Petit Supporter Grandira – 4 / 4 : Veni. Vidi. Vicimus.

Dernière partie de la série. Les trois précédentes sont accessibles ici :

Partie 1 : La première fois

Partie 2 : Sous les arceaux d’un grand berceau

Partie 3 : Fiat lux !

Partie 4 : Veni, vidi, vicimus

Et puis l’arbitre dit de jouer. Alors ils jouent au foot, comme nous, pas comme à la télé où on dirait un film. Et le temps passe très vite. Et on crie toujours et on chante et moi j’ai oublié qui j’étais et j’ai oublié le garçon de ma classe et son papa qui ne sont pas de ma classe et les voitures et les gorilles et tout le reste : je bois ce qui m’environne par tous les sens, et quand même je crois que j’observe un peu de temps en temps ce que font les autres pour que personne ne voie que je suis là pour la première fois.

Je constate qu’en fait mes voisins ne font pas grand-chose ; j’en vois quelques-uns jeter des papiers ou des bouts de phrases, surtout des insultes. Je remarque vite que chaque individu est ici aussi insignifiant que moi, aussi perdu dans la masse, et que c’est cette masse qui compte, et le moins intéressant de tous est celui qui éprouve le besoin de s’en distinguer le plus. Plus tard, j’apprendrai à reconnaître au premier instant des matchs "le con de derrière" et ses lubies. Mais aujourd’hui, j’oublie tout cela, et je regarde en bas.

Ce soir, le PSG joue au football et marque des buts. J’entends tes sarcasmes, lecteur : "le PSG joue au football ?! Suffisamment rare pour être souligné…". Moi aussi je souris, mais ce soir-là, la question ne se pose même pas, le PSG joue au football et marque des buts. Des reprises de volée, en toute simplicité. Même s’il n’y a encore personne pour titrer "Lyon de volée au Parc". Les journaux, on s’en fout. Je n’ai jamais lu l’Equipe. D’ailleurs, que ce soit Lyon ou un autre, on s’en fout aussi. Ici, c’est Paris, je l’ai tout de suite compris. Marco Simone ouvre le score, Raï enfonce le clou trois minutes plus tard et Paris mène 2-0 après vingt minutes. Deux actions fluides et leur conclusion : la volée de Simone, lointaine, décomposée, spectaculaire. Celle de Raï, efficace et directe.

Il y a des gestes de grande classe, du jeu et des passes, des erreurs et des frayeurs. Il y a une mi-temps, après à peine un quart d’heure de jeu, et je mange mon sandwich car j’ai maintenant très faim. De nouveau, le jeu. Il y a des changements. Il y a des temps morts. Pas beaucoup. Cissé entre en jeu. Et puis Loko, qui avait tiré sur le poteau en finale de Coupe des Coupes l’année passée. Dans mon souvenir, il y a encore une reprise de volée du milieu de terrain qui termine sur la barre, et un dernier but de mon chouchou Italien. Dans le bon football, rien n’est facile, mais tout est simple.

Il m’est impossible de me souvenir des détails. Les souvenirs s’entremêlent dans mon esprit, et se confondent, noyés dans tant d’images ultérieures des matchs de mes protégés. Mais ce que je ne pourrai pas oublier, et cela je le sais depuis l’instant où je suis tombé dans ce puits de lumière, ce que je ne pourrai pas oublier, c’est ce stade, avec ses arcades de béton parsemées sur la face intérieure de milliers de grosses punaises rouges et bleues, avec son public de bourgeois dépossédés de leur bourgeoisie, avec ses virages remplis de pauvres types soudain transfigurés, avec ses joueurs, si petits, si proches et si réels, avec ses chants et sa clameur sans âge.

Ce soir, je suis seul au milieu du Parc des Princes, et je sais quelque part au fond de moi que toute cette beauté et tout ce spectacle, et la victoire et les buts de Simone et celui de Raï, personne ne les méritait, personne ne les attendait, personne même ne les demandait, à part un gosse un peu perdu qui savait malgré tout ce qu’il voulait en venant jusque là, et qui l’a obtenu. Ce soir, seul et muet, les yeux grands ouverts et la poitrine gonflée d’une clameur plus vaste que moi, je suis l’enfant du Parc des Princes.

FIN