On attendait le triple Ballon d’Or Cristiano Ronaldo, Karim Benzema, James Rodriguez, Gareth Bale, Toni Kroos… on a vu Bebé. À l’image de Cordoue – Real Madrid (1-2), l’attendu a déçu, l’inattendu a brillé. Il a d’abord fallu vérifier plusieurs fois que cet ailier droit costaud qui tourmentait Marcelo était bien le Portugais à l’étiquette d’escroc de Manchester United encore collée sur le dos. Puis se pincer, pour s’assurer que l’on ne rêvait pas.

Jusqu’ici, son histoire était celle de tant d’autres grands espoirs à l’ascension aussi rapide et fulgurante que la chute. Sir Alex Ferguson l’avait recruté avec Manchester United pour neuf millions d’euros à l’été 2010 sans l’avoir vu jouer, ni en chair, ni en os, ni en vidéo. Une première certainement restée unique dans la longue histoire de l’Écossais chez les Red Devils, tant le flop a été retentissant, avec sept maigres apparitions et deux réalisations.

Souvent, ce genre de mésaventures est une question de timing. Bebé a débarqué en Angleterre à tout juste vingt ans, après une seule saison pleine pour l’Estrela da Amadora, en troisième division portugaise. Il avait été repéré en 2009 dans un tournoi international de foot de rue. Dans les bagages de ce fils d’immigrés cap-verdiens, une enfance miséreuse dans un centre social. Ce transfert, orchestré par Jorge Mendes, était trop gros, trop tôt. Bebé n’était pas prêt pour réussir aux ordres d’un entraîneur dont il peinait à comprendre l’accent, dans un pays aux moeurs si différentes.

Cela n’a pas mieux marché au Besiktas ni à Rio Ave, où il a été prêté par MU. Mais la saison dernière, on a enfin aperçu l’étincelle et compris, en partie, pourquoi Carlos Queiroz avait convaincu Sir Alex, son ancien mentor, de le préférer à Eden Hazard. Douze buts avec Paços de Ferreira ont fait de Bebé le meilleur buteur portugais de Liga Sagres et éveillé des espoirs – finalement déçus – de Mondial brésilien. Suffisant, en tout cas, pour être recruté par le Benfica Lisbonne. Mais ce n’était qu’un faux départ.

GONE BEBÉ GONE

À son arrivée à Cordoue, le 9 janvier, déjà prêté par le club lisboète, Bebé rejoignait une formation relégable, désireuse de tourner la page, en 2015, d’une première partie de saison très délicate. L’effet Miroslav Djukic, arrivé le 20 octobre en remplacement d’Albert Ferrer, a mis du temps à prendre. Le Serbe a débuté son mandat avec une seule victoire sur ses dix premiers matchs. Mais la trêve a remis les têtes à l’endroit, et l’arrivée de Bebé a donné du poids – et ce n’est pas seulement pour l’expression – à son attaque.

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Contre le Real Madrid, le Portugais a perdu son premier match en Espagne pour sa troisième apparition avec sa nouvelle équipe. Mais, paradoxalement, cette défaite a validé, plus que toute autre rencontre, la transformation positive opérée par Cordoue, vers l’identité de jeu typique de Miroslav Djukic : solidité défensive, intensité dans le combat, contre-attaques tranchantes. Car ce n’est pas la meilleure équipe sur le terrain qui l’a emporté.

À son arrivée à Manchester, Bebé s’était décrit comme « rapide », doté d’« une bonne frappe » et marquant « beaucoup de buts ». Il a confirmé les deux premiers traits, mais avec un peu de retard. C’était samedi, au Nuevo Arcangel. Quatre-vingt-dix minutes pendant lesquelles il s’est systématiquement joué de Marcelo, jamais rassasié.

Le manque d’équilibre offensif du Real Madrid, avec notamment trois attaquants trop à plat et un Cristiano Ronaldo souvent axial, a poussé le latéral brésilien à évoluer très haut pour apporter de la largeur. Bebé a pu dévorer les espaces en contre et ses statistiques sont impressionnantes : 65 ballons joués, 6 tirs, 10 dribbles, 9 centres, 59 % de duels gagnés. Il lui a simplement manqué, comme aux autres offensifs blanquiverdes, de la précision dans la dernière passe, le dernier geste. Et un soupçon de réussite.

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Mené, bousculé, sans intensité ni liant, le Real ne méritait pas de l’emporter. Mais le mérite est une notion abstraite dont la vérité du terrain ne s’accommode pas. Un corner et un penalty – ainsi qu’une barre transversale bienveillante sur un lob du Roumain Florin Andone – ont offert trois points de plus aux Madrilènes. La réussite des champions, paraît-il. Aujourd’hui, le Real est leader avec trente points de plus que Cordoue. Rarement un écart aussi grand n’aura été aussi peu évident sur le terrain.

DÉCOLLER L’ÉTIQUETTE

Les Andalous, eux, ne sont pas tirés d’affaire. Ils ne comptent que deux unités d’avance sur le premier relégable, Almeria, mais peuvent s’appuyer sur un matelas de certitudes bien plus épais. À condition de remettre chaque semaine les mêmes ingrédients. Pour que cela ne reste pas le coup d’une seule après-midi.

La remarque vaut aussi pour Bebé, lié à son nouveau club dans la volonté de se faire une place durable au plus haut niveau. De prouver sa valeur et sa légitimité dans l’élite. Cordoue ne dispute que la neuvième saison de son histoire en première division. Le Portugais a lui déjà gaspillé plusieurs chances.

Son histoire fut d’abord un scénario hollywoodien, l’accomplissement du rêve d’un enfant démuni. Puis une descente aux enfers inéluctable. Bebé a désormais 24 ans. Seulement 24 ans, mais déjà plusieurs vies footballistiques. Il a mûri. Le destin des espoirs ne peut se limiter à deux issues, les cîmes ou les abîmes. Il existe un entre-deux moins scintillant mais pas déshonorant, où l’on peut se racheter une conduite. Se reconstruire dans l’ombre. Effaer les a priori. Samedi, Bebé a commencé à décoller son étiquette d’escroc. Elle lui collera encore sur les doigts pendant quelque temps, mais il ne tient qu’à lui de s’en débarrasser définitivement.

Version longue de l’édito publié dans le 46ème numéro des Cartons des Dé-Managers.

Julien Momont

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