L’élimination en quart-de-finale de la Ligue des Champions fut vécue par mes coéquipiers comme une injustice. Avec davantage de réussite et le mail exact du docteur Fuentes, nous aurions effectivement pu battre le FC Créatine. La logique avait pourtant été respectée. Notre club sortait tout juste du ventre mou européen. Nous n’avions plus atteint ce stade de l’épreuve depuis 1995. Il nous manquait des années et autant de parcours méritoires pour sortir de l’enfance, agir en adulte et tuer un match à 1-0. Durant la rencontre, Lavezzi avait fait de la corde à sauter avec son cordon ombilical. « Sorry, sorry », répétait-il comme un gamin, une fois rentré dans le vestiaire. Nous n’avions pas à être désolés. Nous méritions le respect. Tous les supporteurs, même ceux de l’OM, devaient l’accepter et se montrer fair-play.

Je méritais également le respect. J’enchaînais les matches en Ligue 1 comme latéral droit mais ce poste n’était pas le mien. Christophe Jallet avait joué à l’aller et au retour. J’avais l’impression de perdre mon temps, ici. Les dirigeants construisaient sur du sable. Depuis sa dispute avec Laure, Zlatan s’investissait moins au quotidien. Des mercenaires postulaient pour le remplacer en cas de départ. L’amour du maillot ne signifiait rien si des corps étrangers souillaient sans cesse la tunique. À mon tour, j’étais prêt à danser sur ce Gang-bang Style. J’avais reçu une proposition très correcte du FC Valence. Le salaire proposé – cent cinquante mille euros par mois – correspondait aux prix du marché : incohérents et soumis aux effets de mode. Partir, oui, mais… En Espagne ? Chez les Espagnols ? Leur arrogance, leur suffisance, leur réussite, leurs longs cheveux bruns, les bouses d’Almodovar… Tout en eux m’exaspérait ! Le Barça plus que le reste ! Ce club entretenait l’idée mensongère que le collectif supplantait les individualités. Or, il ne valait rien sans Messi. Son jeu, si envié, n’était rien d’autre qu’une longue séance de passe à dix au service de sa majesté. Ses joueurs se voulaient les apôtres d’un football romantique mais ces menteurs vous crachaient dessus si le rendez-vous se déroulait mal. Busquets, Piqué, Pedro, Jordi Alba, Fabregas… Des lycéens de première L qui mettent du GHB dans les verres d’eau ! Ouais, je les détestais vraiment.

Le webmaster du PSG avait résumé ma tournée promotionnelle à Moulins par un émouvant diaporama de treize images récupérées dans la presse régionale et sur le skyblog de Julielol3>, une admiratrice. Le même jour, le sondage IPSOS publié par L’Équipe du 9 avril réserva quelques surprises. 37,3 % des Français habitant en Province disaient avoir une bonne opinion du club. Ce chiffre pouvait paraître faible mais un sondage paru le mois précédent l’avait situé à 18,3 %. Les ouvriers (51,10 % d’avis favorables) constituaient la catégorie socio-professionnelle la plus séduite par nos couleurs, loin devant les cadres supérieurs (30,70 %). Étais-je responsable de cette augmentation ? En tout cas, depuis peu, j’avais enfin droit à des retours vidéo personnalisés. Le staff soulignait mes erreurs et mes courses superflues. On m’accordait également la possibilité d’emprunter plus d’un film par jour à la médiathèque du Camp des Loges. Enfin, j’étais un footballeur comme les autres.

Seulement 25,2 % des 60-69 ans prétendaient soutenir le PSG. Notre service communication passa donc à l’offensive et m’utilisa comme arme de séduction massive. Paris Match m’avait ainsi suivi en train de faire les courses dans un supermarché parisien et j’avais promené mon caddie suivi par un troupeau de vieux pachydermes intrigués. Les plus courageux jetaient un regard dans mon panier, me suivaient dans les rayons, copiaient mes achats puis concluaient l’échange par : « Vous êtes connu ? » Je n’étais que footballeur mais ma réponse illuminait leur journée. J’aidais les mémés à attraper les bouteilles de Vodka placées en hauteur. Elles me souriaient. Ma marque plaisait.

Mettre en rayon un nouveau produit impliquait une prise de risque importante. Le public pouvait le rejeter même si le packaging était séduisant, simplement parce que le nom lui était étranger ; il se tournait alors vers cette valeur sûre dont les réclames vantaient les qualités depuis des années. Il fallait créer continuellement l’évènement afin de capter son attention. Selon le journaliste, j’étais « un personnage Match », dont l’histoire, porteuse d’émotions, dépassait le cadre du sport. Il m’avait conseillé d’avoir un enfant. « Tout le monde aime les enfants, argumenta-t-il. C’est comme les chatons ou les pizzas. » Ne restait plus qu’à convaincre Chiara de poser sur un lit d’hôpital. Une fois papa, j’aurais eu moins de temps pour jouer à Football Manager mais la couverture d’un magazine vendu à six cent mille exemplaires exigeait des sacrifices. C’est ce même raisonnement qui poussa mon agent à accepter les demandes d’interviews de Télé 7 Jours, de Télé-Loisirs, de Ouest France et de Voici, et à refuser celle de So Foot, qui écoulait seulement quarante mille numéros par mois.

Je n’avais pas peur d’agacer en multipliant les opérations de communication. J’avais atteint une telle maîtrise de la mise en scène qu’il m’arrivait, lors des matches télévisés, de tenter une frappe lointaine et désespérée juste pour attirer les caméras. Alors que nous menions au score contre Troyes, j’avais obtenu un penalty pour une faute inexistante. Je l’avais volontairement loupé en expliquant par la suite que tricher m’était impossible. Les spectateurs avaient évidemment adoré. Aujourd’hui, un adolescent qui s’éveille au football regarde un match comme s’il s’agit d’un film de Quentin Tarantino : il s’intéresse seulement aux acteurs principaux et n’a que faire du scénario. Il veut de l’action, un gentil à vénérer et un méchant à siffler. J’avais choisi d’être le gentil. C’était difficilement critiquable.

Une à deux fois par mois, le PSG organisait des rencontres entre joueurs et supporteurs. En échange d’un droit d’exposition sur une durée déterminée, souvent courte, nous nous rapprochions de nos fans. Le plus souvent, nous allions à la rencontre d’équipes amateurs de la région pour donner à leurs jeunes des ballons et des maillots. En contrepartie, nos dirigeants passaient des accords afin de garantir que les meilleurs éléments de ces formations satellites signeront au PSG et non à Lille. Ensuite, les heureux élus venaient au Parc des Princes pour faire le plein de souvenirs. Le vigile du stade leur en confisquait à la sortie mais l’expérience demeurait positive. Depuis peu, j’avais obligation de participer à ces opérations publicitaires. J’étais blanc, aimable, de petite taille. Mon profil rassurait les parents qui hésitaient à emmener leurs enfants au stade.

Conscient de cette force, le PSG m’utilisait comme ambassadeur dans les collèges. Les élèves écoutaient mes mises en garde contre la corruption et les dangers de la drogue en se montrant particulièrement attentifs à ces conférences codifiées par l’Éducation nationale, toute heureuse de trouver en ma personne un témoin magnétique. Quand je demandais à ces gamins quel métier ils souhaitaient faire plus tard, ils me répondaient : « être célèbre. » Ils semblaient me considérer comme un modèle. J’avais tout de même besoin de leur emprunter un joint de cannabis lors des pauses pour les supporter. Dans la cour de récrée, mon regard se fixait irrémédiablement sur ces filles au teint d’ange, gracieuses et aériennes, vêtues de cette simplicité que le monde dénudait peu à peu. Je percevais les prémices de leur chute en voyant défiler les plus grandes dans l’allée centrale, alors arrogantes et fières, seulement concernées par l’image que les autres percevaient d’elles. Le lycée se divisait en clans. Les garçons les plus forts jouaient au foot en ignorant la plèbe étalée sur le bitume. Les buteurs embrassaient les salopes assises sur les bancs ; une main sous le pull, ils consolidaient leur domination. Les collégiens trop moches, gros ou mal habillés restaient sous le préau près de leurs semblables et prenaient des notes. Ce paysage me rendait triste. Il me rappelait le boulot.

Sur Facebook, le jeu concours visant à faire gagner à mes abonnés un maillot dédicacé avait récolté une centaine de réponses en quelques minutes. La simplicité de l’énoncé – « Combien de carrés pouvez-vous distinguer dans cette image ? » – pouvait expliquer ce franc succès. J’avais été à la fois comblé par le taux de participation mais un peu déconcerté, aussi, par l’absence de bonne réponse : le dessin représentant un rond, il s’avéra délicat de départager les candidats. Un neurophysiologiste qui tomberait par inadvertance sur les résultats aurait été tenté de considérer le cerveau humain comme moins élaboré que celui de la tong ou de la palourde. Dans le même cas de figure, les autorités compétentes auraient déclaré la boîte crânienne comme zone inhabitable et les professeurs d’école primaire la juger plus utile comme pot à crayons à offrir lors de la fête des mères. Je préférais mettre les erreurs de mes fans sur le compte d’un goût trop prononcé pour la compétition, celui-là même qui me poussait parfois à tacler un adversaire tardant à effectuer une touche.

« Tu t’attaches trop aux gens, Kevin. Ils n’en valent pas la peine.

– Tu crois ?

– Ce sont des crétins. Préoccupe-toi seulement de ta carrière.

– Je cherche simplement à les comprendre.

– C’est comme pour ton frère… L’an dernier, tu as perdu ton temps à savoir s’il avait joué ou non au PSG. Tu t’es déconcentré.

– Comment tu…  Comment t’es au courant de ça ?

– J’ai mes réseaux. Je sais que tu séché un entraînement pour rencontrer Jérôme Leroy à Évian. Cela aurait pu te coûter cher !

– Il avait des trucs à me dire et…

– On s’en fout ! C’est du passé ! À trop penser à lui, tu n’as plus pensé au foot !

– Ouais… Peut-être…

– Ne laisse pas ta famille te distraire et t’éloigner de tes priorités. Ta mère ne connaît rien à ce milieu. Elle est néfaste pour toi. Enfin… Je ne te demande pas de ne plus lui parler, bien sûr, mais…

– Non, non… Tu as raison.

– Et ton ancien agent… Quel est son prénom, déjà ?

– Medhi.

– C’est un incapable.

– Il a des problèmes de fric.

– Ah oui ?

– Ce n’est pas très clair… À cause du poker, j’ai l’impression…

– Il est venu te voir ?

– Il n’a pas ma nouvelle adresse.

– Mérite-t-il que tu l’aides ?

– C’est un pote, quand même.

– L’est-il toujours ?

– Je ne sais pas…

– Écoute simplement les personnes qui te semblent les plus compétentes. Tu es quelqu’un d’exceptionnel, Kevin. Tu mérites le meilleur. »

J’étais vu comme un héros. Je devais me comporter comme tel pour entretenir l’illusion. Les jours disparaissaient puis montaient au ciel et je me prenais pour le créateur tout-puissant. Mon boulot en possédait toutes les caractéristiques : mythomanie, prétention, omnipotence et omniscience, sentiment d’invulnérabilité après une bonne note dans la presse, sérieux doute sur l’authenticité de ma propre existence (dès que j’ouvrais l’une des pages de ma biographie). Mes actes possédaient-ils une justification ? Le talent, aujourd’hui, ne suffisait pas pour s’imposer dans un grand club. Les bons footballeurs ne manquaient pas. Il fallait multiplier les compétences pour se distinguer de la masse. Il fallait consentir aux sacrifices. Se travestir. S’imaginer à la place du Seigneur et comprendre que s’il s’amusait à provoquer des catastrophes sur Terre, c’était pour échapper à l’ennui.

22 commentaires

  1. Thierno dit :

    toujours aussi fantastique Kevin!

  2. SamSonic dit :

    Belle description du veritable Barca, et cruelle desillusion pour Kevin.

    L’ombre du frere plane toujours…

  3. Phane dit :

    super bien ecrit, belle introspection, il prends de l’epaisseur de semaine en semaine ce petit… Mais je m’inquiete pour lui, il va bientot devoir consulter..

  4. C. Moa dit :

    KK peut-il jouer ailleurs qu’au PSG ?

    Arrière droit… On te manque de r€$p€ct !

  5. Captain Rai dit :

    tout simplement magnifique.
    S’améliore de billets en billets (marche aussi pour les matchs).
    Une place à l’académie Française t’attend.

  6. Kireg dit :

    Désabusé et poétique. Excellent.

  7. KoR dit :

    Miam et merci, assez jubilatoire.

    Bon, on sent que Kevin va devoir consulter, sans doute pour surmonter quelques vieux traumas de sa petite enfance liés au Barça et à ses amours déçues de Lycée, quand les premières L au look d’hidalgo assuraient plus que lui !
    Mais il est sur le bon chemin ce petit. Déjà, il a arrêté avec ses idées bizarres et il accepte le monde tel qu’il est. Encore un petit effort et ça sera parfait.

  8. Kevin Kohler dit :

    De quelles idées bizarres tu parles, Kor ?

  9. Arthur dit :

    « mon regard se fixait irrémédiablement sur ces filles au teint d’ange, gracieuses et aériennes, vêtues de cette simplicité que le monde dénudait peu à peu. »

    Généralement je lis ce blog pour rire des critiques acerbes du monde du foot mais je dois avouer que tes envolées lyriques sont particulierement belles. En tout cas c’est un plaisir de te lire

  10. bobrazowski dit :

    C’est beau

  11. dorcia dit :

    Quelle qualité !

    Est ce une prémisse ? ou un prémice ?

  12. supitatito dit :

    Le passage sur le Barça est juste splendide ! Bravo !

  13. Observateur dit :

    J’attends avec IMPATIENCE le compte rendu de ce match contre Evian…
    çui contre Troyes ce serait pas mal …

    MAIS ALORS EVIAN !!!!
    j’espère que Carlo va bien défoncer la gueule de tous ces joueurs qui ont oublié que le foot est un sport collectif…
    AK a bien raison « Arrête de faire chier ton monde avec ton désarroi » , parce qu’à ton niveau, c’est vraiment du luxe …

  14. PhB dit :

    Il s’agit bien des prémices, des prémices dans ce cas – les pré-miss, les débuts de miss sous le préau. L’après-miss ou la prémisse, c’est autre chose.

    Ce bout est top : « seulement concernées par l’image que les autres percevaient d’elles »

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    Kevin Kohler » Blog Archive » Episode 20.4 : Les valeurs du football…

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