Dans la vie comme le sport rien n’arrive ex nihilo, seule la démonstration permet l’appréciation. Mais, sans une étude attentive et des outils de contrôle, avoir fait revient parfois à ne plus avoir besoin de faire. Et les qualités supposées de beaucoup de joueurs et équipes ne sont rien d’autre qu’un souvenir mythifié jamais réactualisé. Entre volonté d’y croire et réalité du terrain, comment évaluer les footballeurs et leur légitimité à joueur ? Doit-on prendre en compte leur carte de visite, le passé, ou se contenter des prestation, le présent, pour s’assurer le meilleur futur ?

FAIRE BONNE IMPRESSION

Sport pratiqué partout et en masse, le football oblige à l’excellence très tôt. Le physique, qu’on ne maîtrise évidemment pas entièrement, jouera un rôle, mais pas autant que dans les sports de salle par exemple où une petite taille est quasiment rhédibitoire (volley, handball, basket et cette fameuse formule « you can’t teach height »). Pour sortir du lot, il faut être assez doué et avoir beaucoup de chance ou être très doué et avoir un peu de chance.

Les meilleurs pourront ainsi intégrer les centres de formation, tremplins vers le professionnalisme mais aussi formidables cartes de visite. Etre dans le centre de formation d’un grand club, c’est être sûr d’être vu par des recruteurs et de se frotter au haut du panier, tout en ayant une ligne sur le CV qui permettra d’être pris plus au sérieux en cas de coup dur. Comme dans une grande école, rentrer est difficile mais n’est pas une finalité.

FAIRE LA BONNE SAISON

Une fois professionnel, chaque joueur n’attend qu’une chose : avoir l’opportunité de montrer ce qu’il sait faire, de prouver en quoi il est unique. Une idée compréhensible et légitimement concevable, le football, ses multiples postes, styles de jeu et qualités nécessaires, permettant une grande variété de profils. Certains percent plus vite que d’autres, se voient affublés des surnoms flatteurs et sont comparés à leurs aînés. Si une minorité de joueurs se trouvent être effectivement dotés d’un talent exceptionnel, les autres profitent d’un contexte global favorable. Au sein de leur équipe d’abord, mais aussi à des niveaux beaucoup plus grands (recherche du nouveau Zidane en France, Maradona en Argentine…), le tout favorisé par la montée d’internet.

Les représentants de la génération Youtube, qui peuvent devenir célèbres en une action, deviennent des joueurs fantasmés. Jugés par tous, surtout par ceux qui ne les ont jamais vu évoluer, ils perdent en contrôle de leur image ce qu’ils gagnent en notoriété. Le plus altruiste meneur de jeu d’un championnat peu médiatisé, qui réalise une superbe chevauchée ponctuée de dribles exceptionnels, va ainsi être inexplicablement classé comme étant une star du jeu offensif. Si le Sammy Traoré de PSG-Lille était en fait Traoraõ et évoluait à Palmeiras, il aurait très bien pu prendre un million d’euro de valeur en une seule action.

FAIRE ET REFAIRE

Bien évidemment, il faut qu’un fond vienne appuyer la forme, sauf à bénéficier de l’incompétence de recruteurs. Un joueur qui réussit une superbe prestation sera mis en lumière et pourra profiter de l’attention pour prouver sa valeur. S’il a du talent, il aura su bénéficier d’un coup de pouce du destin, d’un instant X favorable pour entrer définitivement dans la lumière. Si ce n’est pas le cas, si ce n’est que du vent, seule sa capacité supposée à répéter un coup d’éclat justifiera qu’on lui accorde sa confiance.

Et c’est bien là l’un des points centraux du problème : jusqu’à quel point doit-on faire confiance à quelqu’un qui ne brille que d’une réputation acquise plus ou moins légitimement ? S’agissant du jeu en lui-même, tout est une question d’appréciation. La logique supposerait qu’on place les concurrents dans des situations identiques, jugeant sur pièce leur apport au collectif et les résultats de l’équipe en leur présence. A priori, l’inutilité individuelle supposée ne l’est pas tant que ça s’il y a des victoires au bout. A cette subjectivité, on peut toutefois opposer les statistiques concernant certaines phases de jeu précises, phases à laquelle la tactique adverse répond plus ou moins bien.

Très concrètement, le cas de Javier Pastore, aussi adulé que détesté, entre dans ce cadre. S’il est évident que le joueur a du talent, deux idées préconçues nuisent à la neutralité. La première, son prix d’achat, relativise grandement la qualité de ses prestations. La deuxième, ses fulgurances qui rappelleraient le Pastore de Palerme, laissent imaginer un énorme talent. Deux visions, un point commun : le recours à un passé détaché du présent. Via l’aspect financier d’abord, qui n’a plus grand intérêt une fois le match débuté (on n’est pas dans la course à la bonne affaire et au ratio achat/talent, un très bon joueur acheté pour un euro n’a aucune raison de débuter au profit d’un excellent joueur acheté dix millions). Via l’aspect sportif fantasmé ensuite, peu de gens ayant réellement vu jouer Palerme et étudié la transposition tactique avec Paris.

FAIRE LES BONS CHOIX

En NBA, on utilise l’expression respect the shooter. Prendre au sérieux celui qui est capable de tirer. Impossible de défendre correctement le joueur adverse sur tout le terrain, il faut donc faire des impasses. Très simplement, il s’agit de positionner l’adversaire hors de sa zone de confort en l’incitant à faire le choix qui l’arrange le moins. Plutôt que de marquer de près un grand nounours pas très adroit, autant lui laisser toute latitude loin du panier et l’attendre à plusieurs dans la raquette. Celui-ci devra alors décider : tenter un tir risqué vu ses qualités ou foncer dans le tas malgré tout. Le seul moyen de retrouver de la liberté est alors de gagner en crédibilité en sanctionnant ces impasses défensives par des réussites. Sa spécificité en fait le club dont il est très facile de parler pour tout et pour rien, mais le FC Barcelone entre parfaitement dans ce schéma de défense adverse regroupée par absence de menace lointaine. Il suffirait qu’un Schweinsteiger soit aligné, peu importe qu’il tire de 30 mètres, pour que tout l’esprit défensif de l’adversaire change et que des espaces se libèrent. Une première victoire acquise uniquement grâce au passé, celui qui fait de vous une menace.

Valable évidemment à l’échelle d’une équipe en basket, cette donnée d’impasses est largement maîtrisée. Sport de statistiques et facilement rationalisable, il diffère d’un football beaucoup plus imprévisible et basé, aussi, sur des mythes. On dit des coups francs de Cristiano Ronaldo qu’ils sont dangereux ? C’est vrai, mais le taux de réussite du Portugais est l’un des plus faibles d’Europe. On compare Dortmund à Barcelone au niveau du jeu ? Sa possession est la 28e de la Ligue des Champions juste derrière le Dinamo Zagreb. A l’inverse, Xavi a réussi un match à 100% de passes réussies contre le PSG en ne pesant pas sur le jeu. Dans les deux premiers cas, on est dans le cadre de la statistique prédictive qui sert la tactique, dans le dernier on est dans la relativisation a posteriori. Dans tous les cas, réussir à ancrer l’idée d’une qualité chez l’adversaire, c’est aider son équipe avant même d’avoir foulé la pelouse.

FAIRE ÉVOLUER LES IDÉES

Les statistiques n’étant pas toujours bien interprétables et pertinentes, il apparaît impossible de dégager des modèles d’analyses définitifs permettant de servir la tactique. Science humaine donc molle, le football est défini par quantité d’éléments non-mesurables, et n’importe qui peut subitement marquer un but de 45 mètres. Quelques points clés comme les fréquences de tentatives et taux de réussite au tir ou les circuits de passes préférentiels peuvent pourtant être établis, laissant à l’analyse vidéo faite par les entraîneurs des cas beaucoup plus visuels comme les déplacements et attitudes instinctives sur différentes phases de jeu.

Le besoin d’amélioration ne serait pas si grand si tous les acteurs du football étaient des passionnés parfaitement compétents. En interrogeant les entraîneurs en activité ou consultants, on note des lacunes basées sur un grand nombre de lieux communs, de réflexions de bar devenues légitimes à force d’être répétées. Amusant au moment de faire quelques blagues, embêtant quand il s’agit de millions investis et de rencontres à enjeu. La multiplicité des matches fait qu’il est impossible de tout voir, et on s’en remet souvent à ceux supposés savoir pour forger son analyse. Si, des décennies plus tard, l’idée victoire à l’italienne existe toujours, c’est aussi parce qu’il est toujours plus aisé de rester sur des idées communément acceptées que de les faire bouger, faits à l’appui. Le passé qui définit et régit, qui ancre ce qu’on connaît mal et pousse à croire en un avenir équivalent.

Evidemment, il n’est pas question de cultiver la culture de l’instant. Mais si la passion se vit par l’émotion, le résultat sportif est majoritairement défini par la raison. Refuser le passé ? Non, mais le relativiser, le contextualiser, ne pas avoir peur de le confronter à une réalité plus dure. Parce que s’il est beau de croire jusqu’à mourir avec ses idées, il ne faut pas que leur fausseté vous tue.

Christophe Kuchly

9 commentaires

  1. sansai dit :

    Tout ce pavé juste pour dire qu’Hattrick est la simulation de football la plus réussie.

    Plaisanterie à part, excellent billet, une fois de plus. Merci.

  2. Rothen dit :

    Je découvre ce site, très très bon billet, vous avez un lecteur de plus

  3. Jer dit :

    Dans le même ordre d’idées les statistiques basées sur un supposé historique : « telle équipe a toujours gagné en coupe d’Europe contre des équipes espagnoles à domicile »

    Ou encore « ils sont allés déjà 3 fois en demi-finale dans leur histoire, ils ont l’habitude de ces matchs » quand la dernière fois que c’est arrivé était il y a plus de 10 ans.

  4. Samir dit :

    Un article hors norme !! splendide .

  5. Thesaurus dit :

    Vraiment d’utilité publique !! Merci d’avoir un point de vue si décalé et intéressant !

  6. Buisness-Internet dit :

    +1, superbe article !

  7. saM dit :

    dss

  8. Michel Dahleb dit :

    Très intéressant billet, bravo!

  9. hamada jambay dit :

    Pas mal. C.Ronaldo est il un ailier?

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