Il court, José. Dans son survêtement inélégant, parka sur le dos, baskets au pied, Mourinho court. Ce n’est pas un sprint provocateur, doigt pointé vers le ciel, pour fêter la qualification des Blues, comme après celle de l’Inter au Camp Nou, face à Barcelone, il y a quatre ans. C’est une course de cinquante mètres, pour distiller des ultimes consignes à ses joueurs, entassés au poteau de corner, euphoriques. Il ne fait rien comme les autres, José. Jamais meilleur que lorsqu’on le condamne en avance.

Lors du tirage au sort, ce quart de finale de Ligue des champions entre Paris et Chelsea promettait une opposition de style parfaite. La possession parisienne face aux contres londoniens. Le scénario de la double confrontation, qui a tourné à l’avantage des Anglais grâce à leur but inscrit au Parc des Princes, a donné lieu à un affrontement bien plus complexe et nuancé. Le match retour à Stamford Bridge, mardi soir, a notamment permis de ressortir quatre grands enseignements tactiques.

1. LES RISQUES D’UNE DÉFENSE BASSE

Défendre bas permet de priver son adversaire de profondeur tout en lui opposant un bloc compact, avec un maximum de joueurs face au ballon. Contrairement à ses habitudes, et à ce que Laurent Blanc avait annoncé [1], le PSG a misé sur cette stratégie à la perte de balle plutôt que sur son habituel pressing haut. L’absence de Zlatan Ibrahimovic et la titularisation en pointe de Cavani, joueur de profondeur, y ont peut-être contribué. Pari perdu.

Thiago Motta et consorts ont, certes, neutralisé plutôt efficacement Chelsea dans le jeu – surtout en première période – grâce à une organisation en 4-1-4-1 repliée dans son camp. La discipline de Lucas et Lavezzi dans le replacement leur a permis de récupérer plusieurs ballons, en début de match notamment (trois interceptions en première période pour le Brésilien). La couverture des couloirs par le trio de l’entrejeu Verratti – Thiago Motta – Matuidi, en soutien de Jallet et Maxwell, a longtemps étouffé Chelsea en attaques placées.

Mais défendre bas, c’est aussi s’exposer aux phases arrêtées menaçantes qui en découlent. Les Blues ont ainsi bénéficié d’un nombre important de coups francs bien placés (28e: Lampard repoussé par Sirigu; 53e: Oscar sur la barre, notamment). Et puisque chaque détail compte, ils ont même exploité les longues touches d’Ivanovic et Azpilicueta – ainsi qu’une concentration parisienne inégale – pour apporter le danger (montées de Cahill), et ouvrir le score (Schürrle, 32e). Sans que Paris ne paraisse acculé pour autant.

2. LES VERTUS DE LA PATIENCE

Inutile de désigner des coupables. S’exprimer a posteriori augmente sensiblement les chances de viser juste. Mais l’idée selon laquelle Chelsea allait attaquer la partie tambour battant, tentant de combler au plus vite une partie de son avantage, est en totale contradiction avec le projet de jeu de José Mourinho. Car si le technicien portugais n’est pas infaillible, il a une telle confiance en lui – d’aucuns parleraient d’arrogance – qu’il pense ses principes capables de triompher en toutes circonstances, à la condition qu’ils soient correctement appliqués. Deux buts ne représentaient pas un écart suffisamment important à combler pour le sortir de sa zone de confort.

Mardi soir, ce fut même l’inverse d’une blitzkrieg. N’a-t-on pas entendu les supporters parisiens enchaîner les “Olé” lors d’une longue phase de possession du PSG après vingt minutes de jeu à peine? Au lieu de tout bouleverser, Chelsea a construit son mur pierre après pierre, sûr de sa force. On soulignera évidemment la capacité du Mou à mobiliser ses hommes autour d’un objectif commun, à leur faire comprendre qu’il n’était nul besoin de s’affoler pour se qualifier. Mais ce discours résonne d’autant plus quand il est entendu par des Terry, Ivanovic et Lampard. Ceux-là savent, d’expérience, que le but doit venir au bon moment et qu’il n’a pas besoin d’être mérité pour exister.

Plutôt que de tout faire pour marquer rapidement, avec un pressing haut d’entrée et de tous les instants, les Anglais se sont mis patiemment en position d’y parvenir. Alternant phases intenses et replis stratégiques. Et lorsqu’est venu le temps de prendre tous les risques, leur entraîneur n’a pas hésité. Conscients de leur capacité à faire la différence en fin de match, à l’usure, les Blues ont peu à peu resserré l’étau, toujours avec le souci de ne pas encaisser de but. Si la chance sourit aux audacieux, le destin n’oublie pas les patients. Ceux qui maîtrisent parfaitement la temporalité d’une rencontre.

3. LES BIENFAITS DE LA POSSESSION DÉFENSIVE

Le Bayern, et notamment lors de l’aller contre Manchester United, agace parfois par sa faculté à n’aller nulle part, à passer dans le seul but de perpétuer une action sans songer à sa finalité. Posséder le ballon et ne rien en faire, c’est frustrer les spectateurs, confisquer le jeu sans y apporter de justification.

Mais le football n’est pas qu’un spectacle, surtout dans des rencontres à élimination directe. Si l’on évoque le club allemand, c’est parce qu’il est, avec Barcelone, le plus proche philosophiquement du Paris Saint-Germain. Plus que les autres, ces trois clubs – et leur entraîneur actuel pour deux d’entre-eux – basent leur approche sur la possession. Que les Parisiens soient éliminés lors de l’une des rares rencontres où ils ne l’ont pas eue (52% pour Chelsea) n’est sans doute pas un hasard.

La puissance collective du Bayern, que l’on peut rapprocher de celle de l’Espagne 2010, se base sur ce totalitarisme, effet combiné d’une volonté philosophique, donc, et de la qualité des joueurs. Si, en Ligue 1, personne n’est armé pour gagner la bataille du milieu face au PSG [2], ce n’est plus tout à fait vrai sur la scène européenne. Ce changement d’adversité conditionne les possibilités à disposition de Laurent Blanc, qui n’a jamais eu l’occasion, avant ce quart de finale, de mettre en place les bases d’une possession défensive contre une grosse équipe.

Il n’est pas ici question d’expliquer l’élimination parisienne par la faiblesse relative de la Ligue 1. Reste que le profil de Chelsea et le scénario de la double confrontation ont posé des problématiques inédites au Paris Saint-Germain. Mardi soir, il n’a su faire tourner dans le camp adverse que par intermittence, et de moins en moins à mesure que le temps passait.

Évidemment, cela n’aurait pas empêché les Anglais de tenter des contres dont ils raffolent. Mais en se mettant en position de dominé, et en basant ses attaques presque exclusivement sur les contres de ses ailiers Lavezzi et Lucas, parfois appuyés par les projections de Matuidi – et complétés en fin de match par quelques ouvertures dans la profondeur pour Cavani –, le PSG a trahi ses principes plutôt que de légèrement les infléchir.

Avoir le ballon pour marquer est sans doute plus sexy que le posséder pour en priver l’adversaire. Mais s’ils avaient joué les surveillants confisqueurs, les hommes de Laurent Blanc auraient au moins eu le sentiment d’aller au bout de leur logique, au lieu de la sacrifier sur l’autel d’une fragile avance à préserver.

4. LES FOLIES DES FINS DE MATCHES

C’est l’une des limites de l’analyse tactique a posteriori, peut-être la plus évidente. Bien entendu, le résultat fait foi, et quand celui-ci ne reflète pas forcément le rapport de force, il est facile de nuancer les mots par le score.

Mais, plus encore que l’injustice, il existe un moment qui échappe aux tableaux blancs: les fins de matches. Chelsea l’a une nouvelle fois montré: il n’est pas toujours nécessaire d’engager des réflexions excessivement complexes pour marquer. Il suffit parfois de mettre du nombre et de la taille devant, et de pilonner la défense adverse en guettant son erreur.

Résumer ainsi le deuxième but londonien est évidemment réducteur. Mais l’organisation de Chelsea dans les dix dernières minutes fut certainement une source de migraine pour les chantres de l’équilibre collectif. On a vu les Blues évoluer avec trois avant-centres (Eto’o, Ba et Torres), Schürrle et Willian jouer milieux axiaux pendant un temps… avant que la clépsydre ne s’inverse et que Paris ne réponde en mettant Alex en pointe, pris au marquage par Demba Ba, stoppeur éphémère.

La conclusion que l’on peut en tirer est finalement une non-conclusion: celle des limites de la tactique. La macro-tactique, la philosophie de jeu, définit certes un entraîneur. « La stratégie de jeu est un idéal, quelque chose d’inaltérable, avec des fondements techniques, tactiques et psychologiques, confiait le sélectionneur uruguayen Oscar Tabarez dans The Blizzard. La tactique mise en place avant un match sera toujours basée sur cette philosophie de jeu que vous prêchez depuis longtemps et qui est la pierre angulaire de tout ce qui est travaillé ensuite sur le terrain. » Mais, sur de courtes séquences, dictées par le contexte du match, l’abandon des règles classiques peut fonctionner. La fin de rencontre, toute « atactique » fut-elle, donna raison à José Mourinho. La récompense pour être, initialement, resté fidèle à ses principes.

Christophe Kuchly et Julien Momont

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[1] En conférence de presse d’avant-match, l’entraîneur parisien avait notamment déclaré: « Garer un bus devant le but? Non, on n’est pas venu pour souffrir ou subir, mais pour jouer, avoir des occasions. Tout le monde connaît notre philosophie: gagner avec un jeu offensif, que l’on applique de belle manière en L1. Là, c’est un niveau supérieur. Mais une philosophie, ce n’est pas une question de niveau. C’est qu’on croit en ce qu’on fait. Moi, je pense que c’est la meilleure manière pour gagner. Si on veut devenir une très grande équipe, il faut appliquer ça au Parc mais aussi à l’extérieur. »

[2] Pas même Monaco, dominé à deux reprises cette saison: 58 % de possession parisienne à l’aller, 55 % au retour.

14 commentaires

  1. Raspou dit :

    excellent article, bravo!

  2. jeronimo dit :

    Same here, c’est remarquable et très bien écrit, bravo !

  3. Larry dit :

    Excellent. Cependant attention à ne pas tout mettre sur le compte d’un choix tactique. Chelsea a été tellement bien organisé et puissant par séquence que c’est peut-être bien Chelsea qui a forcé le PSG à se replier ainsi, et non pas un choix tactique du coach de jouer aussi bas. Peut-être que le PSG n’a juste pas été capable de jouer comme d’habitude et posséder le ballon…

  4. bigood dit :

    caller ‘clépsydre’ dans un commentaire de match de foot, c’est beau. Analyse très pertinente, comme à votre habitude!

  5. Vince dit :

    Le foot parfois, c’est bien plus simple que ça. Un attaquant qui rate 2 occasions de but nettes après avoir fait le plus dur (contrôle dans la course), c’est juste pas suffisant en Champions League pour passer.

  6. Julien M. dit :

    @Larry : En première période, le repli rapide du PSG dans son camp dès la perte du ballon nous a semblé assez évident. On a notamment vu Cavani sprinter à plusieurs reprises sur quelques mètres simplement pour se mettre en position devant le bloc, au bout du rond central, sans presser initialement.
    Je pense que l’objectif était de forcer Chelsea à évoluer en attaques placées, domaine dans lequel les Blues sont habituellement peu à l’aise (défaite à Crystal Palace malgré 67 % de possession, par exemple). Quitte, pour le PSG, à se placer soi-même en position de faiblesse relative, dans une configuration inhabituelle.

  7. moumen dit :

    Papier intéressant mais sur la fin de match, Mourinho et Terry ont expliqué que plusieurs scénarios ont été travaillés dans la semaine. Les mouvements des 3 attaquants en fin de match, entre autre, résulte d’une analyse tactique.
    J’ai l’impression que Mourinho avait donc des plans de jeu bien définis et que chacun des joueurs a tenté de les respecter dans la limite de l’état de leur condition physique. La « chance » aurait fait le reste.

  8. Brabra dit :

    1 – Je pense également que le fait de défendre bas n’a pas été un choix. Le PSG a subi l’intensité physique de Chelsea. Avec des joueurs comme Lavezzi, Cavani et Lucas qui dans leurs courses cherchent toujours la profondeur ou qui sont aussi toujours dans la percussions balle au pied, le bloc équipe parisien s’est trouvé coupé en deux !!! Pour moi la grosse errreur dU PSG ( ou de Blanc et/ou Cavani) a été de laisser Terry et Cahill (voir David Luiz) sans pression dans le jeu long et de pouvoir mettre la pression dans la surface de Paris !! Juste en empéchant ce jeu long, le bloc bas de Paris n’aurait pas été en danger !!

    2 – L’autre point important et ça reste vrai du plus bas niveau District à une finale de LDC, il faut être décisif dans les deux surfaces !!! Or paris ne l’a été ni offensivement ni défensivement, après ce qu’il se passe entre les deux zones « ça reste de la littérature » comme disent certains …

  9. monsieuradan dit :

    Déjà je félicite l’excellente analyse 🙂

    Sans faire allusion aux championnats respectifs dans lesquels ces deux équipes évoluent, je pense cependant qu’on à vu la différence entre une équipe qui joue chaque semaine une équipe qui est à la limite de baisser son froc dans le jeu, et une autre où même le 17ème, n’hésite pas à lui rentrer de dans.

    Chelsea à imposé un faux rythme, qui à je pense chamboulé le collectif parisien; qui n’est habitué à être autant bousculé. Je pensais pourtant que Laurent Blanc avait tiré des enseignements du match aller, où on avait pourtant bien vu qu’il ne fallait pas jouer bas contre Chelsea.

    L’autre erreur à été de ne pas exercer un pressing constant sur Terry & Cahill, principaux initiateurs des phases d’attaque londoniennes. Et cette erreur, emmène vers le coup de poker audacieux tenté par Mourinho à savoir aligner devant shurrle, willian, eto’o, torres, demba ba; après ces remplacements successifs, Paris ne sortait même plus efficacement le ballon, le contrôle restait du côté des Londonniens. Ce qui m’a d’autant plus marqué, c’est que j’ai à aucun moment senti Paris avoir l’ascendant, si ce n’est quelques minutes de temps forts, gérés avec brio, notamment grâce à un David Luiz, monté en puissance au fur et à mesure du match.

    Outre ça, l’aspect psychologique à beaucoup joué : 7 joueurs alignés côté londonnien ayant déjà gagné la ligue des champions, qui n’ont absolument pas précipité les évènements.

    Au final, j’avais l’impression que Mourinho avait un plan A,B,C,D ; et que laurent blanc n’avait finalement qu’un plan… qu’il à fait foirer en faisant rentrer un Marquinhos, alors que Mourinho semblait s’attendre à ça..

  10. Bertin-gnac dit :

    Excellentissime.
    « Les chantres du shéma tactique » ça m’a fait sourir. Mais j’y ai pensé en voyant Mou aligner 4 attaquants en même temps.

  11. supegolgol dit :

    Enfin une analyse sensée dans cette médiocrité ambiante.

    Merci ! 😉

  12. Mile dit :

    Bonne analyse sur certains points mais ne pas trop croire a la chance. Comme dit plus haut dans les coms Mourinho et ses joueurs avaient travaille le systeme sans lampard, puis avec torres qui rentre. Chacun de ses joueurs savaient ou se placer. Voir l analyse sur zonalmarking.net . Perso je retiens surtout la frilosite de Blanc, aucune envie de marquer et son manque de charisme pour insuffler le combat. 3-1 a l aller m###

  13. Thesaurus dit :

    On ne parle pas assez de l’aspect psychologique durant ce match retour.
    Pour Mourinho marquer le 1er but tard met Paris en difficulté ca

  14. Thesaurus dit :

    car les parisiens hésiteront entre défendre (le temps qu’il reste) et attaquer (dans ce cas le temps joue contre eux). Blanc devait donc faire un choix. Pendant l’essentiel du match,suite au but encaissé, il a essayé de marquer en contre (disons 70% défense 30% attaque) et il a choisi en fin de match de défendre totalement.
    Je veux dire par là que mettre les parisiens en situation de choix permet de planifier une réponse en fonction du choix. Plus le 1er but de Chelsea arrivait tard, moins Paris avait le temps de voir si son choix était le bon donc de se réajuster.
    Autrement dit Paris se rendant compte que Chelsea avait un coup d’avance aurait eut plus tendance à faire des erreurs ou à se décourager.
    Dans ce domaine de proposition d’alternatives Mourinho est le meilleur car il prévoit les réponses possibles et travaille durant la semaines quoi faire face à ces réponses,d’où un sentiment de sérénité de la part de ses joueurs car ils savent que le entraîneur maîtrise la situation. Ainsi José peut leur demander absolument tout, ils seront partants et efficaces à l’image de Ba qui n’avait joué que 14 matchs depuis le début de la saison.

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