Dimanche 24 février, se disputera la plus improbable des finales de coupe : Bradford (D4) contre Swansea (Premier League). Mieux. Cette finale de League Cup, entre deux clubs aux parcours furieusement inverses depuis 2000, tient du miracle. Et avec la succession de glauqueries qui polluent le football britannique depuis plusieurs saisons, cette grosse bouffée d’air frais arrive à point nommé.

C’est Michael Laudrup, le manager de Swansea, qui a le mieux résumé cette finale au lendemain de la qualification des Swans pour Wembley : « Ce match opposera le petit conte de fée au grand conte de fée. »

Conte de fée. Si ce terme taillé pour la coupe est souvent galvaudé, il prend ici tout son sens. Deux fairytales aux trames diamétralement contraires et hors normes, et bien malin qui pourrait désigner avec certitude le minot de ce conte enchanté.

Aujourd’hui, deuxième partie : Swansea City. Pour en connaître un rayon sur les Swans sans se fatiguer, lire cet article TK d’août 2012.

[tous chiffres en £]

Swansea, l’anti Bradford

3 mai 2003, dernière journée de D4. Stade déglingué de Vetch Field (aka The Vetch), Swansea. Le club joue sa survie et affronte Hull City, 13è. La mission est claire : gagner, sinon  descente en non-League et quasi certitude d’un deuxième redressement judiciaire en trois ans.

Il faudra un miracle pour que les Jacks (leur autre surnom) restent en Football League : un hat-trick de leur avant-centre James Thomas (admirez le travail, à la Messi : 9’30 sur ce clip). Victoire 4-2 et maintien arraché d’un petit point. Ironie de l’histoire, ce Thomas qui joua les urgentistes ce jour-là était ambulancier dans le civil ! (plusieurs joueurs étaient semi-pros).

A noter que Leon Britton, l’actuel brillant milieu de terrain Swan (il vient de prolonger), était déjà là ainsi que le défenseur Alan Tate. On retrouve aussi dans cette équipe… Roberto Martinez, le sorcier de Wigan.

Car ce Swansea version 2012-13, classieux et dominateur, revient de loin, de très loin.

Janvier 2002, les supporters se révoltent et reprennent Swansea City pour de bon, las de voir leur club dirigé par des propriétaires incompétents et absents. Quelques mois auparavant, 600 d’entre eux avaient créé le Swans Trust et racheté une partie du club après les difficultés financières du début des Noughties (années 2000) quand Swansea fut reprit à la hussarde par un consortium anglo-australien qui se débarrassa de 15 joueurs dès son arrivée, provoquant l’ire des instances et des fans.

L’experience aussie tourna court avant que les supporters, assisté de Huw Jenkins (ci-dessus), l’actuel président Swan, ne prennent le contrôle des opérations (détails dans cet article). Ces mêmes supporters qui se cotiseront pour payer une partie des salaires de l’effectif, régler les factures du club et feront appel aux bonnes volontés (artisans bénévoles) pour rendre le vétuste Vetch plus présentable (peinture, remplacement des sièges abîmés, etc.).

En 2004, Swansea est toujours en D4 quand survient le premier véritable tournant sportif du club depuis belle lurette : l’arrivée du manager Kenny Jackett (aujourd’hui à Millwall où il fait du bon travail depuis 2007). Jackett imprime patiemment son style, celui voulu par le board : une équipe organisée pratiquant un football de possession et le plus près possible du sol. Un pari qui s’avère payant. Les Swans montent en D3 en mai 2005 et déménage dans la foulée au Liberty Stadium (20 750 places), élément vital de leur réussite.

Le déclic arrive en 2007

Février 2007, no Jackett required, Kenny est limogé. Arrive Roberto Martinez (ci-contre), l’ex capitaine des Swans (2003-06) joue désormais à feu Chester City (D4). L’Espagnol a 33 ans et c’est son premier poste d’entraîneur.

Débute ce que les médias appelleront « The Swansea Revolution » (puis Swanselona). Roberto confère au club une aura supplémentaire et surtout fait monter les Jacks en D2. Ce faisant, il établit les bases de la success story dont l’apothéose sera la montée en Premier League en 2011.

L’Espagnol sert aussi de mentor à quelques entraîneurs locaux, dont Ian Holloway, l’actuel manager de Crystal Palace (le Bristolien, pendant sa saison sabbatique en 2008-09, l’observera de près et a souvent dit depuis s’être largement inspiré de son style offensif). Sous sa direction, et avec une masse salariale de seulement 6M en 2009, Swansea rate de peu les play-offs d’accession à la PL (8è).

Eté 2009, Martinez cède aux sirènes de Premier League et part à Wigan. Arrive le Portugais Paulo Sousa (1er ci-dessous), qui continue l’oeuvre commencée en 2004 par Kenny Jackett. De nouveau, Swansea échoue de peu aux portes des barrages (7è).

Eté 2010, c’est au tour de Brendan Rodgers de s’essayer à la montée. On connaît la suite, le Nord-Irlandais hissera les Swans en PL au deuxième essai.

Laudrup débarque l’été dernier. A l’instar de ses prédécesseurs, il prône un football offensif en 4-3-3, un jeu en triangle basé sur la possession, le pressing et le contre. Le style est plus direct et tranchant que sous Rodgers. Assurément, le Danois était le candidat idéal pour faire fructifier le précieux héritage légué par le trio Martinez-Sousa-Rodgers et s’inscrire dans ce continuum, cette « philosophie » tant recherchée par le président Huw Jenkins et le board dès 2002.

Une volonté de beau football qui trouve ses racines dans le jeu pratiqué par Swansea… il y a soixante ans. Comme l’explique l’attachant Jenkins (lifelong fan du club) qui parle souvent de « vision », dans le Times du 10 janvier dernier :

« J’ai fait des recherches sur le jeu de Swansea dans les années 50, en D2. On avait des gars comme les frères Ivor et Len Allchurch [Ivor est le meilleur buteur du club, 164 buts], Cliff Jones, Harry Griffiths et ça jouait au ballon, croyez-moi ! »

Plan à long terme, philosophie de jeu, stabilité, tradition… Ce club a tout pour réussir et s’installer durablement en Premier League. Et l’avenir s’annonce radieux : un permis d’agrandissement du stade (à 32 000 places) vient d’être deposé pour satisfaire la forte demande. Les finances sont également au beau fixe, avec des derniers comptes (exercice 2011-12) qui feraient pâlir d’envie tous les chairmen du foot anglais : presque 15M de bénéfices (pour un  chiffre d’affaires de 65M).

Le parcours des deux finalistes

Pour plus de détails, voir tableau de la League Cup 2012-13.

Bradford (les joueurs Bantams seront présentés dans la dernière partie)

Premier tour (70 clubs) : Notts County (D3) 0 – Bradford 1

11 août 2012, tour de chauffe de la coupe maudite. Quiconque aurait dit ce jour-là que Bradford, qui a fini 18è de D4 trois mois auparavant, sortirait 3 Premier League – dont Arsenal – et jouerait la finale à Wembley le 24 février 2013 serait passé pour un fou. Bradford est coté 2 000 contre 1 pour décrocher la League Cup.

Victoire à l’arrache après prolongations, alors qu’un joueur de Notts County rate un immanquable (et donc la qualification) à trois mètres du but à la 91è… James Hanson marque d’un brossé en lucarne dans la prolongation.

2è tour (50 clubs) : Watford (D2) 1 – Bradford 2

Mené 1-0 à la 84è par la bande à Gianfranco Zola, Bradford égalise à la 85è. Puis Garry Thompson marque le but victorieux, à la 93è !

16è de finale : Bradford 3 – Burton Albion 2 (D4)

Bradford se retrouve une nouvelle fois mené et sévèrement : 2-0 à sept minutes de la fin… Avant que l’avant-centre Nakhi Wells ne plante un doublé aux 83è et 90è ! Extra-time. A la 115è, l’ex latéral de Liverpool, Stephen Darby, inscrit le but des huitièmes d’un tir sec.

Trois tours et autant de qualifications in extremis… On commence à se dire que ce Bradford en état de grâce permanent peut surprendre.

8è de finale : Wigan (PL) 0 – Bradford 0

(vainqueur 4-2 aux tirs aux buts, après prolongations)

Quart de finale : Bradford 1 – Arsenal 1

(vainqueur 3-2 aux tirs aux buts, après prol.). Gary Jones, capitaine des Bantams, déclare :

« On a joué Torquay récemment et ça a été plus dur de les battre qu’Arsenal ! »

(les Bantams aiment chambrer… – dans la dernière partie)

Demi-finale (match aller-retour, 8 et 22 janvier)

Bradford 3 – Aston Villa 1

Superbe match des Yorkshiremen qui asphyxient un piètre Villa dominé dans tous les compartiments du jeu (certes, Bentenke, N’Zogbia et Agbonlahor ont copieusement vendangé). Et les spectateurs (22 300, dont 4 000 Villans) de chanter : « Are you Arsenal in disguise ? » et « Can we play you every week ? »

Aston Villa 2 – Bradford 1

Les Bantams restent sur une mauvaise série en championnat : 1 seul point de pris sur les 4 derniers matchs. On se dit que Villa va faire au moins aussi bien que les trois clubs de D4 qui ont dernièrement battu Bradford, dont le minuscule Barnet d’Edgar Davids (entraîneur-joueur) qui vient de corriger les Yorkshiremen 2-0 à Valley Parade.

Parkinson aligne le même XI qu’à l’aller. Inaugurant une nouvelle stratégie de combat, Aston Villa donne un petit drapeau à chacun de ses supporters (40 000 – moins les 6 500 Bantams). Ils l’agitent beaucoup mais ça ne suffit pas, malgré la forte domination Villan (60 % de possession et 21 tentatives de but – mais 6 cadrées seulement) et un dispositif ultra offensif – sorte de 3-1-2-4 – dans la dernière demi-heure.

Scènes de liesse Bantams sous la neige de Birmingham, les supporters entonnent un triomphal « Que sera, sera, we’re going to Wem-ber-ley, que sera sera ». Première finale de coupe depuis… 1911 ! (FA Cup remportée sur Newcastle). La dernière visite des Bantams à Wembley remontait à 1996 (finale des play-offs de D3, Bradford était alors managé par Chris Kamara – si, si, Chris Kamara a bien été manager ! Cette saison-là, Swansea descendait en D4…).

Bradford a déjà engrangé 1,3M £ lors de cette campagne League Cup (surtout en billetterie) et recevra 1M supplémentaire après la finale, principalement en billetterie (45 % des recettes Wembley) et droits télé – les sommes versées au vainqueur / finaliste sont négligeables, respectivement 100 000 et 50 000 £. Les joueurs toucheront eux un pactole de 250 000 £.

Comme le révèlait le site Sporting Intelligence le 23 janvier (ici), si Bradford décrochait la timbale, il deviendrait le seul club de D4 à avoir remporté une coupe nationale dans les 100 premiers pays au classement Fifa. Seul le Sri Lanka Navy a réalisé cette prouesse (le Sri Lanka n’est cependant que 190è à  la Fifa). Toutefois, Navy était un club de D1 relégué en D4 pour des raisons bien particulières Et si Bradford City triomphait, cela transporterait de bonheur Bradford-ville, une cité multiculturelle de 500 000 habitants qui a souvent mauvaise presse.

Le parcours de Swansea

2è tour : Swansea 3 – Barnsley (D2) 1

16è : Crawley (D3) 2 – Swansea 3

8è : Liverpool 1 – Swansea 3

Quart de finale : Swansea 1 – Middlesbrough (D2) 0

Demi-finale :

Chelsea 0 – Swansea 2
Swansea 0 – Chelsea 0

Quelques chiffres

Bradford

Swansea

Budget

4M

65M

Coût total de l’effectif

7 500

26M

Masse salariale (2011/12)

1,3M

35M

Prix (plancher) abonnement adulte

299*

449

Prix billet adulte

20**

35**

Affluence moyenne (2012/13)

10 044

20 329

(*199 £ en early bird, acheté à l’avance ; **Prix unique stade)

Kevin Quigagne.

4 commentaires

  1. Xavier dit :

    Juste un grand merci pour ces chroniques géniales…

  2. Kevin Quigagne dit :

    De rien, il fallait un gros dossier sur cette finale digne d’un trip à Lourdes.

    Suite et fin demain, présentation des joueurs de Bradford.

  3. Pablo dit :

    Imaginons la personne qui a misé ne serait-ce que 10£ sur Bradford en début d’épopée. Elle doit bouillir d’impatience!

  4. Kevin Quigagne dit :

    Ah oui, ça aurait chiffré gros mais pour voir les Bantams en finale, putain, l’aurait fallu une boule de crystal de la taille de la Géode à la Villette.

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