100 000 le surlendemain… (environ 25 000 twittos se sont désabonnés depuis).

f) Dans son encadré Toute une marque, Rue89 fait état d’une interview livrée « à la BBC ». Il s’agit en fait de 6 minutes sur BBC Radio Four (souvent abrégé en R4 par ses fans, dont je suis), la Arte de la radio britannique et station très confidentielle (bien malheureusement).

g) Toujours dans cet encadré, Rue89 évoque le site officiel du Secret footballer ainsi que les chroniques radio du SF.

Le site d’abord. Ultra discret, aucunement en phase avec la folie médiatique dont on a rebattu les oreilles : les 8 articles figurant aujourd’hui (26 mars) en page d’accueil ont attiré 8 réactions. Collectivement.
Une visite dans les Archives, donc ces articles censés avoir fait exploser le compteur, sera forcément plus fructueuse se dit-on. Nope, c’est pire même. Par exemple ici : ces 10 articles du SF de septembre à décembre 2011 totalisent… zéro réaction.

Les chroniques radio quant à elles sont loin d’avoir déclenché l’hystérie : 2 872 views au compteur.

[*A ma connaissance, à aucun moment la question du volume des ventes du Secret Footballer en Angleterre (publié par Guardian Books) n’a été débattue ou même mentionnée par les médias français, sauf pour l’affubler d’un très vague « bestseller », davantage par réflexe pavlovien d’amplification qu’autre chose. Un argument vente qui aurait peut-être pu étayer leur théorie de popularité record du livre : il est possible en effet que ce chiffre soit fort honnête, relativement parlant. Il figure en tout cas en 648è position des ventes sur Amazon.co.uk au 26 mars. Mais comment interpréter son classement… 3 000 exemplaires vendus ? 5 000 ? 10 000 ? 25 000 ? Plus ?).

Par souci d’objectivité, j’ai donc mené mon enquête ces derniers jours pour connaître ce chiffre ou au moins obtenir un ordre d’idée. Une info difficile à traquer… Par courriel et au téléphone, mes interlocuteurs du Guardian se sont montrés quelque peu gênés devant mes questions sur le sujet (« Nous ne divulguons que très rarement ce genre d’info, il faut comprendre que c’est délicat » m’a-t-on dit en substance, l’expression commercially sensitive revenant plusieurs fois). A ce jour, pas de réponse concrète. Si j’en reçois une, je la communiquerai. Mais nul doute que s’il devient ce best-seller que se sont empressés de rapporter les médias français, les chiffres seront alors largement disponibles sur le Net]

[3] Coupes budgétaires « obligent* », nombre de municipalités et Conseils généraux de Comté envisagent de fermer des bibliothèques ou de réduire considérablement leurs horaires d’ouverture (ou même d’enrôler des volontaires pour les faire fonctionner, en adéquation avec la « vision » de Big Society souhaitée par David Cameron. Pour faire court, cette BS – tiens, mêmes initiales que bullshit, souvent abrégé en BS – consiste à faire tourner le pays par des bénévoles et des chômeurs obligés de bosser pour toucher leur misérable alloc, 300 £/mois).
Newcastle prévoit par exemple de fermer 10 bibliothèques (sur 18) d’ici trois ans ! (ici). Liverpool, idem. Pendant ce temps, le contribuable anglais offre le Stade Olympique à West Ham (ainsi que la quasi totalité des colossaux frais de transformation qui pourraient s’élever à 150M £ – ici et ici).

[*- 26 % versés aux collectivités locales de 2011 à 2015, plan quadriennal du gouvernement bicéphal Cameron-Clegg – non, pas Johnny, mais le triste Nick]

[4] Sur RMC, dans So Foot, L’Equipe, etc.  Le traducteur, Bertrand Pirel, est l’administrateur bénévole du club d’Epinal.

Teenage Kicks a décidé de surfer sur la vague du tollé soulevé par l’article parodique[1] des Cahiers sur la Dream Football League, et de l’impact qu’il a eu sur la rubrique sports du Times. Mais le journal anglais avait déjà été dupé il y a quatre ans, par un Moldave inconnu. On vous rassure, Rob Beal n’a rien à voir là-dedans.

Janvier 2009, le site internet du Times publie une liste intitulée Football’s Top 50 Rising Stars, où apparaissent des joueurs qui sont désormais en effet des stars (Hernanes #1, Benzema #2, Silva #3, mais aussi Ozil #37 ou Moses #42) et d’autres qui n’ont pas ou peu percé (D.Costa #5, Fleck #7, Altidore #8). Bref, un top 50 avec ses réussites et ses ratés, comme il y en a beaucoup. Mais pas seulement. À la 30e position du classement apparaît un jeune Moldave du nom de Masal Bugduv.

30. Masal Bugduv (Olimpia Balti)
Moldova’s finest, the 16-year-old attacker has been strongly linked with a move to Arsenal, work permit permitting. And he’s been linked with plenty of other top clubs as well.

On y apprend donc que le jeune Bugduv, attaquant de 16 ans, est suivi par plusieurs clubs dont Arsenal, mais que le transfert est en attente, en attente d’un permis de travail.
Ce joueur, inconnu du grand public, avait pourtant auparavant été cité par Goal.com dans sa présentation du match Moldavie-Lettonie, mais aussi par le magasine When Saturday Comes, qui le décrivait comme « one bright spot » (comprendre « une lueur d’espoir ») au milieu des conflits nationalistes moldaves.

Un faux nom pour un faux joueur

On pense que Bugduv ressemble à ça.

On pense que Bugduv ressemble à ça.

Pourtant, Bugduv soulève des doutes chez certains bloggeurs influents, comme Neil McDonnell (a.k.a. Fredorraci sur le site sportisatvshow.blogspot.fr).
Inspiré par un commentaire de blog concernant l’article du Times, et qualifiant l’apparition de Bugduv comme un « fanny mistaek » (commentaire posté par un Russe, ce qui explique la mauvaise orthographe : voir ici), il se met à fouiller le web à la recherche d’indices remettant en cause l’existence même du joueur.
En effet, Bugduv n’apparaît pas dans l’effectif professionnel de l’Olimpia Balti, ni dans celui de la sélection -18 de la Moldavie. Poursuivant ses recherches, McDonnell tombe alors sur plusieurs articles de presse qui semblent montés de toutes pièces.
« I will destroy Luxembourg and join Arsenal », déclarerait Bugduv, dans de – fausses – dépêches d’Associated Press (voir ici) publiées sur plusieurs forums. McDonnell trouve aussi des commentaires de blogs qui semblent copiés-collés, ainsi que des incohérences concernant le nom du club (Olimpia Balti devenant Olimpia Tirol), et même une édition de la page Wikipedia concernant Masal Bugduv postée par un utilisateur du nom de… masalbugduv.
McDonnell prend alors contact avec l’auteur du commentaire mal orthographié (voir plus haut, je vais pas faire le travail à votre place non plus), qui s’avère être le rédacteur en chef du magazine Soviet Sport, Ivan Makarov.
Makarov met alors McDonnell en contact avec le rédacteur en chef du site MoldFootball.com, et obtient la confirmation qu’il souhaitait : Masal Bugduv n’existe pas et a été inventé de toutes pièces. Pis, le nom « Masal Bugduv » n’est pas un nom moldave.
Je savais pas trop quoi foutre comme image, alors je vous ai mis un canard avec une casquette.

Je savais pas trop quoi foutre comme image, alors je vous ai mis un canard avec une casquette.

Comment piéger les medias

McDonnell s’empresse alors de poster ses découvertes sur le blog SoccerLens (ici), et explique en détail comment les medias anglais ont été dupés.
Le Times modifie alors son article en douce, remplaçant Bugduv par Jay Simpson, un jeune joueur d’Arsenal, mais il est trop tard, le buzz a déjà été fait, et Bugduv se retrouve en une de tous les forums anglais de football. Un comble pour un joueur qui n’existe pas.
Ce que personne semble avoir remarqué, cependant, c’est la finesse du canular, et le plan monté par l’auteur de celui-ci afin de piéger les medias. Plutôt que de s’attaquer directement aux medias eux-mêmes, l’auteur du hoax n’a publié ses fausses informations que dans des commentaires de blogs, lesquels ont été repris par d’autres blogs, puis d’autres, puis des sites d’information and so on jusqu’à piéger le Times.
Mises bout à bout, toutes ces informations semblent en effet douteuses, mais ce n’est que parce que McDonnell a pris le temps d’enquêter en profondeur sur ce cas, ce que n’ont pas forcément le temps de faire des journalistes pressés par le temps et les contraintes qu’impliquent une publication programmée[2].

Vingt balles à celui qui lit ce bouquin.

Vingt balles à celui qui lit ce bouquin.

Cela dit, certains éléments linguistiques peuvent mettre la puce à l’oreille d’un anglophone, ou plutôt d’un irlandophone. En effet, le journal moldave -fictif encore une fois – qui est à l’origine des premières dépêches d’Associated Press, se nomme Dario Mo Thon. « Diario » signifie bien « journal quotidien » dans certaines langues latines, mais « mo thon » est un terme irlandais signifiant « mon cul ».
Et le nom Masal Bugduv n’est autre que la représentation phonétique de l’expression gaélique « m’asal beag dubh », signifiant « mon petit âne noir », mais c’est aussi le nom d’une nouvelle en gaélique d’un écrivain du début du XXe siècle, Padraic O’Conaire. Cette nouvelle conte l’histoire d’un homme qui se fait avoir en achetant trop cher un âne paresseux.

Une belle allégorie de la situation du Times, à l’époque comme aujourd’hui.

[1] Et non pas « canular », comme l’ont bien précisé nos amis anaux de HorsJeu : Du canular et du cochon.
[2] Ils devraient, certes, mais bon, on ne va pas revenir sur le débat.

« – Dis donc, David De Gea, il a encore fait un sacré match contre Madrid le mois dernier.

– Ouais, dans la lignée de ses performances en championnat. Il a de gros progrès à faire dans le secteur aérien, mais c’est un monstre sur sa ligne.

– C’est le meilleur gardien de Premier League ou pas ?

– Il est dans le Top 3, oui.

– Avec qui ? Pas des anglais, j’imagine (sourire ironique de mon interlocuteur).

– Détrompe-toi, les gardiens anglais sont vraiment au niveau.

– (rires forcés)

– Non, je t’assure. La génération David Seaman, David James, Paul Robinson, c’est terminé.

– C’est ça, oui. Et Robert Green, Ben Foster, ils sont en retraite ?

– Joe Hart, ça te dit quelque chose ?

– Le type qu’a relâché un ballon et coûté trois points contre Southampton il y a trois semaines ?

– Oh, t’es franchement de mauvaise foi, là. Je vais te prouver le contraire.

– J’attends ça de pied ferme. Tu veux une bière « 

Ainsi a démarré ma tentative de réhabilitation footballistique auprès de mon ami. Dans mon esprit, il s’agissait de lui prouver que 1) la réputation des gardiens de Premier League était obsolète et que 2) les anglais, tout particulièrement, avaient repris du poil de la bête.

Je commençai par regarder la liste des gardiens de Premier League, en les liant chacun à un bel arrêt ou une grosse parade qu’ils avaient récemment réalisés. J’y parvins assez facilement, y compris pour les gardiens d’équipes relégables ou en danger. Je crus bon de m’en enorgueillir. C’est au moment où je m’apprêtais à fermer l’onglet de mon navigateur que je remarquai les trois lettres majuscules écrites entre parenthèses à côté des noms : BRE, AUS, ESP, FIN, etc. Il n’y avait que trois ANG : Joe Hart, John Ruddy, Ben Foster.

Seulement trois gardiens anglais titulaires sur les vingt clubs de Premier League ? J’entrepris des recherches dans ce sens (cliquez sur les images).

* Nous avons péremptoirement décidé d’intégrer dans ces camemberts les gardiens de but ayant accompli la majorité des matchs de leur équipe. Exception faite de Southampton, où trois hommes ont joué sensiblement le même nombre de minutes. Puisqu’il semble être le gardien titulaire de Mauricio Pochettino, Boruc a ici été choisi.

Historiquement, l’Angleterre n’est pas un très grand pourvoyeur de gardiens ; il n’est donc pas très étonnant de retrouver aussi peu de locaux en Premier League. Reste à évaluer leurs compétences. L’actualité nous aide, car Robert Green a été excellent ce week-end contre Southampton, et l’on parle de Ben Foster pour réintégrer l’équipe d’Angleterre. Green est capable de coups d’éclat, mais brille essentiellement par son irrégularité (n’importe quel supporter des Three Lions vous le dira). Quid de Foster, acteur important dans le casting 2012/13 de West Bromwich Albion ? De Ruddy, aussi discret que son équipe sur la pelouse d’Old Trafford ? Et de Joe Hart, que l’on compare (audacieusement) à Banks ?


Foster et Ruddy ont des statistiques assez flatteuses, et se situent au même niveau que les meilleurs espagnols. Joe Hart concède beaucoup de buts pour le nombre de tirs subis. On pourrait en conclure qu’il fait une saison moyenne, et que le petit nombre de tirs est à mettre au crédit de sa défense. On peut également en conclure qu’il fait une très bonne saison au vu de son ratio buts concédés/matchs joués, le meilleur de Premier League (devant Lloris, et loin devant Foster et Ruddy), et de sa capacité à garder ses cages inviolées (devant Foster et Ruddy réunis).

L’analyse des statistiques d’un gardien se révèle délicate dès qu’il s’agit de l’isoler de sa défense, dont il fait partie intégrante. Ainsi, celles de Manuel Neuer, impressionnantes sur le papier, masquent un pan entier du travail de la charnière défensive bavaroise. Sur les cinquante-deux tirs subis, combien de ballons freinés par Lahm ou neutralisés par Boateng ?

Casillas et Valdés, considérés parmi les meilleurs d’Espagne (voire…), ont un pourcentage interventions/tirs subis plus mauvais que celui de Joe Hart. Alors, sur quoi se fier pour juger de la qualité d’un gardien de but ? En football comme en peinture, l’impression visuelle demeure nécessaire. Et à ce petit jeu, Hart fait bien meilleure impression que ses deux compatriotes.

Finalement, je n’ai pas d’arguments pour soutenir mes théories initiales auprès de mon ami. Celui-ci lira cet article en même temps que vous. Et ça devrait se terminer comme ça :

« – J’ai lu ton article sur Teenage Kicks, là. Sympa, pas mal écrit, t’as bien bossé. C’est moi le type que tu décris ?

– Oui et non, c’est un peu romancé pour la saveur de l’histoire.

– D’accord. J’avais raison, pour les gardiens anglais, en fait ? Y a plus que des importations.

– Oui. Mais admets que Joe Hart, quand même…

– Ouais, je reviens un peu sur ce que j’ai dit, il n’est pas mauvais, le bougre. Ça rend la tâche d’Hodgson assez facile, en plus. Il n’a pas trop de questions à se poser sur son choix de gardien.

– Bien sûr. Alors qu’en France, on a plutôt tendance à surévaluer la qualité de nos gardiens.

– Bof, y a pas trop photo entre Lloris et le reste.

– Tiens, parlons-en, justement. Tu veux une bière ? »

Matthew Dymore.