Séduit par sa communication et sa bonne humeur, son avocat plaide la relaxe. Verbatim.

L'avocat prend la parole

Silence dans la salle. L'avocat prend la parole.

« Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs les membres du tribunal, Mesdames, Messieurs les membres du jury.

Il est aujourd’hui de bon ton de critiquer sans vergogne l’usage qu’a mon client de son sifflet, en dépit de toute considération humaine, toute empathie envers un membre de la société civile, toute estime pour sa fonction. Etre arbitre de football aujourd’hui, c’est accepter de se voir trainer dans la boue des cochons et passer sous les sabots des chevaux, sans possibilité de droit de réponse. De fait, c’est une atteinte grave aux libertés individuelles. Si mon client insultait The Sun de la même façon que The Sun insulte régulièrement mon client, il se verrait sans nul doute assigné au tribunal. Quod licet Iovi, non licet bovi.

Si mon client, Mr Lee Mason ici présent, a reçu une volée de bois vert, ce serait pour avoir modifié le cours d’un match. Les faits, je vous le rappelle sont les suivants : à la 13ème minute du match Manchester United-Queens Park Rangers, le défenseur des joueurs visiteurs pousse, avec sa main gauche, l’attaquant des joueurs locaux dans sa propre surface de réparation, annihilant une occasion de but manifeste. Mon client siffle pénalty et, voyant qu’il est l’avant-dernier défenseur – le dernier étant le gardien, je le rappelle pour les journalistes étourdis du Sun – lui tend un carton rouge, synonyme d’expulsion. La faute existe, et mon client ne fait qu’appliquer la règle.

Madame la Présidente, permettez-moi cette approche quelque peu grossière, mais qui s’accorde tout à fait aux enjeux actuels : lorsque j’ai embrassé ma future femme pour la première fois, j’avais 21 ans. Pour être tout à fait honnête, et quitte à vous surprendre, je n’avais pas regardé les vidéos de nos premiers rendez-vous pour analyser ses réactions à mes plaisanteries, je n’avais pas de ralenti sous la main pour apercevoir les clins d’œil qu’elle me faisait tout au long de la soirée, je n’avais pas de spécialiste en canapé pour me dire précisément où fallait-il que je me place, et à quel moment fallait-il que je me lance. Il s’est trouvé un moment, une seconde, peut-être deux. Je me suis approché de son visage et nos lèvres se sont touchées. Alea jacta est.

Vous comprenez évidemment ce que je veux sous-entendre à travers cet exemple : mon client a pris sa décision en une fraction de seconde, en assumant les conséquences irréversibles, quitte à devoir faire son auto-critique en s’apercevant, plus tard, de son erreur. Mais est-il moins coupable que l’attaquant de Manchester United, Monsieur Ashley Young, qui simule très nettement une faute qu’il ne subit que très légèrement ? Est-il moins coupable que l’entraineur des Queens Park Rangers, Monsieur Mark Hugues, qui, se sachant en manque de points au classement, souhaite à tout prix prendre un point à l’extérieur et applique un schéma très défensif qui ne laisse d’autre choix à ses défenseurs que d’entreprendre des comportements parfois limites, dans des zones à risques ? Errare humanum est.

Mon client subit la pression inhérente à la fonction qu’il exerce. Le football n’est plus un jeu, c’est un business où chaque décision qu’il prend doit être la bonne, sous prétendue peine de modifier le cours du match et d’influer sur le score final, donc sur le classement, donc sur la manne financière. Pourtant, je ne vous le cacherai pas, la vie privée de mon client a beau être difficile, il s’efforce de demeurer jovial et à l’écoute des joueurs, prenant soin d’expliquer ses décisions, s’excusant presque de distribuer des cartons. C’est pourquoi je demande la relaxe : mon client est un homme droit et intègre, et je crois que c’est à l’hostilité de son environnement médiatique que l’on doit imputer ses erreurs. « Soyez justes envers les justes. Vous le leur devez. Mais soyez justes encore envers ceux qui sont injustes. C’est le meilleur moyen de leur faire porter la peine de leur injustice, tout en leur laissant la faculté de la réparer. »

Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs les membres du tribunal, Mesdames, Messieurs les membres du jury, je vous remercie de votre attention. »

En signe de protestation, les journalistes du Sun quittent la salle.

8 commentaires

  1. Fred dit :

    Je dirais même plus : Dura lex, sed lex !

    En temps normal, je veux bien. Le feu de l’action, tout ça, ok. Je suis le premier à accorder le bénéfice du doute aux arbitres… mais pas sur cet exemple 🙂

    Je vois au moins deux raison à mon désaccord – qui n’empêche pas d’avoir apprécié la lecture de l’article et ses jolies comparaisons, soit dit en passant. La première, c’est qu’Ashley Young est hors-jeu. Le juge de touche, pourtant bien placé, ne le voit pas. D’habitude, je ne pinaille pas sur un hors-jeu limite qui nécessite un révélateur de travers pour être vérifié. Mais là, on a quand même l’impression que le hors-jeu est flagrant.

    La deuxième raison – et là c’est totalement subjectif, et faisant abstraction du fait qu’Ashley Young soit « offside » – c’est que je pense qu’il n’y a pas faute. Je me méfie de ces gaillards qui tombent subitement comme des mouches sans raison apparente, ou si peu. Le contact avec Derry me semble très « léger », du moins pas suffisant pour faire tomber de la sorte un gars de 26 ans en pleine forme. Bien sur, M. Mason prend ses responsabilités, il estime qu’il y a faute et il applique le règlement à la lettre avec un zèle digne des plus grands fonctionnaires soviétiques – c’est son droit. Mais je trouve surtout qu’il s’est fait monstrueusement abuser par Ashley Young qui nous livre une belle imitation du « saumon remontant la rivière ».

    Tirer sur les arbitres avec les moyens technologiques de décryptage, c’est très – trop – facile. Prendre une décision, se tromper, ça arrive, bien évidemment. Mais, à mon avis, tant que les joueurs feront le choix de céder aussi facilement à la tentation de la triche, les arbitres ne seront pas tranquilles.

  2. L'auteur de cet article péremptoire dit :

    On est d’accord, Bugz et Fred, on est d’accord.
    Un point, cependant : si l’on compare les arbitres anglais et français, par exemple, il n’est pas difficile de trouver les premiers bien plus psychologues et plus compréhensifs des joueurs que les seconds. S’ils brandissent un carton, ils vont faire venir le joueur et leur expliquer la raison de l’avertissement tout en écrivant le nom du gredin sur leur petit carnet. Ce qui rend la sanction administrative aussi importante que l’avertissement oral. D’ailleurs, ils sont généralement beaucoup plus souriants.
    Je pense que ce sont des règles édictées par les instances fédérales de chaque pays, et dont certains cas s’affranchissent pour arbitres à leur manière.

  3. Jeronimo KKO dit :

    Très belle comparaison avec la future femme ! Cette plaidoirie m’aurait ému !

  4. Fred dit :

    Entièrement d’accord sur l’aspect « psychologie ». Les arbitres français font un peu « shérifs » parfois, le doigt sur le sifflet et le carton. Les anglais font un peu plus « maîtres d’école » dans le fond 🙂

  5. Bugz dit :

    D’accord aussi avec « l’auteur de cet arbitre péremptoire »^(haha), Dowd, Atkinson, la majorité des arbitres de la PL sanctionne en discutant avec le joueur, souvent le sourire aux lèvres, ce qui, j’imagine, prévient les pétages de plomb (finie l’époque des Vinnie Jones et autres Savage). Ca a fait du bien de voir d’autres arbitres que les bouffons qu’il y a eu à une époque, avec Renie, Graham Poll ou encore Rob Styles.

    Mais je ne sais pas pourquoi, Mason, j’arrive pas, il a un peu trop un air d’Eric Poulat, il est un peu trop « arbitre français », justement! :p

  6. Fred dit :

    Tout le monde est d’accord, c’est merveilleux ! Allons descendre une pinte pour fêter le maintien de Norwich ! 😀

  7. Rinat dit :

    Drôle et juste, le meilleur article du blog depuis longtemps! Bravo

  8. Joseph dit :

    Questions bêtes de la part d’un arbitre français :

    – Être souriant est-il un gage de compétence ?
    – Le rôle d’un arbitre est-il d’appliquer les lois du jeu (selon son appréciation des faits de jeu), ou de soigner l’Oedipe de joueurs puérils ?
    – Expliquer ses décisions, c’est bieng. Problème : on nous demande d’être des accélérateurs de jeu, et les joueurs eux-mêmes réclament de pouvoir jouer rapidement les coups de pieds arrêtés. Si j’explique chacune de mes décisions, je ménage certes les sensibilités des fautifs, mais je ne risque pas un peu de hacher le jeu au détriment de tous les autres ?

    Bien à vous 😉
    Joseph,
    Arbitre francilien.

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