La maison des parents d’Anelka s’élevait au sommet d’une colline déboisée. Leur fils leur avait acheté une propriété en Martinique, leur île natale, mais ils préféraient la tranquillité de cet hameau reculé à une dizaine de kilomètres d’Elancourt. Selon la toute dernière biographie non officielle de Norbert, le couple avait ressenti le besoin de déménager dans un endroit plus calme que Trappes après la Coupe du Monde sud-africaine de 2010. Démoli par l’opinion après ses insultes adressées à son sélectionneur à la mi-temps de la rencontre perdue contre le Mexique, Anelka, viré du groupe France en pleine épreuve, avait par la suite récolté dix-huit matches de suspension en sélection. Il venait souvent ici se ressourcer, près de sa famille, de ses potes, loin des journalistes et du mépris.

Sur le chemin, Antoine m’avait raconté leur passé commun. Il avait fait sa connaissance en 1993 à l’INF Clairefontaine, le meilleur centre de formation du pays, situé à 50 kilomètres au sud-ouest de Paris. Maman avait accepté de le lâcher parmi « les fauves » – c’est ainsi qu’elle surnommait les jeunes de banlieue – sur les conseils de papa, désireux de lui fournir les meilleures chances de succès. Mon frère étudiait le matin et s’entraînait l’après-midi. Le week-end, il restait à Paris pour disputer les compétitions espoirs. Le premier mois, en s’attardant dans les couloirs, il était tombé sur Anelka. Lui aussi se sentait un peu perdu, sans ses parents, dans cet univers ultra-concurrentiel. Tout comme lui, il kiffait Éric Cantona et Hristo Stoichkov. Ils s’étaient rapprochés comme ça. Parce qu’ils aimaient le foot et qu’ils déprimaient.

À quatorze ans, Antoine avait su réussir les concours d’entrée de l’INF pour intégrer l’équipe première, composée d’internationaux couvés et déjà idolâtrés, suivis par les émissaires des plus grands clubs européens. Les recruteurs du Milan et de la Juventus se faisaient passer pour des dirigeants d’équipes amateurs d’Ile-de-France afin d’observer, en douce, les gamins à l’entraînement. Lorsqu’ils se déplaçaient, des concours de jongles s’improvisaient. Les adolescents se disputaient les places de titulaires et les adultes se disputaient les adolescents. On n’hésitait pas à draguer les parents avec un maillot ou des promesses de contrat. Quand un jeune prometteur hésitait entre plusieurs clubs, il laissait sa cour le charmer en faisant monter les prix. Il allait au marché, en somme, un marché où il était à la fois l’offre et la demande.

Contrairement à Anelka, Antoine n’avait jamais été international. Là-bas, il eut rapidement l’impression de ne pas être traité comme les stars du groupe. Un jour, critiqué par un entraîneur pour un retard minime, il s’énerva si fort qu’il en déchira son maillot. À partir de là, me dit-il, il paya pour les autres. Chaque semaine, un gars tiré au sort devait nettoyer les chiottes. Cela tombait toujours sur lui. Anelka, par contre, arrivait toujours par s’en sortir. Il avait beau fumer ou rouler sans permis de conduire, monsieur Dusseau, le directeur, lui pardonnait tout.

En 1993, les centres de formation n’étaient pas encore devenus des centres de formatage. La France n’avait pas remporté la Coupe du Monde et la FFF ne menait pas une politique de quota discriminatoire envers les adolescents de petite taille. Tout le monde avait sa chance, Antoine autant qu’un autre. Il s’agissait d’un combat profondément égalitaire, une prime au courage et à l’obstination. On empêchait les rivaux de dormir en pétant toute la nuit, on leur volait leurs vêtements, on trichait pendant les examens. Ces marques d’indiscipline permettaient de montrer aux autres que vous n’étiez pas faible. Durant les matches opposant les blancs aux noirs, le résultat final importait moins que de prendre le dessus sur son adversaire direct. Antoine attirait l’attention en se frottant à des gars bien plus costauds que lui. Pour un microbe auvergnat, humilier d’un petit pont un colosse aux muscles surdéveloppés avait valeur d’exploit.

Dans cette jungle, tout pouvait s’arrêter du jour au lendemain. Mon frère se souvenait d’étoiles ayant explosé comme des supernovas après une blessure ou une mauvaise rencontre. Sébastien Pendola – « Ce mec pouvait jongler avec une balle de tennis tout en jouant au tennis » – n’avait jamais évolué plus haut que le CFA et s’éteignait aujourd’hui à La Garenne-Colombes. Un autre prodige de la promo, Michaël Pizzo, tenta sa chance en Écosse, à Kilmarnock, avant de retrouver la France dans des communes sans boulangerie, à Grenoble, Avranches, Poissy. Après un début de carrière prometteur au FC Nantes, l’attaquant Alioune Touré joua quelques rencontres au PSG puis entama une longue descente vers l’anonymat, à Guingamp, à Leiria, au Portugal, aux Émirats Arabes Unis puis à Chypre. En sortant de l’INF, Antoine intégra, tout comme Anelka, la réserve du PSG.

L’ancien attaquant des Bleus le reconnut immédiatement. Il ne l’avait pourtant pas vu depuis environ seize ans, à quelques jours près. « Tu viens pour la meuf ? » demanda-t-il. Oui, nous étions venions pour ça. À l’arrière de la bâtisse, sous une petite terrasse protégée par un auvent, Antoine a commencé à me parler d’elle. « Un soir, en retournant chercher mes affaires dans le vestiaire, j’ai trouvé Nico en train d’embrasser une fille qui me plaisait. Elle supportait le club. Je l’avais repérée le premier. Elle était à moi, quoi. Et lui, peinard, il lui pelotait les nibards… Il… me foutait la rage. Alors, je l’ai frappé. » Anelka l’écoutait fébrilement et appuyait chacune de ses phrases en marmonnant dans sa barbe. « Tu pissais tellement le sang que t’es allé te plaindre à Denisot ! Comme un gamin ! La honte, putain… Le président m’a convoqué le lendemain pour me virer. T’étais son chouchou. Je ne pouvais rien faire. » Ainsi, mon frère n’avait pas tabassé une journaliste. Il avait cassé la gueule d’un coéquipier, alors grand espoir du club, à cause d’une histoire de cul. « Je n’ai pas cherché à retrouver une autre équipe. Les présidents se seraient renseignés, ma réputation aurait joué contre moi. » J’avais froid, Leonardo m’avait menti et j’ignorais pourquoi. Je me sentais honteux de l’avoir cru. En tournant la tête, j’ai aperçu une femme et un homme d’une soixante d’années qui se tenaient debout près du tuyau d’arrosage. Ils se signalèrent en toussant. Aussitôt, d’un seul bond, Anelka se leva. « C’est un pote de Clairefontaine, maman. Il passait dans le coin. » Son père mangeait un morceau de gâteau. On fêtait un anniversaire.

21 commentaires

  1. iPee dit :

    Mais c’est terriblement triste ça.

  2. bob dit :

    pouatate!

  3. dashgami dit :

    C’est magnifique…

    L’histoire ne dit pas si cette meuf n’est pas tout simplement, comme je le crois deviner, Estelle Denis…

  4. Blingice dit :

    Moins drole que les précédents. Dommage.

    Pas de petit mot sur la rouste prise à Nice ? 😀

  5. Patate dit :

    Comment ça Poissy sans boulangerie ? On en a plein des boulangeries !

  6. Romain dit :

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  7. Luke Seafer dit :

    Terribles révélations.
    Et bel épisode.

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Kevin Kohler