Episode XLV: Où Paris, enfin, fait un champion atomique

(Si vous n’avez pas lu les épisodes précédents, c’est mal, allez les lire… Oui oui, maintenant.)

Les historiens officiels, ânonneurs d’anecdotes, transmetteurs mécaniques de clichés, ont déjà noirci des pages sur la fin des Girondins, ces mous du genou que Borespierre s’employa à abattre. Ils ont dit comment l’implacable justice de la République harcela Bezrissot, l’empêchant à jamais de parader dans son carrosse rose, de boire ses grands crus et de fumer ses cigares. Mais ils n’ont pas dit, les myopes, pourquoi l’acharnement de Borespierre et Saint-Justo fut tel: c’était parce qu’il fallait que les Partisans de la Sûreté Générale fussent champions de France du jeu de plante et portassent haut les couleurs de la Révolution.

Et ainsi fut-il. En cette troisième saison, les Vendéens pliaient sous le fer, les Girondins comptaient fleurette à la jolie machine de Monsieur Guillotin: la voie était libre pour les Parisiens… Ce fut un succès éclatant, et le Champ de Mars, envahi par les sans-culottes en délire, résonna longtemps de leurs cris… Borespierre fut porté en triomphe, jeté en l’air et rattrapé, et jeté à nouveau en l’air, et ses joueurs pareillement, et l’on se saoula à Montmartre, on fit bombance aux Innocents, on dansa devant le Louvre… La nuit brilla de mille feux tandis qu’on se re-racontait le sang glacé du fier Vahid quand il ajustait le portier adverse, les chevauchées du vertueux Dominique perforant les défenses, la rage de Louis éructant, bas baissés et bave aux lèvres, et puis Safet, oh oui Safet, tel le Messie marchant sur l’eau, buste droit et tête haute, traçant d’une plume invisible la désarmante géométrie de ses passes… Hourra! Hourra! Trois fois hourra pour les Partisans de la Sûreté Générale!

Le lendemain de cette fiesta mémorable, Borespierre et Saint-Justo avaient une bonne vieille gueule de bois et, à leur réveil vers midi, ils se tassèrent un petit blanc pour la faire passer. Saint-Justo soupira d’aise:

– Ah mon Bobo, que c’est bon non mais que c’est bon! Cette gloire, cette joie, on peut mourir tranquille, maintenant!

– Mais qui te parle de mourir, mon Saint-Justo! C’était bon, certes, mais ce n’est qu’un début! On va faire durer le plaisir et enchainer les titres comme d’autres enfilent les perles! Qui s’opposera à nous, désormais? Chouans et Girondins ont connu les charmes de l’échafaud… La République se dresse, magnifique et sereine, qui donne le sein à ses valeureux fils, les Partisans de la Sûreté Générale… Que pourrait-il nous arriver? Laisse-moi te dire: notre règne durera mille ans!