Il faudrait poser la question à Lionel Messi. Lui demander comment il réussit ce geste si compliqué à exécuter et si simple à regarder. Une affaire de dosage extrême, de connaissance du coéquipier. La passe en profondeur entre le latéral et le défenseur central, c’est en général une passe ratée.

PROVOQUER LES CIRCONSTANCES

Si Messi et le Barça en sont les spécialistes, c’est sans doute parce qu’elle requiert une compréhension mutuelle exceptionnelle. De l’appel à la réception du ballon, nombreux sont les obstacles : hors-jeu, puissance de la passe, contrôle, positionnement du gardien. Et puis ces deux adversaires qui sont en train de reculer, quasiment toujours conscients de ce qui est sur le point d’arriver, de ce que le détenteur du ballon va tenter. Timing et technicité, les deux exigences de cette passe.

Peu de joueurs la tentent. Soit parce qu’ils n’en sont pas capables techniquement, soit parce qu’ils n’en ont pas l’opportunité dans leur équipe. Le football préfère passer par le côté pour revenir dans l’axe. Cette passe trouve une solution assassine. Elle élimine à la fois le joueur de couloir et un joueur de l’axe. La suite de l’histoire est facile à écrire. Le receveur peut aller marquer seul ou trouver un partenaire, le gardien adverse se trouvant alors en un contre deux. Le choix se fera en fonction de l’appel et de la position initiale du passeur. C’est là où varient les pratiquants de ce geste.

L’EXEMPLE ESPAGNOL

Lionel Messi est la publicité la plus connue de cette passe, mais il n’est pas la seule. À peu près tous les milieux espagnols s’y sont convertis, calquant leur fonctionnement sur celui des Catalans. Intrinsèquement capables de la réaliser, ils ont néanmoins besoin d’automatismes et d’appels.

La passe de Xavi pour Jordi Alba en finale de l’Euro 2012 est unique dans ce domaine car exagérément prévisible. Jordi Alba traverse le camp italien et coupe entre Chiellini qui revient du côté (considéré comme latéral) et Bonucci, resté dans l’axe après le dézonage de son compère. Jordi Alba est alors la seule solution vers l’avant. Il vient, comme Chiellini, de l’aile gauche espagnole. L’étrangeté de cette action, c’est cette course entre les deux défenseurs, plutôt que dans le dos. Le meilleur latéral de l’Euro s’infiltre dans un espace réduit, encadré par deux joueurs. À la question « Qui commande la passe ? L’appel ou le passeur ? », Arsène Wenger avait répondu un jour « l’espace ». Jamais un ordre n’avait été si difficile à accomplir. L’espace que trouve Jordi Alba est minuscule et la réussite de son appel tient surtout à la qualité de passe absurde de Xavi, flirtant avec le hors-jeu. Ne reste que Buffon à battre. Alba fait un bon contrôle et trompe le gardien italien.

UNE RARETÉ CATALANE

Cette passe ne fonctionne pas de la même façon au Barça. Le dispositif 4-3-Messi-2 permet à l’Argentin d’être libre de ses mouvements dans l’axe, comme le montre cette excellente vidéo. Pedro et Sanchez/Villa/Tello sont chargés d’étirer la ligne défensive de l’adversaire pour créer un vide propice à l’expression du meneur-buteur (un processus qui d’ailleurs fonctionne moins bien depuis l’inclusion de Cesc Fabregas dans l’équipe). Intercalé entre les milieux et la défense centrale adverse, Messi vagabonde ballon au pied et déclenche dès que les ailiers catalans lancent une course vers l’axe. À la différence d’Alba face à l’Italie, l’expert Pedro passe dans le dos du latéral pour se retrouver entre ce dernier et le défenseur central. C’est alors à Messi de récompenser cet appel. Plusieurs variables doivent être connues : vitesse du partenaire et de l’adversaire, positionnement et vitesse du gardien, risque de hors-jeu. Toutes servent à choisir direction et dosage de la passe. Si elle est ratée : le pressing barcelonais s’active pour récupérer immédiatement le ballon. Si le passe et le contrôle sont réussis : Pedro a des options. Marquer, passer à l’autre ailier venu dans l’axe, ou la rendre à Messi qui a piqué vers la surface. L’ailier barcelonais est parfois un latéral. Dani Alves avant sa baisse de régime, Jordi Alba depuis cet été. Voir Messi approcher de son niveau barcelonais avec l’Argentine est intéressant : les appels de ses partenaires de sélection ressemblent de plus en plus à ceux réalisés par Pedro & et les autres.

Le Barça ne possède pas non plus un brevet de la passe entre le latéral et le défenseur, mais la disparition progressive des meneurs de jeu dans l’axe encourage leur quasi-monopole, et la popularité du 4-2-3-1 chez les entraîneurs reflète une génération d’accélérateurs plus que de créateurs. Même les survivants, comme Mesut Özil, ont tendance à traîner sur les côtés, à chercher le décalage depuis les couloirs, comme lorsqu’il a délivré à Cristiano Ronaldo la passe du titre face au Barça la saison passée.

Raphaël Cosmidis

14 commentaires

  1. deux pieds décollés dit :

    Tout à fait convaincu.
    Cela dit, la passe en profondeur entre le défenseur latéral et le défenseur central, c’est aussi un plaisir français – lorsque « entre » s’entend « de l’un vers l’autre »…

  2. Karim dit :

    Deux remarques :
    – j’apprécie énormément votre travail, vous réussissez parfaitement cette vulgarisation de la chose tactique. Néanmoins, pourquoi ne prendre pratiquement que des exemples espagnols ? (certes, beau jeu, équipe qui gagne tout ça)
    – lors de la finale, Chiellini a bien évolué en tant que latéral gauche. Mais il est sorti, blessé, au bout de 21 minutes alors que Alba a inscrit son but à la 41ème minute. Il ne s’agissait sans doute pas de lui.
    Bonne continuation !

  3. Christophe Kuchly dit :

    C’est vrai qu’on parle un peu plus de l’Espagne que du reste (même si c’est surtout un point d’entrée) et je comprends que ça puisse embêter. On sera amenés à y revenir à nouveau dans le futur, mais tous les sujets en préparation sont détachés de la Liga ou de l’équipe d’Espagne.

    Merci de nous lire en tout cas.

  4. un supporter stephanois dit :

    En tant que supporter stephanois je ne peux m’empecher de signaler que fabien lemoine tente ( et réussi ) regulierement ce genre de passe. J’aurai aimé d’ailleurs en trouver quelques une sur le net , si jamais un jour quelqu’un prend l’envie de faire une compilation …

    Bonne continuation à vous en tout cas.

  5. Pauleta c'est moi dit :

    Valbuena en fait des tonnes de ce style aussi.

  6. Thomas dit :

    Pour compléter la remarque de supporter stéphanois (que je suis aussi) le recrutement de Bodmer s’inscrit dans cette logique, me semble-t-il…

  7. Brian Hainaut dit :

    Bel exemple ce we, avec cette passe décisive d’Isimat Mirin pour Melikson, entre Sidibé et Béria : http://video.lequipe.fr/video/93bd6622962s.html

  8. Charlot dit :

    C’est léché, c’est fin, c’est collectif. Existe-t-il de plus belles choses?

  9. Saïd dit :

    On remarque une chose à propos de Messi, en regardant la fameuse vidéo que vous avez posté : il réalise quasi-constamment sa passe fatale à un moment précis. En analysant la vidéo, on voit que la passe est réalisée lorsque le défenseur qui marque le joueur censé réceptionner la passe relâche son marquage en faisant un pas vers le porteur du ballon (Messi). La qualité de la passe dépend donc plus de la vision du jeu du passeur (attente du relâchement du marquage et assurance que le récepteur fasse le bon appel) que de l’appel du co-équipier (qui reste cependant très important, bien sûr).

  10. gullit dit :

    Alba la mobylette !

  11. Joe dit :

    Bonjour,

    J’apprécie beaucoup ces articles.
    Une suggestion cependant, il serait beaucoup plus agréable et opportun d’intégrer des vidéos lorsque vous parlez d’une action que vous décortiquez ou qui illustre avec importance votre propos.
    L’exemple ici est frappant : il nous manque cruellement au début une vidéo courte et intégrée où voir une passe de Messi tel que vous l’entendez.
    Pareil à la fin du texte : vous parlez d’une passe d’özil vers Ronaldo qui nous laisse sur notre faim, nous autres pauvres amateurs de ballons qui ne retiennent pas toutes les actions merveilleuses dans notre petite mémoire.
    Légère frustration.

    Mais beau boulot. A bientôt !

  12. raphaelcosmidis dit :

    Alors, je vais être honnête, je voulais intégrer la vidéo concernant Messi à l’article mais je suis un incapable dans ce domaine-là donc je l’ai juste mis en lien hypertexte (début du paragraphe « Rareté catalane »).

    Quant à la passe d’Özil, on la voit sur cette vidéo. http://www.youtube.com/watch?v=ZHNi0MTx5yo#t=31m11s
    à partir de 31:11, il faut suivre son déplacement. Oublié par la défense.

  13. ZiziDane dit :

    Excellent Article, merci de faire partager tout ce savoir tactique. Effectivement, Ils ont du repeter sa un paquet de fois tellement sa semble evident le moment arrivé!! Saleté de beau jeu ^^

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