Jérémy Menez connut un sommeil agité après la défaite contre Saint-Etienne. De retour du Parc, il avait essayé une nouvelle coloration pour sa mèche qui s’était révélée décevante. Le lundi matin, il alla voir le coach pour lui signifier qu’il ne se sentait pas en état de s’entraîner. Ancelotti l’ignora. Dans les autres clubs, l’entraîneur devait être autant tacticien que psychologue. Carlo Ancelotti n’était ni l’un, ni l’autre. Un homme pouvait bien lui paraître médiocre, capable de doubler des petites filles dans la file d’attente du McDo et de rouler en 4×4 en centre-ville : s’il excellait à l’entraînement, sa place au PSG se justifiait. Cela me convenait.

Je n’avais connu jusqu’alors que des managements honnêtes. A l’AS Moulins, José prônait une franchise assumée dans les rapports humains. Il déclamait le onze du prochain match en prenant toujours soin de se justifier auprès des remplaçants. Il les traitait  »d’ivrognes puants’’ ou  »de feignasses alcooliques’’ puis en venait à la mise en place tactique. J’étais souvent titulaire, bien que moi-même peu réceptif à l’effort. Simplement, en fonction des accidents de la route, le faible nombre de joueurs disponibles empêchait José de me reléguer sur le banc.

Ancelotti n’aimait pas annoncer les mauvaises nouvelles. Il préférait vous rencontrer à part, en individuel, au hasard d’un couloir ou dans les toilettes. S’il pissait en vous souriant, votre présence au match était acquise. S’il se perdait en encouragements quelconques en trouvant des façons détournées d’expliquer combien la concurrence était rude et l’urinoir placé trop haut, ce n’était pas bon signe. S’il pissait dans le couloir non plus. Il vous mentait pour son bien.

L’entraînement avait tout juste commencé quand Mamadou Sakho prit soudain la parole, visiblement perturbé par le laxisme général. Pour faciliter la compréhension, j’ai préféré vous traduire les répliques du dialogue suivant.

Mamadou Sakho

 »Alors coach, vous avez parlé de son carton rouge à Zlatan?’’ (Vous vous êtes encore fait dessus?)

Carlo Ancelotti

 »Oui.’’ (Non)

Mamadou Sakho

 »On joue comment contre Zagreb, du coup?’’ (Vous avez prévu un plan B?)

Carlo Ancelotti

 »Je suis en train d’y réfléchir. (Je suis dans une putain de merde). De toute façon, cette défaite n’est pas dramatique. Nous sommes toujours premiers.’’ (Je me suis réveillé avec la tête de Calisto VI dans mon lit, un cheval qui appartient à l’émir)

Gregory Van der Wiel

 »Ouais! (Contre qui on a joué ce week-end, au fait?) L’important, c’est la Ligue des Champions.’’ (Ma mère a pleuré quand elle a su que j’avais signé en Ligue 1)

Carlo Ancelotti

 »Exactement.’’ (Quel est le nom de ce joueur, déjà?)

Mathieu Bodmer

 »Le coach a raison!’’ (Vivement midi, il y a des patates douces à la cantine)

Guillaume Hoarau

‘’Sinon coach, vous avez pensé quoi de notre prestation?’’ (Sinon coach, vous avez pensé quoi de ma prestation? Il est beau mon but, hein?)

Carlo Ancelotti

 »Votre prestation? (Si je les critique, ils me feront la gueule. Si je félicite Hoarau, les autres attaquants vont m’en vouloir. Si je leur parle de ma nouvelle voiture, ils vont savoir que je me fous de leur gueule. Vite, prenons un gars au hasard que tout le monde aime bien) Tu as été parfait, Zoumana. (J’espère que c’est bien lui, je le confonds toujours avec Matuidi)

Zoumana Camara

 »J’étais même pas sur le banc, coach. (Il doit encore me confondre avec Matuidi)

Carlo Ancelotti

 »Tu… euh… Je t’ai vu encourager l’équipe des tribunes quand elle était menée. (Plus c’est gros, plus ça passe)

Zoumana Camara

 »Vous plaisantez? J’ai même prié pour que Sakho se fasse expulser afin d’avoir une chance de jouer! (Euh… Je n’aurais peut-être pas du dire ça)

Carlo Ancelotti

 »Et sinon, je vous ai montré ma nouvelle voiture?’’ (Arrivé sur le parking, je démarre et je me casse)

L’enchaînement des rencontres m’offrait du temps en jeu en championnat mais mon rêve s’écrivait en lettres dorées sur les panneaux publicitaires de la Ligue des Champions. Comment vous expliquer? C’était comme dormir dans la chambre d’une fille mais sur un matelas posé au bas de son lit. Le coach connaissait mon impatience. Il me demandait d’attendre. J’en étais capable. Au lycée, j’avais attendu six mois avant de conclure avec Annabelle. Elle n’était pas très jolie, pas franchement futée. Je me servais de son appareil dentaire pour éplucher mes pommes. On se contente de bien peu quand on est jeune.

Mon but contre Reims – contrôle du droit, coup d’œil rapide, tir croisé à l’entrée de la surface, balancement grotesque des bras pour fêter ça – témoignait de mes progrès. 90minutes.fr me consacrait un papier par semaine, souvent le même, d’ailleurs : cinq lignes d’une biographie dénichée sur Wikipedia et cinq autres de digression sur le prochain match du PSG, entrecoupées par une publicité pop-up sur une mutuelle santé me rappelant qu’à la moindre blessure tout pouvait s’arrêter. Chaque jour, je recevais sur Facebook les photos et coordonnées de filles prêtes à tout pour sortir avec un footballeur ; une ébauche à la débauche. Un soir, j’ai passé plusieurs heures à comparer leurs profils à l’aide d’un tableau Excel avant de finalement jeter l’éponge, exaspéré par la complexité du logiciel. Sans surprise, j’ai découvert en traînant un peu plus tard sur le net que l’augmentation des ventes d’Excel en Europe coïncidait avec la diminution du taux de fécondité.

Je me méfiais autant des compliments de ces chasseresses que de ceux de mes coéquipiers. Le soir du match face à Reims, alors que nous nous rhabillions dans le vestiaire, Pastore me porta un toast. Quelques heures plus tôt, planqué derrière son siège dans le bus, je l’avais pourtant entendu dire à son pote Sirigu qu’il fallait me ‘’neutraliser.’’ Il avait peur que je lui pique sa place. Alors, le misérable volait du fromage au self pour me le glisser dans mes chaussures quand je me douchais. En retour, je le trainais sous l’eau froide. Sirigu rigolait sans lui prêter assistance.

Le club vous apprend à vous méfier de la presse. Il ne vous apprend pas à vous méfier des joueurs.

Pastore continuait malgré tout à me complimenter publiquement, sans doute pour calmer le jeu ; Ancelotti lui ayant reproché son comportement puéril.  »Joli tir, Kevin’’ (J’aurais marqué si tu m’avais fait la passe),  »Joli but, Kevin’’ (J’en aurais marqué deux si tu m’avais fait la passe),  »Jolie ta copine, Kevin’’ (Je l’ai baisée la semaine dernière, celle-là), voilà le genre de déclarations d’amour qu’il m’adressait. Il mentait aussi lorsqu’il disait que Paris était son club de cœur. Il avait eu une attaque cardiaque en découvrant le salaire proposé, c’est tout. La vie au PSG n’était que supercherie et ressemblait aux roman-photos que lisait maman.

Dernière semaine de septembre. J’accompagnais Lavezzi au Forum des Halles quand Nene, invité par l’Argentin à notre petite promenade, voulut entrer chez Uranium Sport. Il s’acheta un sweat Emporio Armani soldé à 80 euros et une ceinture Diesel à 110 euros. En avançant vers la caisse, il s’arrêta devant un pantacourt Redskins à 69,90 euros et me demanda mon avis sur l’objet. Je répondis tout naturellement que si l’espèce humaine avait survécu à deux guerres mondiales, ce n’était pas pour porter ce genre de vêtement. Nene insista pourtant pour me l’offrir.  »Tu déconnes! T’as aucun goût. Fais-moi confiance.’’  »Sérieux, il t’irait bien. ’’  »Laure Boulleau aime bien ceux qui en portent.’’ Le dernier argument me fit céder puis ce fut au tour du rideau de la cabine d’essayage. Nene tira dessus violemment, prit une photo éclair avec son téléphone portable et partagea le butin avec son répertoire. La photographie volée était rapidement devenue le principal sujet de conversation du Camp des Loges.

Trois jours plus tard, Zlatan débarqua lui aussi en pantacourt et les moqueries sur le sujet s’arrêtèrent.

J’avais eu le malheur d’avouer en public mes penchants amoureux pour Laure Boulleau, à nouveau célibataire. Quand elle passait près du terrain numéro 2, Chantôme agitait sa main en prenant une voix très efféminée puis se lançait dans des simulations d’orgasmes très appréciées du groupe. Enfin, il creusait un trou dans le sol, baissait son short et mimait l’autruche. Je finis par craquer et l’interceptai sur le parking.

Elle accueillit ma proposition de ‘ »déjeuner à deux, enfin rien que tous les deux, quoi, tout à l’heure, où tu veux, mais si possible loin d’ici après voilà c’est comme tu le sens’’ avec gêne. Elle me répondit vouloir  »faire une pause avec les mecs’’ puis elle me laissa en plan. Le soir-même, alors qu’un préparateur physique célébrait son anniversaire dans la salle de repos du Camp des Loges, je vis Zlatan poser une main sur son épaule.

8 commentaires

  1. dashgami dit :

    ….
    Le Goncourt pour Kohler.
    Un point c’est tout.

  2. Leblogdevern dit :

    Kevin Kohler ou l’élégance de la désespérance…

  3. C. Moa dit :

    Belle moustache Kévin !
    Au top dès les premières lignes. Quant à Zlatan, il ose toucher Laure alors qu’elle veut faire une pause avec les mecs… Ah, on me dit que Zlatan n’est pas un mec comme les autres !

  4. McCaw dit :

    Gigantesque !! (A mettre en capitales, comme pour une Une de l’Équipe…)

    Je ris aux larmes bon sang avec ce détournement de roman-photo, et les vannes sont à l’avenant…

    Kevin Kohler for president ! Il battrait Barack Obama (bien que ce soit à la portée d’un vague Mormon friqué…).

  5. Thon0389 dit :

    Nichtouille

  6. KoR dit :

    Excellent !

    Sauf un footballeur qui utilise excel, faut pas pousser. Que Kevin ait un cerveau normal, c’est déjà la limite de la science-fiction, mais avec excel, on navigue vers l’utopie !

  7. Bobby dit :

    Très bon! Merci

  8. ali ft dit :

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CDF
Kevin Kohler