Archive for avril, 2013

Les membres du Conseil m’avaient félicité en apprenant mon déménagement dans les Yvelines. En tant que joueur du PSG, je me devais d’afficher un certain standing. Nous organisions parfois des petits dîners avec Motta et Sirigu. Me voir accompagné de Chiara les rassurait, un footballeur sans femme étant forcément suspect. Elle s’occupait des pâtes, Thiago de la sauce. Salvatore se chargeait des boulettes. Il en faisait peu mais elles restaient sur l’estomac. Un saucisson sec n’aurait pas été pour me déplaire mais je m’en satisfaisais : ces repas représentaient les seuls écarts alimentaires autorisés par mon nutritionniste.

Ces dernières semaines, je m’étais ouvert à autrui plus que je ne l’avais jamais fait auparavant. Les gars me prenaient pour l’un des leurs. D’abord réticent, Sakho avait fini par approuver ma démarche. Il m’avait même carrément adressé la parole en salle de musculation, alors que je m’acharnais sur une machine : « Les médias parlent de toi même quand tu ne joues pas. Cela nous enlève un peu de pression. On peut se concentrer entièrement sur le club. » Mon regard sur lui avait changé. Je ne le considérais plus comme un capitaine de pacotille incapable de maîtriser la tempête lorsqu’elle se présentait. En fait, il ne voulait pas du pouvoir. Il recherchait simplement une mer de tranquillité. J’avais longtemps pris Ménez pour un imbécile sans tenir compte du fait qu’il s’occupait à la fois de son bébé et de sa carrière ; ses colères étaient les conséquences de nuits trop courtes et ses enfantillages des trêves bienvenues dans sa vie d’homme. Il s’agaçait de fréquenter le banc à cause du Brésilien Lucas et, quoi qu’en disent les médias, c’était parfaitement compréhensible. Javier, lui, était passé en deux ans du statut d’incontestable à celui de joueur lambda. Star éphémère, il était rentré dans le rang. Ce n’était pas facile à vivre. Le long de mes interviews, je m’évertuais à donner bonne presse aux footballeurs de ma génération. Ils n’étaient pas dangereux. Ils ne respiraient pas assez, c’est tout. De toute façon, dire du mal des collègues n’aurait pas été très intelligent car j’évoluais dans un milieu consanguin où tout le monde se connaissait. Seul Anelka morflait sur mon compte Twitter. Après… Comment dire… Jouait-il vraiment encore au football ? L’attaquer ne présentait vraiment aucun danger.

Apprécié de mes partenaires de jeu, je l’étais tout autant des publicitaires qui voyaient en moi un porte-drapeau du Made in France. Le monsieur de chez Peugeot se disait « emballé » par mon profil de « bon Français » réussissant au PSG. « Vous êtes un modèle d’intégration pour les gosses de ce pays ! » s’était-il enthousiasmé en me donnant les clés d’un véhicule de sa collection. « Au moins, vous, vous n’avez pas le pantalon qui descend », m’avait confié le PDG de Carrefour, qui cherchait pour dynamiser sa marque une célébrité jeune mais « éduquée », une denrée « de plus en plus rare » selon lui. Ses supermarchés avaient créé une gamme de produits à mon nom, label « Origine France », comme du jambon de Bayonne, des tripes de Caen, des quenelles de Lyon, des pruneaux d’Agen ou du nougat de Montélimar. Je touchais cinq centimes par quenelle Kevin Kohler vendue ; sept pour les conserves de jambon. Les études marketing montraient que les gens d’un âge avancé recherchaient plus que jamais des produits naturels depuis le scandale alimentaire de la viande de cheval retrouvée dans les lasagnes Findus. Cette quête du bien manger me profitait. Né à la campagne, j’apparaissais comme un footballeur sain, comme une sorte de rugbyman en moins crétin. Les annonceurs usaient de cette image jusqu’à l’indigestion. J’avais en outre conclu des contrats avec Breizh Cola, SEB, Tefal, Crédit Agricole et Free. Je continuais à m’habiller chez H&M, une marque appréciée des classes moyennes. J’utilisais ma Porsche Cayenne – achetée à peine soixante-quinze mille euros ! Une affaire ! – pour de longues virées en solitaire ou, plus prosaïquement, me rendre de chez moi jusqu’au Camp des Loges. John-Hugh me suivait en Peugeot. Nous échangions nos volants à deux kilomètres du centre d’entraînement. Je signais des autographes pendant qu’il se garait dans le parking puis je le rejoignais discrètement pour procéder à un nouveau troc. Il était alors huit heures, huit heures quinze. Caché dans ma Porsche, je me drapais de vêtements hauts de gamme, Dolce & Gabbana ou Gucci, pour n’en ressortir qu’à l’arrivée de mes coéquipiers. Au club, plus personne ne pouvait m’ignorer.

Cette bagnole recevait de bonnes critiques sur internet. Moi aussi, désormais. Une veille effectuée sur Google m’avait prévenu de l’irascibilité d’anciens abonnés du Parc – dont ce traître de Ludo – qui remettaient en cause ma sincérité. Un montage Photoshop de leur conception me représentait sous les traits de l’Abbé Pierre aidant un sans-abri qui ressemblait à David Beckham. Avec l’aide d’un avocat, j’étais parvenu à faire bloquer tous les sites relayant cette horreur et, dans un excès de zèle, celui de la Fondation Abbé Pierre. Par précaution, John-Hugh contacta après coup une entreprise spécialisée dans l’e-réputation. Elle fit fermer trois profils Twitter à mon nom, dont celui d’un véritable Kevin Kohler vivant à Nuremberg. Elle supprima mes différents pseudos sur AdopteUnMec ainsi que les conquêtes susceptibles de révéler mes techniques de drague les plus embarrassantes. Les exécutions exécutées, cette noble société programma un logiciel capable de commenter positivement chaque article me concernant à l’aide d’un vocabulaire simplifié. Il débuta sa mission sur le site de L’Équipe mais son intelligence artificielle l’envoya rapidement naviguer vers So Foot, où il devint un contributeur régulier et respecté.

Quand je n’étais encore qu’un simple observateur, j’arrivais à faire confiance aux journalistes ; naïvement, j’imaginais leurs récits plausibles. Totalement imprégné du milieu, je ne pouvais plus les cautionner. Je ne jouais pas spécialement bien mais je continuais à recevoir des bonnes notes dans L’Équipe. En contrepartie, mon agent offrait aux journalistes des infos sur le mercato, parfois même des interviews des internationaux dont il avait la charge. J’achetais de moins en moins souvent la presse. Je n’avais plus rien à apprendre. Avec neuf points d’avance sur l’OM à cinq journées de la fin, le titre du champion de France nous était quasiment assuré. Lorsque j’étais titulaire, un mec finissait toujours par me remplacer mais l’essentiel était ailleurs : j’étais enfin considéré comme un footballeur et accepté comme tel. J’agissais pour le bien de tous en prodiguant une image positive du PSG et de ses acteurs. On écrivait des papiers sur moi alors que mes performances demeuraient moyennes. J’avais débuté à Rennes et à Troyes. J’étais le seul joueur que les supporteurs adverses ne sifflaient pas. « Tu es davantage fait pour la Ligue 1 que pour la Ligue des Champions. Nous avons besoin de toi à Nancy et à Lorient, pas contre le Barça. Tu es aimé des gens normaux. Tu es comme eux. Tu es simple. Tu n’es pas spécialement beau non plus. Tu es ce que nous avons longtemps recherché » m’avait expliqué Leonardo en me recevant dans son bureau après notre facile succès 3-0 contre Nice. Il en avait profité pour passer mon salaire de trente-cinq mille à soixante-dix mille euros par mois. Un cadeau que, par politesse, j’avais accepté.

Zlatan touchait plus d’un million d’euros mensuel. Matuidi seulement deux cent vingt mille mais il allait être augmenté, tout comme Sirigu et Javier. Je les écoutais parler de leurs problèmes d’argent et de leurs passions. De tuning, notamment ! Le corps de Lavezzi aurait pu remporter des concours dans le Pas-de-Calais. Ce n’était pas toujours captivant mais… Combien coûtaient des enjoliveurs, d’ailleurs ? Et une montre Ralph Lauren ? Avais-je besoin d’une montre Ralph Lauren alors que mon portable donnait l’heure ? D’une ceinture en cuir tressé, peut-être ? D’un vignoble ? Non, j’avais déjà du Breizh Cola… Même s’il était dégueulasse… Des lunettes en acétate ? Et pourquoi pas, au fond ? Ca ou autre chose… C’était… Ouais, c’était étrange… Je pouvais tout m’offrir mais je devenais de moins en moins exigeant.

L’élimination en quart-de-finale de la Ligue des Champions fut vécue par mes coéquipiers comme une injustice. Avec davantage de réussite et le mail exact du docteur Fuentes, nous aurions effectivement pu battre le FC Créatine. La logique avait pourtant été respectée. Notre club sortait tout juste du ventre mou européen. Nous n’avions plus atteint ce stade de l’épreuve depuis 1995. Il nous manquait des années et autant de parcours méritoires pour sortir de l’enfance, agir en adulte et tuer un match à 1-0. Durant la rencontre, Lavezzi avait fait de la corde à sauter avec son cordon ombilical. « Sorry, sorry », répétait-il comme un gamin, une fois rentré dans le vestiaire. Nous n’avions pas à être désolés. Nous méritions le respect. Tous les supporteurs, même ceux de l’OM, devaient l’accepter et se montrer fair-play.

Je méritais également le respect. J’enchaînais les matches en Ligue 1 comme latéral droit mais ce poste n’était pas le mien. Christophe Jallet avait joué à l’aller et au retour. J’avais l’impression de perdre mon temps, ici. Les dirigeants construisaient sur du sable. Depuis sa dispute avec Laure, Zlatan s’investissait moins au quotidien. Des mercenaires postulaient pour le remplacer en cas de départ. L’amour du maillot ne signifiait rien si des corps étrangers souillaient sans cesse la tunique. À mon tour, j’étais prêt à danser sur ce Gang-bang Style. J’avais reçu une proposition très correcte du FC Valence. Le salaire proposé – cent cinquante mille euros par mois – correspondait aux prix du marché : incohérents et soumis aux effets de mode. Partir, oui, mais… En Espagne ? Chez les Espagnols ? Leur arrogance, leur suffisance, leur réussite, leurs longs cheveux bruns, les bouses d’Almodovar… Tout en eux m’exaspérait ! Le Barça plus que le reste ! Ce club entretenait l’idée mensongère que le collectif supplantait les individualités. Or, il ne valait rien sans Messi. Son jeu, si envié, n’était rien d’autre qu’une longue séance de passe à dix au service de sa majesté. Ses joueurs se voulaient les apôtres d’un football romantique mais ces menteurs vous crachaient dessus si le rendez-vous se déroulait mal. Busquets, Piqué, Pedro, Jordi Alba, Fabregas… Des lycéens de première L qui mettent du GHB dans les verres d’eau ! Ouais, je les détestais vraiment.

Le webmaster du PSG avait résumé ma tournée promotionnelle à Moulins par un émouvant diaporama de treize images récupérées dans la presse régionale et sur le skyblog de Julielol3>, une admiratrice. Le même jour, le sondage IPSOS publié par L’Équipe du 9 avril réserva quelques surprises. 37,3 % des Français habitant en Province disaient avoir une bonne opinion du club. Ce chiffre pouvait paraître faible mais un sondage paru le mois précédent l’avait situé à 18,3 %. Les ouvriers (51,10 % d’avis favorables) constituaient la catégorie socio-professionnelle la plus séduite par nos couleurs, loin devant les cadres supérieurs (30,70 %). Étais-je responsable de cette augmentation ? En tout cas, depuis peu, j’avais enfin droit à des retours vidéo personnalisés. Le staff soulignait mes erreurs et mes courses superflues. On m’accordait également la possibilité d’emprunter plus d’un film par jour à la médiathèque du Camp des Loges. Enfin, j’étais un footballeur comme les autres.

Seulement 25,2 % des 60-69 ans prétendaient soutenir le PSG. Notre service communication passa donc à l’offensive et m’utilisa comme arme de séduction massive. Paris Match m’avait ainsi suivi en train de faire les courses dans un supermarché parisien et j’avais promené mon caddie suivi par un troupeau de vieux pachydermes intrigués. Les plus courageux jetaient un regard dans mon panier, me suivaient dans les rayons, copiaient mes achats puis concluaient l’échange par : « Vous êtes connu ? » Je n’étais que footballeur mais ma réponse illuminait leur journée. J’aidais les mémés à attraper les bouteilles de Vodka placées en hauteur. Elles me souriaient. Ma marque plaisait.

Mettre en rayon un nouveau produit impliquait une prise de risque importante. Le public pouvait le rejeter même si le packaging était séduisant, simplement parce que le nom lui était étranger ; il se tournait alors vers cette valeur sûre dont les réclames vantaient les qualités depuis des années. Il fallait créer continuellement l’évènement afin de capter son attention. Selon le journaliste, j’étais « un personnage Match », dont l’histoire, porteuse d’émotions, dépassait le cadre du sport. Il m’avait conseillé d’avoir un enfant. « Tout le monde aime les enfants, argumenta-t-il. C’est comme les chatons ou les pizzas. » Ne restait plus qu’à convaincre Chiara de poser sur un lit d’hôpital. Une fois papa, j’aurais eu moins de temps pour jouer à Football Manager mais la couverture d’un magazine vendu à six cent mille exemplaires exigeait des sacrifices. C’est ce même raisonnement qui poussa mon agent à accepter les demandes d’interviews de Télé 7 Jours, de Télé-Loisirs, de Ouest France et de Voici, et à refuser celle de So Foot, qui écoulait seulement quarante mille numéros par mois.

Je n’avais pas peur d’agacer en multipliant les opérations de communication. J’avais atteint une telle maîtrise de la mise en scène qu’il m’arrivait, lors des matches télévisés, de tenter une frappe lointaine et désespérée juste pour attirer les caméras. Alors que nous menions au score contre Troyes, j’avais obtenu un penalty pour une faute inexistante. Je l’avais volontairement loupé en expliquant par la suite que tricher m’était impossible. Les spectateurs avaient évidemment adoré. Aujourd’hui, un adolescent qui s’éveille au football regarde un match comme s’il s’agit d’un film de Quentin Tarantino : il s’intéresse seulement aux acteurs principaux et n’a que faire du scénario. Il veut de l’action, un gentil à vénérer et un méchant à siffler. J’avais choisi d’être le gentil. C’était difficilement critiquable.

Une à deux fois par mois, le PSG organisait des rencontres entre joueurs et supporteurs. En échange d’un droit d’exposition sur une durée déterminée, souvent courte, nous nous rapprochions de nos fans. Le plus souvent, nous allions à la rencontre d’équipes amateurs de la région pour donner à leurs jeunes des ballons et des maillots. En contrepartie, nos dirigeants passaient des accords afin de garantir que les meilleurs éléments de ces formations satellites signeront au PSG et non à Lille. Ensuite, les heureux élus venaient au Parc des Princes pour faire le plein de souvenirs. Le vigile du stade leur en confisquait à la sortie mais l’expérience demeurait positive. Depuis peu, j’avais obligation de participer à ces opérations publicitaires. J’étais blanc, aimable, de petite taille. Mon profil rassurait les parents qui hésitaient à emmener leurs enfants au stade.

Conscient de cette force, le PSG m’utilisait comme ambassadeur dans les collèges. Les élèves écoutaient mes mises en garde contre la corruption et les dangers de la drogue en se montrant particulièrement attentifs à ces conférences codifiées par l’Éducation nationale, toute heureuse de trouver en ma personne un témoin magnétique. Quand je demandais à ces gamins quel métier ils souhaitaient faire plus tard, ils me répondaient : « être célèbre. » Ils semblaient me considérer comme un modèle. J’avais tout de même besoin de leur emprunter un joint de cannabis lors des pauses pour les supporter. Dans la cour de récrée, mon regard se fixait irrémédiablement sur ces filles au teint d’ange, gracieuses et aériennes, vêtues de cette simplicité que le monde dénudait peu à peu. Je percevais les prémices de leur chute en voyant défiler les plus grandes dans l’allée centrale, alors arrogantes et fières, seulement concernées par l’image que les autres percevaient d’elles. Le lycée se divisait en clans. Les garçons les plus forts jouaient au foot en ignorant la plèbe étalée sur le bitume. Les buteurs embrassaient les salopes assises sur les bancs ; une main sous le pull, ils consolidaient leur domination. Les collégiens trop moches, gros ou mal habillés restaient sous le préau près de leurs semblables et prenaient des notes. Ce paysage me rendait triste. Il me rappelait le boulot.

Sur Facebook, le jeu concours visant à faire gagner à mes abonnés un maillot dédicacé avait récolté une centaine de réponses en quelques minutes. La simplicité de l’énoncé – « Combien de carrés pouvez-vous distinguer dans cette image ? » – pouvait expliquer ce franc succès. J’avais été à la fois comblé par le taux de participation mais un peu déconcerté, aussi, par l’absence de bonne réponse : le dessin représentant un rond, il s’avéra délicat de départager les candidats. Un neurophysiologiste qui tomberait par inadvertance sur les résultats aurait été tenté de considérer le cerveau humain comme moins élaboré que celui de la tong ou de la palourde. Dans le même cas de figure, les autorités compétentes auraient déclaré la boîte crânienne comme zone inhabitable et les professeurs d’école primaire la juger plus utile comme pot à crayons à offrir lors de la fête des mères. Je préférais mettre les erreurs de mes fans sur le compte d’un goût trop prononcé pour la compétition, celui-là même qui me poussait parfois à tacler un adversaire tardant à effectuer une touche.

« Tu t’attaches trop aux gens, Kevin. Ils n’en valent pas la peine.

– Tu crois ?

– Ce sont des crétins. Préoccupe-toi seulement de ta carrière.

– Je cherche simplement à les comprendre.

– C’est comme pour ton frère… L’an dernier, tu as perdu ton temps à savoir s’il avait joué ou non au PSG. Tu t’es déconcentré.

– Comment tu…  Comment t’es au courant de ça ?

– J’ai mes réseaux. Je sais que tu séché un entraînement pour rencontrer Jérôme Leroy à Évian. Cela aurait pu te coûter cher !

– Il avait des trucs à me dire et…

– On s’en fout ! C’est du passé ! À trop penser à lui, tu n’as plus pensé au foot !

– Ouais… Peut-être…

– Ne laisse pas ta famille te distraire et t’éloigner de tes priorités. Ta mère ne connaît rien à ce milieu. Elle est néfaste pour toi. Enfin… Je ne te demande pas de ne plus lui parler, bien sûr, mais…

– Non, non… Tu as raison.

– Et ton ancien agent… Quel est son prénom, déjà ?

– Medhi.

– C’est un incapable.

– Il a des problèmes de fric.

– Ah oui ?

– Ce n’est pas très clair… À cause du poker, j’ai l’impression…

– Il est venu te voir ?

– Il n’a pas ma nouvelle adresse.

– Mérite-t-il que tu l’aides ?

– C’est un pote, quand même.

– L’est-il toujours ?

– Je ne sais pas…

– Écoute simplement les personnes qui te semblent les plus compétentes. Tu es quelqu’un d’exceptionnel, Kevin. Tu mérites le meilleur. »

J’étais vu comme un héros. Je devais me comporter comme tel pour entretenir l’illusion. Les jours disparaissaient puis montaient au ciel et je me prenais pour le créateur tout-puissant. Mon boulot en possédait toutes les caractéristiques : mythomanie, prétention, omnipotence et omniscience, sentiment d’invulnérabilité après une bonne note dans la presse, sérieux doute sur l’authenticité de ma propre existence (dès que j’ouvrais l’une des pages de ma biographie). Mes actes possédaient-ils une justification ? Le talent, aujourd’hui, ne suffisait pas pour s’imposer dans un grand club. Les bons footballeurs ne manquaient pas. Il fallait multiplier les compétences pour se distinguer de la masse. Il fallait consentir aux sacrifices. Se travestir. S’imaginer à la place du Seigneur et comprendre que s’il s’amusait à provoquer des catastrophes sur Terre, c’était pour échapper à l’ennui.

CDF
Kevin Kohler