Quand on ne mène au score que d’un seul but, il y a plusieurs manières d’agir. On peut ne rien faire de particulier, en laissant les mêmes hommes sur le terrain ou en les remplaçant par d’autres au profil similaire. L’idée : ne pas changer ce qui a marché jusque-là. On peut aussi faire entrer des éléments offensifs, soit pour presser l’adversaire et l’empêcher de trop attaquer, soit pour profiter des contres. On peut enfin verrouiller, faire entrer des joueurs à vocation défensive pour fermer la boutique. Mais cette stratégie, qui est la plus couramment utilisée, ne marche pas toujours. Et encore moins dans des oppositions entre grands et petits, comme l’a prouvé le match entre Valladolid et le Real Madrid.

ÉQUILIBRE DES FORCES

La spécificité de cette rencontre tient d’abord à la composition d’équipe des Madrilènes. Sans Gareth Bale et très rapidement Cristiano Ronaldo, la Maison Blanche a dû s’arranger pour trouver une solution sans modifier son système de base. Sur les côtés du 4-3-3, plutôt que les deux flèches, Carlo Ancelotti a opté pour Angel Di Maria, qui a passé la majorité de la saison au milieu de terrain – comme c’était déjà le cas en sélection – et Alvaro Morata, qui est plutôt la doublure de Karim Benzema en pointe. En plus du moindre talent des joueurs sur le terrain, la percussion offensive était forcément inférieure. Et ce même si la ligne de trois derrière voyait Isco (qui jouait tout de même deuxième attaquant à Malaga l’an dernier) accompagner Luka Modric et Xabi Alonso.

Pas habitué à évoluer ensemble, le trio Morata-Benzema-Di Maria a forcément connu des difficultés à se trouver et déstabiliser la défense adverse. Au lieu de subir, le Real Valladolid a donc pu jouer assez haut et bousculer les Madrilènes sans trop craindre une sanction immédiate en cas de perte de balle, un avantage renforcé par la fatigue physique et psychologique évidente des récents vainqueurs de la Copa del Rey. Pas illogique, le but de Sergio Ramos en fin de première mi-temps ne récompensait ainsi pas une nette domination mais un simple temps fort, Valladolid étant loin d’être acculé (6% de possession dans la surface adverse pour le Real, 4% pour Valladolid).

BATTRE EN RETRAITE

Voyant que ses troupes étaient incapables de prendre le dessus dans le jeu et ne se procuraient pas de réelles occasions de doubler la mise, Ancelotti a décidé d’arrêter de tenter. Plutôt que de chercher à mettre un deuxième but et valider quasi définitivement la victoire, son équipe se replierait et attendrait sagement le coup de sifflet final. Tentant, surtout que Javi Guerra et compagnie commençaient alors à mettre le nez à la fenêtre sans prendre le moindre courant d’air. À la 73e, Illarramendi remplace Isco. Quatre minutes plus tard, Benzema laisse sa place à Marcelo. Un peu de repos pour deux hommes qui devraient être essentiels dans les prochaines semaines et un système plus défensif pour verrouiller Valladolid.

Verrouiller… mais comment ? Car là est tout le problème de ces deux choix. Ils reflètent la peur de l’entraîneur, ce qui a toujours tendance à inspirer l’outsider, sans pour autant atteindre leur but. José Mourinho incarne cette philosophie mieux que personne : quand on veut obtenir un résultat, autant aller à fond, que ce soit dans un sens ou dans l’autre. S’il faut aller chercher un nul vierge à l’extérieur, on n’aligne quasiment que des joueurs défensifs ou avec un profil travailleur. S’il faut marquer pour décrocher sa qualification, on passe à trois attaquants et on balance devant en espérant que les choses tournent bien. Cet extrêmisme tactique, qui a ses limites (on ne rappellera jamais assez que ce même Real a rendu le Bayern inoffensif avec Di Maria, Ronaldo, Bale et Benzema en même temps sur le terrain), vaut souvent mieux que de la demi-mesure un peu molle. Un centrisme plein de concessions illustré, dans ce cas précis, par l’entrée d’un latéral offensif pour jouer sur l’aile et d’un milieu beaucoup plus récupérateur.

DÉSÉQUILIBRE SANCTIONNÉ

Bien entendu, l’évolution du score, avec l’égalisation à quelques minutes de la fin du match, incite à critiquer ce changement tactique. Mais le problème n’est pas tant dans cette finalité que dans l’évolution de la partie. Le but sur corner de l’entrant Osorio ne fait en effet que mettre en lumière la (relative) désintégration d’un collectif qui maîtrisait jusqu’alors son sujet, même sans une grande marge. Juan Ignacio Martinez, l’entraîneur de Valladolid, n’a d’ailleurs pas hésité à le confirmer. « On s’est retrouvés à jouer beaucoup plus dans leur camp et avec beaucoup de possession, leur causant une peur que leur propre entraîneur avait provoquéé au sein de son équipe avec ses changements.” Une critique assez frontale dans le cadre généralement assez policé des conférences de presse côté tactique. « On avait la situation en main pendant 70 minutes mais on a commencé à défendre bas et concédé un but sur coup de pied arrêté« , confirme Ancelotti dans un demi-aveu.

En pratique, le problème qu’a causé Ancelotti à son équipe est très simple à expliquer. Avec Morata et Di Maria, il possédait un attaquant attiré par la profondeur et un ailier complet, un équilibre similaire à celui qu’on retrouve généralement au niveau des latéraux (un offensif et un plus conservateur), qui permet de maintenir la pression sans délaisser l’aspect défensif. Même si l’expérience Bale-Ronaldo a prouvé qu’un bon système pouvait absorber deux ailiers-attaquants d’impact, l’entraîneur italien a choisi la solution inverse en faisant entrer Marcelo pour décaler Morata en pointe. Soit un joueur certes offensif mais avec des qualités de débordement plutôt que de pressing qui n’effraient donc pas le latéral adverse, et pas habitué à bloquer son couloir aussi haut sur le terrain. Quant à Illarramendi, il ne présente pas les mêmes aptitudes offensives qu’un Isco. Surtout, ces deux entrants ne répondaient pas au problème adverse : les coups de pied arrêtés et ballons aériens.

BONNES LEÇONS ET PUNITION

C’est tout le paradoxe du coaching. On peut être excellent toute la saison, enchaîner les coups gagnants et faire des choix qui sentent la mauvaise idée à des kilomètres. Bien entendu, on se gardera bien de donner des leçons à Carlo Ancelotti, qui accomplira toujours plus que ceux qui se contentent de commenter ses choix. Mais la périodicité de ce match interpelle. Tous les entraîneurs du monde ou presque ont un jour essayé de bétonner plus ou moins maladroitement. Même ceux de clubs censés dominer des rencontres et dont le moindre pas de recul remotive l’adversaire en même temps qu’il fragilise les troupes. Seulement, ce déplacement à Valladolid arrive dans la foulée de la double confrontation avec le Bayern et dont la leçon principale – on l’a évoqué plus tôt – est qu’il est possible de ne pas être mis en danger par une machine offensive en évoluant en 4-3-3 avec trois attaquants et d’anciens meneurs/ailiers comme relayeurs.

À la décharge d’Ancelotti, on signalera qu’il n’y avait plus aucune cartouche offensive sur le banc après l’entrée prématurée de Morata. Mais, quitte à vouloir jouer la sûreté, pourquoi ne pas y être allé à bloc en changeant le système pour renforcer les défenses antiaériennes ? Le passage d’un 4-3-3 à un simili 4-5-1 ne changeait alors pas le vrai problème : la menace Javi Guerra dans les airs, et le risque que Valladolid balance devant en espérant un coup de pouce du destin à la Demba Ba. Comme le signalait Martinez, en laissant venir, le Real s’est exposé, faisant partir les longues passes de 40 mètres plutôt que de 60. C’est l’histoire d’une fin de match mais c’est aussi celle du football tout entier : pour défendre un avantage, il vaut toujours mieux occuper l’esprit de l’autre en le forçant à reculer… ou alors accepter de subir sans broncher. Quand on est le Real et qu’on affronte Valladolid, entrer dans cet état d’esprit le temps de quelques minutes n’a rien de naturel. Et on ne peut s’empêcher de penser que le tiki-taka de Guardiola, troué de partout quand il a voulu forcer la décision en demi-finale de Ligue des champions, aurait sans doute permis de tenir jusqu’au bout sans laisser à l’adversaire la possibilité de respirer.

Christophe Kuchly

3 commentaires

  1. Daniel dit :

    ou comment redonner du sens au vieil adage que l’on connaît tous, « la meilleure défense, c’est l’attaque ». effectivement, quand on est occupé à défendre, on n’attaque pas, échec et mat. surtout qu’avec son potentiel offensif, le Real n’aurait pas eu de mal.

    même si ça me coûte de le dire, l’extrémisme tactique de Mourinho a parfois du sens. je pondèrerais en disant que cela a du sens sur des temps du match, pas sur sa globalité. mais lorsqu’il a fait rentrer ses 3 attaquants de pointe contre le PSG, il a littéralement fait tout ce qu’il a pu pour gagner. sans les pieds carrés de Cavani sur 1 occase franche de contre-attaque, le PSG partait vers de nouvelles aventures. c’est finalement passé pour Chelsea. il n’est pas passé d’un 4-2-3-1 à 4-3-3, il est passé à un 0-2-8 ! – pour caricaturer.

    donc je suis d’accord avec l’analyse de Christophe, c’est encore en bougeant l’adversaire qu’on l’empêche d’établir son plan. je reste encore surpris de ce comportement de la part du Real de Perez, qui a toujours soutenu – et je suis d’accord avec cela – qu’il fallait simplement marquer un but de plus que son adversaire, qu’importe le reste. parfois les idées simples ne sont pas dénuées de sens

  2. jAX dit :

    Excellent. Je me demande si l’extrémisme n’est pas plutôt une forme d’absence de réponse. Le papier « Empiler n’est pas marquer » sur ce blog le décrit très bien. Jouer à 3 attaquants parce qu’on doit absolument marquer peut être suicidaire si l’adversaire ne renonce pas à garder la main sur le jeu, de la même façon, jouer avec 6 défenseurs n’est pas gage de verrou défensif (l’Inter au Camp Nou prend 2 buts légaux et concède un tas d’occasions en 09/10).
    C’est plus une solution de facilité qu’une véritable réponse à mon sens.

    PS : j’avais écrit sur ce thème : http://yourzone.beinsports.fr/football-comment-securiser-un-resultat-coaching-changement-defensif-9045/ .

  3. Pedro111 dit :

    Très bon article, mais j’aimerais signalé qu’Ancelotti était peut être forcé à faire ce changement tactique car persuadé qu’il était quasiment impossible de pouvoir marquer un second but, vu la rareté des occasions franches que ses joueurs ont pu se créer, Ceci était due à monn avi à trois raison :
    1 – le travail défensif parfait de Valladolid, à signaler le but de Madrid était le fruit d’un coup franc.
    2 – Morata qui n’offrait pas de solutions en profendeur
    dans l’absence des ailliers attaquants Ronaldo et Bale.

    3 – L’état du terrain qui ne favorisait pas le jeu de passes courtes.

    Ceci ne dit pas qu’Ancelotti avait raison, car il ne fallait pas reculer de toute façon. Et peut être qu’il aurait du passer pour un 442.

Répondre