Ni buts ni soumises » Philippe Bergerôo l’affranchi

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Philippe Bergerôo l’affranchi

Les Bleues de Philippe Bergerôo ont remporté le tournoi de Chypre, comme celles de Bruno Bini deux ans plus tôt. La compétition amicale a été l’occasion pour le nouveau sélectionneur de commencer à mettre vraiment sa touche personnelle après avoir commencé dans la continuité de son prédécesseur.

Pendant qu’en Algarve l’Allemagne battait le Japon en finale (et que les États-Unis prenaient seulement la 7e place), la France a remporté le tournoi de Chypre face à l’Angleterre tenante du titre. Elle rejoint ainsi son adversaire au palmarès de la compétition avec deux titres, à une unité du Canada qui a remporté les trois autres éditions.

Cette compétition chypriote est la réponse trouvée depuis 2008 par les fédérations anglaise, écossaise et néerlandaise à leur absence de l’Algarve. Elle réunit des équipes d’un niveau intermédiaire entre l’élite des deux premiers groupes présents au Portugal et la deuxième division que constitue le troisième1. Si en Algarve, on retrouve 9 des 20 premiers2 du classement Fifa (dont les trois premiers3), le reste est à Chypre4 en dehors du Brésil qui ne joue à peu près jamais hors de ses bases et de l’Espagne.

Autant dire que ce tournoi est d’une autre tenue que des matchs contre l’Autriche ou la Bulgarie. Mais aussi que dans un contexte où l’on considère comme un échec de n’être que quart de finaliste de l’Euro (et quatrième des Jeux Olympiques), les Bleues devaient le remporter pour assumer leur standing, comme elles l’avaient fait en 2012 dans ce qui reste encore leur performance d’ensemble la plus aboutie avec en particulier des victoires convaincantes sur le Canada et l’Angleterre.

Montée en puissance à Chypre

Le nul concédé face à l’Écosse en ouverture de la compétition ressemblait donc à un coup d’arrêt dans les débuts idylliques de sélectionneur de Philippe Bergerôo. Certes les coéquipières de Kim Little ont progressé depuis le 5-0 encaissé en septembre 2012 pour la dernière confrontation entre les deux équipes mais pas au point d’être considérées comme un rival pour une équipe qui ambitionne un titre dans une compétition officielle.

La suite du tournoi a paradoxalement semblé de plus en plus facile. Le match contre l’Australie a été remporté 3-2 mais après avoir mené assez vite 3-0, les Bleues se sont fait peur en deuxième mi-temps.

Elles ont ensuite assez facilement battu les Pays-Bas mais ne se sont mises à l’abri qu’en toute fin de match et n’ont marqué le 3e but qui les a envoyé en finale5 que dans les arrêts de jeu.

C’est la finale contre l’Angleterre qui aura donc provoqué le moins de frayeurs, le score étant acquis au bout d’un quart d’heure.

Sébastien Duret/Footofeminin)

Les Bleues fêtent leur titre (photo : Sébastien Duret/Footofeminin)

Au delà du titre lui-même et de la capacité de réaction des Bleues contre une faible équipe des Pays-Bas, les enseignements sont sans doute à chercher dans les compositions de Philippe Bergerôo. Tout comme son adversaire de la finale, la France a changé de sélectionneur depuis un Euro considéré comme raté. Mais si Mark Sampson, le remplaçant d’Hope Powell à la tête de l’équipe d’Angleterre a immédiatement procédé à des changements forts de joueuses, Philippe Bergerôo est resté dans la droite ligne de Bruno Bini. Il faut dire que ce dernier lui laissait paradoxalement une situation apaisée puisque les choix polémiques avaient à près tous été réglés d’une manière ou d’une autre (retraite pour Sandrine Soubeyrand et Sonia Bompastor, retour déjà effectué pour Amandine Henry voire Laetitia Tonazzi et Sarah Bouhaddi).

Si le schéma des Bleues est passé d’un 4-3-3 à un 4-4-2 et que les méthodes de travail ont évolué, c’était essentiellement avec les mêmes joueuses. Dans sa première liste, le nouveau sélectionneur avait convoqué 17 des 23 Bleues de l’Euro6 plus Laetitia Tonazzi qui n’y était pas pour cause de blessure et Marina Makanza qui en avait fait la préparation. En dehors de Sandrine Soubeyrand retraitée des Bleues, les autres sortantes n’avaient pas joué une minute en Suède. La seule « nouvelle » était Marine Dafeur, empruntée aux M-19 pour pallier le forfait de Laure Boulleau.

Les précédents Loisel et Bini

On dispose de peu de précédents pour comparer l’impact d’un changement de sélectionneur puisque Philippe Bergerôo n’est que le 6e7. On peut toutefois comparer avec les deux précédentes passations de pouvoir pour se rendre compte qu’il y a rarement de révolution mais en général plus d’évolution.

En 1997, à la sortie de l’Euro déjà en Suède et déjà frustrant8, Aimé Mignot cédait sa place à son adjointe Élisabeth Loisel. Pour sa première sortie contre la Suisse, cette dernière convoquait 16 joueuses dont 12 étaient à l’Euro. Les entrantes étaient Séverine Creuzet, déjà sélectionnées trois ans plus tôt, la météorique Astrid Lagrevol9 et les jeunes Corinne Lagache et Sarah M’Barek. L’effectif était donc renouvelé d’un quart.

Presque dix ans plus tard, Élisabeth Loisel quittait les Bleues sur une victoire 6-0 contre la Belgique (et une élimination de la course à le Coupe du monde). Bruno Bini débutait par un match amical contre la Chine et convoquait 20 joueuses dont 15 étaient du match précédent, soit trois quarts là encore. Toutefois, sa liste comportait deux noms de plus que celle de sa prédécesseuse. De plus les trois sortantes étaient Laura Georges, restée aux États-Unis, Laure Boulleau qui ne reviendrait que deux ans plus tard et Delphine Blanc qui comptera plus de sélections après qu’avant (10 contre 3) et sera de l’Euro 2009. C’est plutôt du côté des entrantes que la nouveauté se faisait sentir. Nonna Debonne ne comptera qu’une autre sélection (lors d’un folklorique match contre le Japon) et Élodie Ramos restera assez épisodique. Mais Ophélie Meilleroux, Corine Petit10 et Gaëtane Thiney seront jusqu’au bout des joueuses importante pour Bruno Bini. Seule la dernière était vraiment débutante, les deux autres ayant déjà connu les joies de la sélection en 2003 et 2004.

Sébastien Duret/Footofeminin)

Philippe Bergerôo (photo : Sébastien Duret/Footofeminin)

Pour ses débuts, Philippe Bergerôo avait donc convoqué au total 20 joueuses dont 17 étaient à l’Euro et deux dans le groupe qui avait préparé la compétition. Le fait que le sélectionneur arrive de chez les garçons et ne connaisse sans doute pas toutes les joueuses du championnat explique sans doute en partie ce conservatisme.

Bruno Bini arrivait de la sélection M-19 avec laquelle il avait été champion d’Europe 2003. Deux de ses joueuses de base étaient alors Ophélie Meilleroux et Gaëtane Thiney. De même, Élisabeth Loisel avait été pendant près de dix ans la capitaine puis l’adjointe d’Aimé Mignot et connaissait donc bien les joueuses capables d’apporter du renouvellement après l’Euro 1997.

La relève

Avant le tournoi de Chypre, Philippe Bergerôo avait déjà commencé à lancer de nouvelles joueuses : Marine Dafeur donc, mais aussi Kenza Dali, Aurélie Kaci, Sandie Toletti et Rose Lavaud ont été convoquées, les trois dernières sont même entrées en jeu. Mais jusque là, aucune n’avait été titularisée et le noyau dur de la sélection restait globalement le même qu’à l’Euro.

C’est peut-être ce qui a changé à Chypre. Philippe Bergerôo avait emmené Griedge Mbock Bathy qu’il avait fait débuter à l’automne contre la Bulgarie, Kheira Hamraoui qui avait déjà fait un court passage du temps de Bruno Bini et Amel Majri désormais sélectionnable pour la France. Les deux premières ont joué un rôle important dans la victoire des Bleues.

Sébastien Duret/Footofeminin)

Jessica Houara (photo : Sébastien Duret/Footofeminin)

L’effectif change par petites touches mais c’est dans l’utilisation des joueuses que Philippe Bergerôo semble s’être affranchi de l’héritage de son prédécesseur. Le premier changement ne date certes pas de Chypre : il semble clair que la confiance inconditionnelle accordée à Corine Franco n’est plus de mise. La titulaire du poste d’arrière droite est actuellement Jessica Houara (seule joueuse de champ à avoir joué l’intégralité du tournoi), et quand il a fallu pallier l’absence de Laure Boulleau à gauche pour les deux derniers matchs du tournoi, c’est d’abord Sabrina Delannoy qui a occupé l’aile droite pendant que Jessica Houara était à gauche, puis Griedge Mbock Bathy qui a été titularisée à gauche pendant que Jessica Houara reprenait sa place. La Guingampaise a ainsi joué l’intégralité des deux derniers matchs (dans l’axe, puis à gauche), offrant en fin de match à Wendie Renard le but de la qualification contre les Pays-Bas. Comme on le dit depuis déjà quelques saisons, elle est sans doute entrée dans l’équipe de France pour un long bail.

L’éclosion de Kheira Hamraoui

Au milieu de terrain, zone particulièrement embouteillée chez les Bleues, le sélectionneur a profité de la blessure d’Amandine Henry pour faire de Kheira Hamraoui sa sentinelle, titulaire contre les Pays-Bas et à la fin de tous les autres matchs. La Parisienne a passé un cap en club et avoue elle-même avoir professionnalisé sa manière de voir le football. Son abattage physique allié à sa technique semblent plaire beaucoup au sélectionneur. Toute ça dans un secteur où il y avait déjà Amandine Henry, Élise Bussaglia et Camille Abily voire Louisa Necib.

Ce qui par ricochet ne va pas faciliter la résolution du grand problème de l’équipe de France : comment faire jouer les différentes meneuses ensemble. En début de mandat, la solution trouvée était de reculer Camille Abily, d’écarter sur le côté gauche Louisa Necib et de mettre en concurrence Gaëtane Thiney avec Eugénie Le Sommer en deuxième attaquante.

Mais le début de saison stratosphérique de l’attaquante juvisienne et le positionnement Camille Abily à l’OL (ainsi que les diverses blessures de Marie-Laure Delie et Eugénie Le Sommer) ont incité Philippe Bergerôo à les associer devant contre l’Écosse, sans grande réussite. Sans doute parce qu’aucune des deux n’est une vraie avant-centre et qu’elles ont toutes les deux besoin d’une pointe devant elles. Ce choix indique aussi clairement le peu de confiance accordé à Laetitia Tonazzi qui n’a eu droit qu’à 20 minutes à la fin de ce match et plus rien ensuite. La titularisation d’Eugénie Le Sommer en finale, préférée à Marie-Laure Delie est aussi un changement important : désormais les deux sont en concurrence là où la joueuse du PSG était jusque là titulaire dans l’axe, celle de l’OL faisant partie de la rotation sur les côtés.

Les côtés justement nécessitent maintenant des profils légèrement différents avec le passage du 4-3-3 au 4-4-2. À gauche, Louisa Necib semble solidement installée, comme à Lyon. Ce n’est clairement pas son meilleur poste, mais comme il n’est pas possible de mettre tout le monde à son meilleur poste…

À droite, Élodie Thomis a débuté tous les matchs de l’ère Bergerôo sauf l’aller contre la Bulgarie. Il faut dire qu’elle ne subit plus la concurrence d’Eugénie Le Sommer et de Gaëtane Thiney qui postulent maintenant à une place dans l’axe.

C’est pour les places de doublures que la situation a évolué. Camille Catala semble avoir perdu l’avance dont elle disposait. Entrée en fin des deux premiers matchs du nouveau sélectionneur, elle n’est plus entrée en jeu depuis. Ce sont les deux Montpelliéraines Viviane Asseyi et Marina Makanza qui ont joué à Chypre.

La France ira à la Coupe du monde 2015, ça ne fait pas vraiment de doute et certains contours de la liste des sélectionnées auront sans doute pris tournure suite à un match pas très réussi contre l’Écosse plus d’un an avant.

Sébastien Duret/Footofeminin)

Griedge Mbock Bathy Nka (photo : Sébastien Duret/Footofeminin)



4 commentaires pour “Philippe Bergerôo l’affranchi”

  1. le thème que je vois dans les choix de PB c’est le penchant pour les joueuses complètes, pluridimensionelles, et avec des grands volumes de jeu. d’où le repositionnement dans l’axe d’ELS, très active dans le repositionnement, grande gêneuse de première passe… plus vendangeuse que MLD certes mais surtout plus mouilleuse de maillot. l’utilisation d’abily en attaquante souligne la démarche; la nouvelle façon de jouer de GT, beaucoup plus hargneuse et généreuse (ce qui peut être aux dépens d’éfficacité devant le but) aussi.

    même si elle peut paraître frêle, thomis est dans ce moule, mais l’importance quel prend signale l’autre évolution importante à mes yeux, par ce qu’elle apporte, et ce qu’elle n’apporte pas: fini le jeu überlêché pour tirer 20 fois vers un but blindé en acier, entrée en scène d’un jeu plus direct avec concentration sur le pressing et les transitions. on perdra des admirateurs dans le monde, gagas devant notre téchnique, mais on gagnera plus de matchs importants.

  2. « Plus connue désormais sous le nom de Corine Franco »… pour combien de temps? en chypre elle portait le nom Petit sur le dos.

  3. Très bon article, récapitulatif de la situation depuis la prise de fonction de PB. Jessica Houara à la place de Petit, personne ne va crier au scandale, mais au milieu de terrain, je pense que la hiérarchie est assez claire:
    Henry(Bussaglia),Necib, Abily, Thomis dans un milieu à 4. Je veux bien qu’on essaye des choses lors d’un tournoi amicale(Chypre), mais lorsque la France se retrouvera en face d’une équipe du top 4 ou 5, c’est bien ces 4 là qu il faudra aligner. Quand à l’attaque, pour tout vous dire je trouve le profil de MLD assez limité et quelque soit la configuration retenue par le coach, l’EDF ne peut se passer de Thiney, c’est à mon avis la joueuse la plus importante de l’EDF actuellement et ça fait depuis que c’est le cas (j’ai bien dit importante car j’imagine que les gens pensent à Necib ou Abily). Un souhait en passant: PLUS D’ARTICLES, un article par mois c’est vraiment famélique. Les filles(les joueuses) ont besoin de plus, les filles méritent plus. Surtout que l’activité ne manque pas que ce soit en D1 féminine, en Frauen Budesliga, les éliminatoires de Canada 2015, Algarve, Chypre…Women Champions League…Vraiment SVP plus d’articles.

  4. Toujours aussi interessant.Très bon article, récapitulatif de la situation depuis la prise de fonction de PB. Jessica Houara à la place de Petit, personne ne va crier au scandale, mais au milieu de terrain, je pense que la hiérarchie est assez claire:
    Henry(Bussaglia),Necib, Abily, Thomis dans un milieu à 4. Je veux bien qu’on essaye des choses lors d’un tournoi amicale(Chypre), mais lorsque la France se retrouvera en face d’une équipe du top 4 ou 5, c’est bien ces 4 là qu il faudra aligner. Quand à l’attaque, pour tout vous dire je trouve le profil de MLD assez limité et quelque soit la configuration retenue par le coach, l’EDF ne peut se passer de Thiney, c’est à mon avis la joueuse la plus importante de l’EDF actuellement et ça fait depuis que c’est le cas (j’ai bien dit importante car j’imagine que les gens pensent à Necib ou Abily). Un souhait en passant: PLUS D’ARTICLES, un article par mois c’est vraiment famélique. Les filles(les joueuses) ont besoin de plus, les filles méritent plus. Surtout que l’activité ne manque pas que ce soit en D1 féminine, en Frauen Budesliga, les éliminatoires de Canada 2015, Algarve, Chypre…Women Champions League…Vraiment SVP plus d’articles.

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