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Hénin-Beaumont et Soyaux, une page d’histoire

Soyaux et Hénin-Beaumont font leur retour en D1 un an seulement après leur relégation. Ces deux clubs font partie de l’histoire du football féminin français.

Cette fin de saison aime à faire des raccourcis entre le passé et le présent. Après les éternels rivaux Lyon et Juvisy qui se sont affrontés pour une place en finale de Coupe d’Europe, deux autres clubs qui ont fait l’histoire du football féminin en France font parler d’eux : Hénin-Beaumont et Soyaux remontent en première division.

Certes, ce n’est pas une révolution, les deux clubs étaient descendus à la fin de la saison dernière1.

La liste des champions de France est finalement assez courte et faite de périodes successives de domination : celle de Reims d’abord (5 titres entre 75 et 82), à peine entamée par la résistance d’Étrœungt (les 3 titres manquants à Reims, entre 78 et 81), celle de la VGA Saint-Maur (6 titres entre 83 et 90). Lyon et Juvisy se sont partagé les titres dans les années 90, avant une série de quatre de Toulouse, un chassé croisé entre Juvisy de nouveau et Montpellier et enfin l’actuelle série lyonnaise.

Bref, entre Reims, Saint-Maur, Lyon, Juvisy et Toulouse, on a 32 titres sur les 39 distribués pour 5 clubs. En ajoutant les plus courtes périodes de domination d’Étrœungt et de Montpellier, cela ne laisse pas beaucoup de place pour les autres2.

Quelques équipes ont su tirer leur épingle du jeu. Lors de la domination Saint-Maurienne, trois équipes se sont particulièrement distingué : Soyaux, champion en 1984 et finaliste en 86, 87 et 893, Saint-Brieuc, champion en 1989 et finaliste en 92, et Hénin-Beaumont, finaliste en 1983 et 88.

Le cas de l’équipe bretonne ne sera pas évoqué ici. Il serait pourtant intéressant puisque ce club vit une quatrième vie : d’abord Chaffoteaux Sport Saint-Brieuc (lié aux chauffages du même nom), devenu Saint-Brieuc Football Féminin après sa prise d’indépendance de la société, puis Stade Briochin par la fusion avec l’ancien club de Yannick Le Saux et depuis cette saison En Avant Guingamp-Ville de Saint-Brieuc4.

Les deux autres équipes partagent avec Juvisy le fait d’être des clubs historiques qui ne se sont pas lié à un club professionnel masculin. Cela avait été évoqué pour Hénin-Beaumont avec le RC Lens, mais d’une part le club lensois n’est pas vraiment actuellement en phase d’expansion et d’autre part l’accord a finalement été signé avec Arras qui a profité de sa place en D1.

Marina Pascaud, capitaine de l'ASJ Soyaux depuis plusieurs saisons

Marina Pascaud, capitaine de l'ASJ Soyaux depuis plusieurs saisons

Les années héroïques

L’histoire des deux clubs synthétise assez bien les passages obligés des clubs féminins : création au début des années 70 comme section féminine du club local, sous la pression de jeunes femmes qui cherchaient un cadre pour pouvoir jouer, puis scission au début des années 80 quand les équipes féminines évoluant au plus haut niveau national commencent à faire de l’ombre aux garçons dont l’univers reste cantonné à leur district5.

La section féminine de l’AS Soyaux a été créée en 1968, ce qui permet au club d’annoncer fièrement (quoi qu’un peu abusivement cette saison) qu’il est « LE plus ancien club de France évoluant en D1 ». Celle de l’Olympique Héninois date de 1972.

Au début des années 80, l’équipe de Soyaux emmenée par Bernadette Constantin, mais aussi Florence Rimbault, Martine Chapuzet et Sylvie Bailly joue les premiers rôles mais bute face à Reims et à Étrœungt en finale en 80 et en demi-finales les deux saisons suivantes6.

L’Oympique Héninois gravit les échelons jusqu’à accéder à la première division en 1979. Mais la présence d’Étrœungt dans la même zone géographique est une rude concurrence qui barre la route des Héninoises en quart de finale de leur première saison dans l’élite puis dans les phase préliminaires lors des suivantes.

L’indépendance et les premiers succès

C’est après ces premiers faits d’armes que les filles prennent leur indépendance des garçons. La section féminine de l’Olympique Héninois devient le Football Club Féminin d’Hénin-Beaumont en 1981, et l’année suivante l’AS Soyaux supprime sa section féminine. L’ensemble des licenciées et quelques dirigeants ajoutent la Jeunesse à leur Association Sportive et deviennent l’ASJ Soyaux.

Lors la saison 83, Hénin-Beaumont, devancé en phase préliminaire par Étrœungt prend sa revanche lors du tour principal et accède enfin aux demi-finales où il rencontre Soyaux qui va tenter pour la troisième fois consécutive de rejoindre la finale. Les Charentaises emportent l’aller 4-2 mais les Nordistes renversent le score au retour 2-0. En finale elles affrontent la Vie au Grand Air de Saint-Maur-des-Fossés qui a éliminé Reims lors du tour principal : pour la première fois, le titre reviendra à une autre équipe que Reims ou Étrœungt.

Le 12 juin à Pierrelatte, Sylvie Pinte ouvre le score pour Hénin-Beaumont mais Martine Puentes égalise en début de deuxième mi-temps pour les coéquipières d’Élisabeth Loisel. Le titre se joue aux tirs aux buts et c’est la VGA Saint-Maur qui s’impose et inaugure une période domination qui sera ponctuée par 6 titres.

La saison suivante, la nouvelle donne est confirmée, Reims et Étrœungt sont devancées en tour préliminaire (par Saint-Maur et Vendenheim) et en tour principal (par Saint-Maur et Hénin-Beaumont) et l’on retrouve Saint-Maur, Soyaux et Hénin-Beaumont en demi-finales7.

Sojaldiciennes et Héninoises sont de nouveau opposées à ce stade, mais si les Charentaises concèdent le nul à l’aller sur leur pelouse, elles se qualifient au retour en l’emportant 1-0. La quatrième tentative a été la bonne. Elles affrontent donc les championnes en titre de Saint-Maur et s’imposent 1-0, remportant ce qui reste le seul titre de championne de France du club. L’histoire raconte que les joueuses de Soyaux ont fini le match retranchées dans leurs 18 mètres, complètement carbonisées mais ont su préserver la victoire.

La domination Saint-Maurienne

Les saisons suivantes, les deux clubs alternent leur présence en demi-finales (ou en poules demi-finales suivant les évolutions erratiques de la formule de la compétition), toujours au moins une jusqu’en 1990, jamais les deux.

On les retrouve même en finale quatre fois de suite : en 86 et 87, Soyaux retrouve Saint-Maur mais la situation a changé : la VGA domine maintenant le football français et constitue le socle de l’équipe de France. Soyaux perd ses deux finales 5-1 et 3-0. En 88, c’est Hénin-Beaumont qui affronte Saint-Maur en finale et qui s’en tire beaucoup mieux : Isabelle Musset (déjà 5 fois championne avec Reims, et qui le sera de nouveau deux ans plus tard avec Saint-Maur) égalise en fin de match pour Hénin qui pousse de nouveau les championnes en titre à la séance de tirs aux buts. Mais comme cinq ans plus tôt, c’est Saint-Maur qui s’impose.

La saison suivante marque en quelque sorte la fin de la période dorée pour les deux clubs qui s’affrontent en quart de finales. Soyaux l’emporte puis bat en demi-finales Flacé-lès-Mâcon, vainqueur surprise de la VGA Saint-Maur. Face à Saint-Brieuc, Florence Rimbault réplique successivement à Isabelle Le Boulch et à François Jézéquel et le titre se joue encore une fois aux tirs aux buts. Symboliquement, c’est Bernadette Constantin qui manque son tir et offre la victoire aux Bretonnes.

Le début de l’ère moderne

Après un dernier titre pour Saint-Maur, on entre alors dans l’ère de domination conjointe de Lyon et de Juvisy. En 1992, le championnat devient une poule unique de 12 équipes dont le vainqueur est sacré. C’est le FC Lyon qui est sacré pour le centenaire du club8, devant Juvisy. Hénin-Beaumont finit 4e et Soyaux 5e. La saison suivante les places sont inversées. Juvisy devance Lyon et Soyaux devance Hénin-Beaumont. Puis trajectoires divergent : en 1996, le Soyaux de Corinne Diacre finit dauphin de Juvisy alors qu’Hénin-Beaumon est relégué. Puis l’équipe charentaise rentre peu à peu dans le rang, bien calée saison après saison en milieu de classement.

Elle ne parvient pas à participer au tournoi final, sorte de play-off regroupant les 4 premiers du classement et qui durera de 2000 à 2004. En 2005, menée par Corinne Diacre et l’ancienne (et future) Héninoise Candie Herbert, Soyaux profite de l’effondrement toulousain pour prendre la quatrième place, mais il n’y a plus de tournoi final pour se mêler à la lutte pour le titre (et Montpellier finit 22 points devant). Dans cette équipe, deux jeunes joueuses de 21 ans attirent particulièrement l’attention : Ophélie Meilleroux et Corine Petit (qui ne s’appelle pas encore Franco).

Les passages en D2

Deux ans plus tard, Soyaux récidive malgré la grave blessure de sa capitaine Corinne Diacre en début de saison à Montpellier. Désormais régulièrement appelées chez les Bleues, Ophélie Meilleroux et Corine Petit sont toujours à la barre, comme Candie Herbert, Laetitia Stribick ou Claire Morel.

Mais la saison suivante est houleuse : bien que finie à une classique sixième place, elle voit le départ des deux internationales. Soyaux finit ensuite 10e puis 11e et se retrouve donc relégué pour la première fois depuis plus de 30 ans. Premier du groupe B de D2 en 2011, il est de nouveau relégué la saison dernière malgré un recrutement international à la mi saison qui avait vu arriver la gardienne Rebecca Spencer d’Arsenal, vite repartie au pays à Birmingham puis de nouveau à Arsenal cette saison9 et l’attaquante irlandaise Fiona O’Sullivan qui fait cette saison les beaux jours de Fribourg.

Pendant ce temps, Hénin-Beaumont remonte en D1 en 2003 et commence par se caler à la 7e place grâce à des joueuses comme Séverine Goulois, Amélie Coquet ou Marie Claude Herlem, internationales A ou championnes d’Europe M19 (ou les deux). Il conserve sa place la saison suivante avec l’éclosion d’une joueuse de 15 ans nommée Amandine Henry qui commence comme milieu défensive et finit la saison meilleure buteuse du club. Saison après saison, le club doit compenser les départs et vit deux saisons difficiles au bord de la relégation en 2007 et 2008.

Mais en 2009 la saison prend une autre tournure : menacé de relégation à la mi-saison (il faut dire que la moitié du plateau se battait pour le maintien), l’équipe est largement remaniée avec la prise de pouvoir de Marion Mancion dans les buts à la place de l’actuelle Arrageoise Manuella Cuvillier, l’arrivée de Rigoberte M’Bah, l’éclosion de Charlotte Blanchard et le retour de Marie-Hélène Olivier. Menée par un duo d’attaque composé de Candie Herbert et de Pauline Crammer, Hénin-Beaumont obtient la quatrième place, derrière ce qui n’est encore qu’un trio (et que le PSG transformera en quatuor la saison suivante). Deux 7e places suivront avant la descente de la saison dernière. Au bout de 7 journées, le club ne comptait qu’un nul et semblait largement décroché. Malgré une phase retour réussie avec seulement les 4 inévitables défaites contre le quatuor de tête, il est relégué pour ne pas avoir réussi à battre Yzeure lors de la dernière journée.

La remontée triomphale

La dynamique n’était donc pas tout à fait la même pour les joueuses de Corinne Diacre qui avaient fini la saison par 10 défaites et celles de Yannick Ansart qui avaient terminé sur 4 victoire et 3 nuls lors des 9 derniers matchs.

Mais les deux équipes ont vite fait la différence. Dès la deuxième journée, Soyaux s’imposait 5-1 sur la pelouse de La Roche-sur-Yon qui se posait pourtant en concurrente directe, et qui est d’ailleurs toujours deuxième avec seulement une deuxième défaite, au match retour. Dès ce match aller, mettait en avant les joueuses qui allaient la porter, en particulier l’attaquante Lauren Elwis auteuse d’un quadruplé et actuellement meilleure buteuse du groupe B avec 17 buts.

Lauren Elwis entourée de Jessica Marchadié et Justine Deschamps

Lauren Elwis entourée de Jessica Marchadié et Justine Deschamps

Avec un seul nul concédé la journée suivante face à Quimper, Soyaux n’a finalement jamais été inquiété et a pu fêter sa montée à domicile au stade Léo-Lagrange à trois journées de la fin par un feu d’artifice face à la lanterne rouge Corné, battu 7-0. L’occasion pour Corinne Diacre d’annoncer qu’elle quittait le club dont elle était l’entraîneur depuis 2010 où elle avait succédé à Bernadette Constantin. Une page se tourne à Soyaux.

Le parcours a été tout aussi maîtrisé pour Hénin-Beaumont qui n’a aussi connu qu’un seul nul début février à Dijon. Pourtant les Vertes menaient 2-0 à l’heure de jeu grâce aux deux meilleures buteuses du groupe A Aurélie Desmaretz et Pauline Cousin. Cela n’aura pas vraiment ralenti une équipe sacrée début février à la faveur d’une courte victoire contre Montigny. Plus encore que dans le groupe B, aucune équipe n’aura semblé en mesure d’empêcher Hénin-Beaumont de remonter.

Un mélange d’expérience et de jeunesse

Pour cela, Yannick Ansart a pu s’appuyer sur des joueuse habituées de l’élite comme Rachel Saïdi, Marie Schepers ou Aurélie Desmaretz, qui comptent toutes trois plus de 80 matchs en D1 mais aussi sur des joueuses issues de la formation héninoise dont les meilleurs exemples sont les deux attaquantes Pauline Cousin et Léa Declercq, championnes du monde M17 cet automne.

Céline Musin, Marine Dafeur, Charlotte Blanchard, Gwenaëlle Devleesschauwer, Rigoberte M'Bah, Pauline Martin, Marie Schepers, Rachel Saïdi, Pauline Cousin, Aurélie Desmaretz, Léa Declercq

De son côté, Corinne Diacre a pu compter sur un effectif beaucoup plus resserré : 8 joueuses ont joué au moins 18 des 19 matchs de Soyaux. Une des joueuses de base est évidemment Siga Tandia, un temps convoquée chez les Bleues (de France) et replacée devant la défense chez les Bleues (de Soyaux). Marina Pascaud Anaïs Dumont et Jennifer Maier apportent leur expérience de plusieurs saisons de D1. Et bien sûr, la meilleure buteuse du groupe Lauren Elwis a joué un rôle majeur dans cette montée.

Amandine Guérin, Jessica Marchadié, Marina Pascaud, Marie Aurelle Awona, Mary Miralves, Siga Tandia, Justine Deschamps, Anaïs Dumont, Jennifer Maier, Élodie Monteiro, Lauren Elwis
  1. Le troisième relégué, Muret, est en passe d’être aussi le troisième promu, tandis que dans l’autre sens les promus d’Issy et de Toulouse retournent en D2. Seul Arras a réussi à bloquer l’ascenseur.
  2. D’autant plus que le championnat est resté la seule compétition jusqu’aux années 2000, et que le Challenge de France devenu Coupe de France ne diversifie pas beaucoup le palmarès : 4 titres pour Lyon, 3 pour Montpellier, plus des victoires de Toulouse et de Juvisy, avec toutefois ce qui préfigure sans doute l’avenir, des victoires du PSG et de Saint-Étienne. Et en dehors de ces 6 là, seul Compiègne et Le Mans sont parvenu en finale.
  3. À l’époque, il n’y avait pas encore de poule unique et le titre se jouait après une phase finale.
  4. Par un autre retournement de l’histoire puisque dans les années 70, les filles du Chaffoteaux Sport jouaient en lever de rideau de l’En Avant Guingamp.
  5. La même chose est arrivée aux sections féminines du FC Lyon devenue FCF Lyon, et de l’Étoile Sportive Juvisienne qui donné naissance au FCF Juvisy.
  6. Les demi-finales sont alors jouées sous la forme de poules de trois équipes.
  7. La quatrième équipe étant Muret comme un clin d’œil à la présente saison.
  8. Du club masculin, finaliste de la première Coupe de France. La section féminine date comme ailleurs du début des années 70 et la scission aura lieu en 1995. En 2010, le FC Lyon a ouvert une nouvelle section féminine.
  9. Et dont le passage de trois matchs à Soyaux a tellement peu marqué qu’il n’est même pas mentionné sur sa fiche à Arsenal.


2 commentaires pour “Hénin-Beaumont et Soyaux, une page d’histoire”

  1. C’est fou, CHR$ est une encyclopédie vivante. Merci pour cet article. On a hâte de voir ces deux clubs l’an prochain.

  2. […] club était encore en D1 durant les années 2000 avant d’y faire un dernier passage en 2013 (voir Hénin-Beaumont et Soyaux, une page d’histoire). Enfin Arras a connu trois saisons en D1 entre 2012 et 2015 avant de tenter vainement de remonter. […]

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