Si l’on vous demande quelle équipe frappe le plus au but en Europe, vous répondrez certainement le Real Madrid, Chelsea, le Bayern Munich ou le FC Barcelone.

Vous auriez tort.

La réponse, il faut la chercher dans l’est des Pays-Bas, chez le modeste dixième d’Eredivisie: le Vitesse Arnhem, plus connu pour la myriade de joueurs de Chelsea qu’il accueille en prêt chaque saison (trois cette année : Wallace, Josh McEachran et Bertrand Traoré). La formation dirigée par Peter Bosz, ancien milieu de terrain de Toulon (entre 1988 et 1991), devance donc tous les grands d’Europe au nombre de tirs par match : 19,8 en moyenne, précisément.

Le problème, c’est que le Vitesse Arnhem est bien loin de ces géants continentaux en termes de buts marqués : trente-sept en vingt rencontres de championnat, soit vingt de moins que le Barça et trente-et-un de moins que le Real, les deux équipes les plus prolifiques. À l’échelle même de l’Eredivisie, le club de la province de Gueldre est devancé par le PSV Eindhoven, l’Ajax Amsterdam et le PEC Zwolle, la belle surprise de la saison.

Il y a donc un dysfonctionnement quelque part. Le Vitesse compte pourtant la deuxième possession moyenne d’Eredivisie (59,6 %), le deuxième pourcentage de passes réussies (82,9 %) et le deuxième plus petit nombre moyen de tirs concédés par match (11,6). Ce sont des chiffres d’une équipe de haut de tableau.

LOIN DU BUT, LOIN DU CŒUR

Une donnée ouvre une piste : 54 % des tentatives du Vitesse Arnhem sont situées en dehors de la surface, soit bien plus que toute autre équipe d’Eredivisie. Dans les championnats européens couverts par WhoScored, seuls les Espagnols de Getafe présentent un ratio légèrement plus élevé (55 %), mais ils ne tirent que 11,2 fois par match en moyenne.

Tous les tirs ne sont pas égaux. Tous n’ont pas la même probabilité de finir au fond des filets. Les analystes ont développé un moyen de la mesurer avec l’indicateur Expected Goals. Sont pris en compte des facteurs aussi divers que la location de la frappe, la qualité de la dernière passe, la situation des défenseurs adverses… Grâce à ce modèle statistique, le site néerlandais 11tegen11 a étudié la qualité des tirs pris par chaque équipe d’Eredivisie. Le Vitesse Arnhem n’est qu’antépénultième.

La qualité des tirs pris par les joueurs de Peter Bosz est largement insuffisante, car ils n’ont que très peu de chance de finir au fond – même si la réussite peut entrer en jeu, lorsqu’une frappe est détournée par un défenseur par exemple. Les deux rencontres face au PSV Eindhoven (0-1), il y a deux semaines, pour la reprise de l’Eredivisie, puis le week-end dernier contre l’Ajax (1-0), en ont été symptomatiques, malgré leurs résultats divergents : trente-trois tirs (son record de la saison égalé) dans le premier match dont vingt-cinq de loin, vingt-cinq tentatives dans le second dont quinze hors de la surface. Deux grandes tendances explicatives se dégagent.

UN ENTREJEU JOUEUR MAIS PAS DE JOUEUR DE SURFACE

On l’a déjà évoqué, le Vitesse Arnhem est l’équipe qui, en nombre absolu, tire le plus depuis l’extérieur de la surface en Europe. Avec son approche patiente, basée sur une forte possession, il affronte presque systématiquement des blocs défensifs regroupés dans leur camp. Pour les forcer, Peter Bosz associe souvent des milieux joueurs et dotés d’une bonne qualité de passe et de frappe, comme contre l’Ajax avec Marko Vejinovic (8 buts, 6 passes décisives) devant la défense, Davy Pröpper en relayeur et le Géorgien Valeri Kazaishvili un cran plus haut encore, à mi-chemin entre 4-3-3 et 4-2-3-1. Cela a très bien fonctionné contre un entrejeu ajacide mal à l’aise lorsqu’il doit courir après le ballon. Dans ces conditions, les déplacements entre les lignes des milieux du Vitesse leur permettent de trouver des positions de frappe lointaine.

Mais face au PSV Eindhoven, Davy Pröpper était aligné en pointe en l’absence de Bertrand Traoré, qui apporte habituellement vitesse et profondeur, notamment par des appels intelligents entre les défenseurs central et latéral adverses. Pröpper a un profil de meneur de jeu : décrochages intelligents entre les lignes pour demander le ballon dans les pieds, qualité technique pour se retourner et délivrer la dernière passe. Il n’est pas véritablement une option pour du jeu direct s’il s’agissait de franchir le premier rideau défensif adverse par de longs ballons.

Heatmap de Davy Pröpper contre le PSV Eindhoven (0-1), loin de la surface adverse.

C’est à ce poste d’avant-centre que se situe l’un des problèmes du Vitesse Arnhem, qui n’a pas de joueur capable de peser sur une défense ou de s’imposer dans les airs sur des centres. La solution doit donc venir différemment, et le problème se pose surtout face aux blocs regroupés, lorsque Traoré ne peut faire parler sa vélocité.

Côté gauche sur le papier, Zakaria Labyad se recentre souvent et percute beaucoup pour tenter de faire des différences en un contre un. Son pendant à droite, le tonique Équatorien Renato Ibarra, a un profil d’avaleur d’espaces, et ses lacunes techniques sont rédhibitoires à la dernière passe en attaques placées.

Si le bloc adverse est bien en place, avec un premier rideau efficace qui empêche de trouver les techniciens au coeur du jeu, Vitesse a dû mal à créer des décalages et à s’approcher de la surface adverse. Le manque d’intensité des projections de ses milieux, hormis Kazaishvili, implique aussi souvent un sous-nombre offensif en attaques rapides. Résultat : les seules solutions pour être dangereux sont souvent les coups de pied arrêtés et les tirs de loin, solution presque par défaut faute de pouvoir tenter autre chose.

LES MAUVAIS CHOIX DE LA JEUNESSE

Contre le PSV Eindhoven, la moyenne d’âge des milieux et attaquants du Vitesse Arnhem, chargés d’animer le jeu, était de 21 ans. Face à l’Ajax, deux semaines plus tard, elle était de 22 ans. Une telle inexpérience des offensifs n’est pas fondamentalement un problème, comme l’Olympique lyonnais le démontre semaine après semaine. Mais dans le cas du club néerlandais, l’immaturité entraîne une multitude de mauvais choix, qui débouchent souvent sur des frappes inappropriées.

Zakaria Labyad, par exemple, a le profil du joueur qui évolue tête baissée, sans porter trop d’attention au mouvement de ses coéquipiers autour de lui. L’international marocain, prêté par le Sporting Lisbonne, est certes capable de se créer des situations de tir à partir de rien, mais ses mouvements vers l’axe sont souvent prévisibles et il a tendance à frapper même si son défenseur n’est pas mis hors de position. Contre le PSV, Labyad a tiré huit fois (dont sept en dehors de la surface), a été contré à cinq reprises et n’a pas cadré. Il n’a pas cadré non plus lors de ses trois essais contre l’Ajax, dimanche.

PETER BOSZ COMME PACO JEMEZ

Globalement, Vitesse joue bien, est agréable à voir évoluer, mais manque d’efficacité et de lucidité dans les trente derniers mètres, malgré son gros potentiel technique. L’approche très offensive de Peter Bosz, dans un championnat ouvert où très peu d’équipes ferment le jeu, rappelle celle de Paco Jemez (avec qui il partage aussi un crâne dégarni) avec le Rayo Vallecano, mais pâtit des limites individuelles de son jeune effectif, au rendement irrégulier. La victoire séduisante contre l’Ajax doit servir de point de départ à un redressement pour une équipe plus habituée à jouer l’Europe que le ventre mou ces dernières saisons. Dans cette optique, abandonner son record de tirs par match ne serait pas forcément une mauvaise idée.

Julien Momont

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