Archive for mai, 2012

L’effervescence footballistique des derniers mois a balayé un évènement remarquable : Vincent Péricard a raccroché les crampons.

Fin février, celui que les médias anglais aiment à présenter comme un « ex Juventus striker » a dit stop. Basta. A seulement 29 ans. Ou plutôt c’est son club de Havant & Waterlooville (mini cylindrée de D6 anglaise) qui l’aurait envoyé à la retraite anticipée en décidant, fin décembre 2011, de ne pas prolonger son contrat de trois mois. Une fin brutale pour un chasseur de buts qui fit jadis rêver dans certaines chaumières reculées de l’Angleterre profonde.

Suite de la première partie.

Stoke, le début de la fin

Saison 2008-2009. Sans réel avenir dans un Stoke City monté en Premier League, Vince en est réduit à jouer les bouche-trous en Coupe de la Ligue plusieurs mois durant. Puis l’espoir renaît soudain mi décembre : il intègre enfin l’effectif de Premier League. Il figure sur la teamsheet pour quatre matchs de championnat (dont trois sur le banc) mais peine à retrouver son mojo. Le 20 décembre, contre Blackburn, il est titularisé mais sa piètre prestation lui fait regagner le banc à l’heure de jeu (ici).

Le 20 février 2009, il est prêté aux Lions de Millwall (D3) pour trois mois. En mars, une énième blessure (tendon d’Achille) limite son séjour londonien à deux matchs. Fatalement, après l’avoir fait sortir de prison en octobre 2007, Stoke City le libère pour de bon en juin 2009.

Pour la première fois de sa carrière, Vince se retrouve sans contrat. Il gamberge et se demande s’il reverra un jour l’élite, surtout que les essais estivaux avec des clubs de D2 s’avèrent infructueux. Qu’importe où on l’annonce, comme ici à Cardiff City, le label glamour d’ancien « avant-centre de la Juventus » lui colle à la peau comme un tatouage devenu oppressant. Cependant, dans un coin singulier du Royaume, sa cote est au zénith…

Carlisle, ville maudite

Scène de rue typique à Carlisle

Scène de rue typique à Carlisle

Début octobre 2009, Vince, au chômage depuis trois mois, est contacté par Carlisle United, modeste club de D3, essentiellement connu pour son ancien propriétaire, Michael Knighton, un excentrique d’obédience kachkarienne. L’ex prof de sport, après avoir bien failli racheter Manchester United en 1989 au bluff (pour 20 millions de £ seulement !), avait finalement jeté son dévolu sur Carlisle United à grand renfort de promesses délirantes (« Nous retrouverons l’élite d’ici dix ans » – Carlisle connut jadis une saison solitaire en D1, 1974-75).

Le contrat n’est que de trois mois et le club est relégable. Le deal n’emballe guère Vince et il hésite. Il faut dire que l’endroit a de quoi rebuter. Carlisle, ville moche de soixante-dix mille habitants d’où partit la fièvre aphteuse et qui fait souvent l’actualité pour ses inondations, se situe aux confins embrumés de l’Angleterre et de l’Écosse. Il y a bien un semblant de château-fort mais il a été largement pillé. A trente kilomètres de là se trouve le site de la tragédie de Lockerbie (270 victimes). Extrait du wiki français sur Carlisle :

« Alcoolisme, hooliganisme et comportement antisocial sont les symptômes qui frappent Carlisle et la région, en proie à une crise identitaire urbaine post-industrielle. […] Selon la légende, la ville serait sous l’influence d’une malédiction. »

Bref, le coin maudit par excellence (le Guide du Routard confirme). Notre Vince national se risquera-t-il à aggraver crise et calamité en signant chez les Cumbrians ?

Les routiers sont sympas mais barjots

Carlisle a cependant un atout, des plus tordus évidemment : la cité a enfanté le Stobart Group, aujourd’hui l’une des plus grosses entreprises de transport et logistique d’Europe (5 500 employés, 2 500 camions, 500M £ de chiffre d’affaires). Un patrimoine routier qui, fatalement, a dérapé sur l’invention d’un hobby unique au monde : le lorry-spotting.

Ce navrant divertissement consiste à rester perché sur les ponts autoroutiers le week-end pour enregistrer expressément plaques d’immatriculation et caractéristiques de centaines de camions. De préférence des Stobart et Norbert Dentressangle dernier cri, ça compte double. Le nec plus ultra est de filmer les bahuts au dépôt, comme un hydrologue va débusquer la rivière à sa source (voir clips si ça vous chante, ici et ici). Le spotter atteint son nirvana en entrant ses données vitales sur Internet. Probablement le passe-temps le plus crétin jamais inventé.

Il faut dire qu’à Carlisle, la gamme des loisirs est limitée. Soit on s’adonne au comptage machinal des camions, soit on se consacre à l’autre hobby du coin : l’étude de la pluviométrie. Les pauvres Carlislois (?) se prennent 1 300 mm de flotte par an sur leur parapluie en titane. Une goutte d’eau comparée aux chiffres des vallées du Lake District tout proche : jusqu’à 4 500 mm l’an (en bas darticle).

Vince, acculé, n’a de toute manière pas le choix et, le 13 octobre 2009, il signe des deux mains frigorifiées dans la Mecque du camionneur trempé.

Vince, à la BBC, fin 2009 : « Participer à la Coupe du Monde est quelque chose qui me fait rêver. C’est peut-être un rêve lointain mais si je travaille dur sur les mois qui viennent, qui sait ? »

Objectif : la Coupe du Monde 2010

Et Vince fait bonne pioche. Cette ambiance de poids-lourds turbo le requinque comme jamais. Dans son rôle de target man en duo avec le brouillard local qui désarçonne les défenses adverses, Vince carbure au nitrogène : six buts en onze matchs. Le club se hisse au milieu de tableau. La Vince-mania gagne toute la région et les gazettes locales en redemandent. Porté par son nouveau statut de cult hero, Vince s’enflamme un chouia et parle même de Coupe du Monde avec le Cameroun (en bas d’article) :

« Participer à la Coupe du Monde est quelque chose qui me fait rêver » déclare-t-il à la BBC, « C’est peut-être un rêve lointain mais si je travaille dur sur les mois qui viennent, qui sait ? »

Bercé par l’euphorie ambiante et l’ennui abrutissant, Vince clame aussi imprudemment son attachement à Carlisle (ici). Morceaux choisis :

« J’adore ma vie ici à Carlisle, malgré le mauvais temps et la pluie. […] C’est génial ici, tout le monde est hyper sympa, j’ai le sourire aux lèvres en permanence et je me dis que j’ai vraiment bien fait de venir. […] Après nos deux victoires d’affilée, l’ambiance est fantastique. Si on continue de la sorte, qui sait ce qui peut arriver. Si on avance soudé et on continue à bosser dur, je ne vois vraiment pas quelle équipe pourra nous arrêter. »

Une fois relancé, il ne s’éternise pas dans le coin

Sa foi dans le club et ses plongées lyriques dans un passé glorieux exacerbent les passions. Les supporters, envoûtés, sont éblouis de compter en leur sein ce digne ex coéquipier de Zidane et Del Piero. Vince leur renvoie l’ascenseur. Love is in the air. Il déclare au canard local (ici) :

« Le temps que j’ai passé avec Zinédine Zidane inspire toujours ma carrière. […] Ici, à Carlisle, ce sont des vrais fans, pas des fans de luxe. Ils croient en l’équipe, ils chantent, et ils font tout pour que les joueurs se sentent vraiment spéciaux. Et c’est ce que veut tout footballeur : se sentir aimé. »

Ses exploits (dont ce spectaculaire but dans une belle purée de pois) ne passent pas inaperçus en Football League et Vince profite de la première occasion pour quitter ce Max Meynier-Land à la masse. Le mercato d’hiver arrivé, finies les déclarations d’amour enflammées pour son nouveau club et ses supporters tombés en adulation. Carlisle United fait le forcing pour le garder mais il rejette leurs multiples avances.

Le 14 janvier 2010, il signe pour un an et demi chez les Robins (rouges-gorges) de Swindon Town (D3), l’ancien club d’Ossie Ardiles et Glenn Hoddle. Swindon, la ville des ronds-points psychédéliques. Après les routiers dérangés et la mousson sauce british, Vince s’apprête à découvrir l’art du sens giratoire dégénéré.

A suivre…

Kevin Quigagne.

L’effervescence footballistique de ces derniers mois a balayé un évènement remarquable : Vincent Péricard a raccroché les crampons.

Fin février, celui que les médias anglais aiment à présenter comme un « ex Juventus striker » a dit stop. Basta. A seulement 29 ans. Ou plutôt c’est son club de Havant & Waterlooville (mini cylindrée de D6 anglaise) qui l’aurait envoyé à la retraite anticipée en décidant, fin décembre 2011, de ne pas prolonger son contrat de trois mois. Une fin brutale pour un chasseur de buts qui fit jadis rêver dans certaines chaumières reculées de l’Angleterre profonde.

Des débuts bioniques

Tout commence chez les Verts pour ce joueur d’origine camerounaise. Vince fait toute sa formation à Sainté et après deux matchs de Ligue 1 saison 1999-2000, la Juventus le kidnappe. L’effet Mondial 1998 joue à plein pour les mini-Bleuets et la formation à la française a la cote. Vince fait partie de cette génération de jeunes cadors français dont les clubs italiens raffolent soudain (citons Mickaël Sylvestre, Ousmane Dabo ou Jonathan Zébina).

C’est Carlo Ancelotti qui l’a repéré avec l’équipe de France des U18. A 17 ans et demi, Vince cotoie les Zidane, Thuram, Nedved et autre Trézéguet et en profite pour s’imprégner de l’ambiance d’un grand club auquel il semble promis.

Tous lui prédisent en effet un avenir d’extraterrestre, à la Steve Austin. A commencer par Julien Courbet qui est frappé d’une inspiration géniale en lui consacrant en 2000 un numéro choc, sobrement intitulé « Vincent Péricard, l’homme qui vaudra des milliards », dans son émission Les 7 péchés capitaux (voir Top 10 des Cahiers ici).

Toutefois, loin de déraciner les arbres, Vince doit se contenter de la réserve Bianconera pendant deux ans (et de trente minutes de Ligue des Champions contre Arsenal, en mars 2002). Chez les coiffeurs, il décoiffe – deux fois meilleur buteur – mais la concurrence est féroce. Dans une interview accordée à The Independent en novembre dernier, il revient sur son étourdissant séjour transalpin :

« Au début, je ne parlais pas italien et je ne connaissais personne.  […] Zinédine Zidane était un ami et il m’arrivait de passer chez Edgar Davids pour croquer un morceau. Mon copain de chambrée, c’était Lilian Thuram. »

Été 2002, la Vieille Dame décide de le prêter au Portsmouth de Milan Mandaric, alors en D2. Le culture shock va être violent.

Vincent Péricard : « Même le manager, Harry Redknapp, disait « Péricard ne sait pas jouer au foot«  »

When Harry meets Vince

L’intersaison n’augure rien de bon. Le manager de Portsmouth, Harry Redknapp, se demande ouvertement s’il a tiré le bon numéro (Vince avait, dit-on, impressionné Harry lors de ce Juventus-Arsenal). Plus tard, Vince déclarera :

« En arrivant à Portsmouth à l’intersaison, j’en ai bavé. Le choc des cultures a été terrible et ça m’a affecté. Même Harry disait « Péricard ne sait pas jouer au foot », et c’est vrai que j’en touchais pas une les premières semaines. »

Entre deux coups de sang (savourez ce clip de 2002-03), Harry doit toutefois ravaler ses médisances car les débuts de Vince à Pompey sont fracassants, il fait notamment mouche lors de son premier match contre Nottingham Forest. Associé à Svetoslav Todorov (26 buts), Paul Merson (12), Yakubu et Steve Stone, Vince affolera les compteurs lors de cet exercice 2002-03, 9 pions. Puissant, technique, excellent dans la conservation du ballon, Vince impressionne.

Pompey finit largement premier (98 points) et retrouve l’élite quittée quinze ans auparavant. Été 2003, la Juventus le cède aux Anglais pour 400 000 £. L’avenir s’annonce des plus radieux.

Las ! Tout comme les emmerdes, les blessures vont arriver en escadrilles, principalement quadriceps et ligaments croisés. Entre le 13 décembre 2003 et le 13 août 2005, il ne dispute aucun match et révélera plus tard avoir sombré dans la dépression durant cette période (« Le médecin me prescrivait du Prozac mais franchement, je ne le recommande à personne ce truc. »).
Une fois la rééducation achevée, été 2005, il s’entraîne avec les internationaux camerounais en France, à l’occasion d’un match amical des Lions Indomptables.

Alain Perrin, le nouveau manager de Pompey, le juge toutefois encore un peu tendre pour la Premier League et, en septembre 2005, « Reggie » le prête pour trois mois à Sheffield United (D2). A son retour sur la côte sud, Perrin a péri et c’est son vieux pote Harry qu’il retrouve. Ce dernier ne sait trop quoi faire de lui et l’expédie chez les Pélerins (Pilgrims) de Plymouth (D2) en février 2006. A peine débarqué parmi les ancêtres du Mayflower, Vince claque un hat-trick mais sa pige Pilgrim sera plus un remake de « Vogue la galère » que de « L’île au trésor » (15 matchs, 4 buts).

Fin mai 2006, de retour dans un Portsmouth qui a frôlé la descente deux saisons d’affilée, Harry lui annonce qu’il veut monter un effectif bâti pour le milieu de tableau de Premier League. Exit Vince.

Nouveau départ avec passage par la case prison

Le 19 juin 2006, Stoke City (club ambitieux de D2) le recrute, pour trois ans et 15 000 £ de salaire mensuel. Tout comme à Portsmouth, ses débuts sont tonitruants (3 buts en 10 matchs). Puis commence une longue traversée du désert peu orthodoxe. D’octobre 2006 à mai 2007, il ne plante plus un pion (21 matchs). Les supporters lui reprochent une certaine lenteur et sa propension à tomber trop facilement.

Peu à peu, il est eclipsé par le déménageur Ricardo Fuller qui, lui, fait tomber les adversaires. Vince est cependant loin de se douter que sa méforme sportive va vite devenir le cadet de ses soucis. Fin août 2007, une banale infraction routière commise dix-huit mois plus tôt vient bouleverser sa vie.

Le 6 mars 2006, Vince s’était fait flasher près de Plymouth à 165 kilomètres/heure sur l’A38 (limitée à 112 km/h) au volant de sa Mercèdes. Le hic, c’est que Vince est un récidiviste des gros excès de vitesse.

Pour éviter les ennuis, il avait alors tenté de feinter la patrouille en déclarant que son beau-père, Jack, était au volant… Ce dernier, contacté par la police britannique, était tombé de haut. Et pour cause : Jack vit en France et n’avait pas mis les pieds en Angleterre depuis presque quatre ans !

Le 24 août 2007, le tribunal de Plymouth condamne notre Vince national à quatre mois de prison pour « entrave à la justice ». Vince déclarera à sa sortie de zonzon :

« Le juge qui m’a envoyé au trou ce jour-là était de mauvaise humeur et a voulu faire de mon cas un exemple. A l’annonce de la sentence, la police m’a menoté et conduit en cellule. Pendant plusieurs jours, j’étais en état de choc. […] Cette expérience est une dure leçon pour moi. Dorénavant, je respecterai scrupuleusement la loi et je conseille à tous de faire de même. »

Heureusement pour Vince, son avocat obtient rapidement une libération conditionnelle et l’extrait de la HM Prison Exeter le 20 septembre 2007, après quatre semaines de nick. Il rejoint alors une open security prison pendant dix jours avant d’être définitivement libéré. Seule condition : il devra porter un bracelet électronique pendant trois mois. Il devient le troisième footballeur du pays à avoir les chevilles qui enflent électroniquement, après Gary Croft (2000) et Jermaine Pennant (2005).

Harry Redknapp, le sauveur

Dans le Mirror du 9 octobre 2007, sous l’intitulé « My prison hell », Vince raconte pêle-mêle son Midnight Express à lui au pénitencier d’Exeter. Le détenu voisin qui se pend, les traumatismes, les cornflakes dégueulasses, l’isolement, la claustrophobie, la promiscuité, le défi mental permanent et la vie de sous-tricard à sept livres la semaine.

Ce pécule (7 £ hebdo), précise-t-il, qui lui a sacrément servi pour améliorer l’ordinaire. Comme par exemple se payer des rations supplémentaires de nourriture et des crédits pour son téléphone. Il confessera plus tard que Stoke City avait continué à lui verser ses quinze patates mensuelles pendant son incarcération. De quoi consommer de la céréale upmarket tous les matins.

Il avoue aussi ne pas savoir s’il aurait pu tenir le coup sans le soutien d’Harry Redknapp et Teddy Sheringham, son ex-coéquipier à Pompey. Il remercie également Tony Pulis et le board de Stoke City. Les Potters le soutiennent et ont decidé de lui accorder une seconde chance. Vince déclare que porter un bracelet ne lui posera aucun problème et envisage l’avenir immédiat avec bonheur :

« C’est comme si c’était Noël pour moi. Je suis aux anges de retrouver mes amis et coéquipiers et de ne plus être parmi les criminels. »

Mais lors d’une séance d’entraînement peu après sa sortie, la guigne s’acharne : la douceur des tacles de ses coéquipiers Potters fait exploser son bracelet électronique. La justice ne lui fait pas de cadeau pour autant et il doit passer deux semaines en confinement à Manchester.

Fin novembre, Vince-la-scoumoune se blesse à nouveau. Le 14 mars 2008, il est prêté à Southampton (D2), sans succès. Le bilan de la saison est déprimant : un séjour en prison, un bracelet qui éclate, une libération avortée, un retour en prison, des blessures, onze matchs, zéro but. Entre temps, Stoke City est monté en Premier League et ne compte plus franchement sur lui. Vince se met à sévèrement gamberger.

A suivre…

Kevin Quigagne.