La Machine céleste du Real Garcilaso
Invité surprise de la Copa Libertadores moins de quatre ans après sa création, la nouvelle place forte du football péruvien intrigue par sa trajectoire hors-normes.
Le 9 mai dernier, le Real Garcilaso se qualifiait pour les quarts de finale de la Copa Libertadores [1]. Les supporters péruviens attendaient un club national à ce niveau depuis 1997, année où l'Alianza Lima avait atteint la finale. Comment ce club est il arrivé parmi les huit meilleures équipes sud-américaines en si peu de temps?
Né un 16 juillet
L'histoire décrit ce club comme ayant été créé par des anciens élèves du Collège Garcilaso de la Vega, mais on est en réalité loin du projet de quelques passionnés. L'initiative en revient à Julio Vásquez Granilla, ancien élève du collège qui a fait fortune en développant l'entreprise familiale d'artisanat Julio´s export and import SA, avec des exportations sur tout le continent sud-américain, et notamment au Mexique. Après quinze ans passés au Distrito Federal, l'envie de gérer un club de football, comme de nombreux entrepreneurs mexicains, lui vient en tête. Son père, Julio Vásquez Cárdenas, le pousse à investir à Cuzco, d'où la famille est originaire.
Historiquement, le football de la Cité Impériale se partage entre les équipes de deux collèges: les Rouges du Cienciano représentent le Colegio Nacional de Ciencias, tandis que le Deportivo Garcilaso porte les couleurs du Colegio Inca Garcilaso de La Vega. La réussite des deux clubs n'a pas été la même au cours du temps: le Cienciano s'est imposé comme une valeur sûre de la première division [2], tandis que le Deportivo Garcilaso végétait dans les divisions inférieures.
La famille Vásquez décide donc de monter un groupe d'investisseurs regroupant des amis d'études du fils lorsque celui était étudiant au collège Garcilaso afin d'essayer de racheter un club. Devant les refus du président de Cienciano, puis de celui du Deportivo Garcilaso, la décision d'en fonder un nouveau est prise: le Real Atlético Garcilaso naît le 16 juillet 2009. Le club opte pour les couleurs bleu ciel de l'université, qui sont les mêmes que leurs désormais rivaux du Deportivo Garcilaso. Le comité directeur est composé de membres de la famille Vásquez et d'amis de l'université. Julio Vásquez Granilla est ainsi nommé président, son père est directeur sportif, l'ami et directeur d’hôpital Wilber Cárdenas devient le vice-président.
Des idées, et du Petróleo
Le Real Garcilaso entame son parcours sportif au plus bas de l'échelle péruvienne en deuxième division de district par un titre avant, en 2010, de gravir un à un les échelons. Ses bons résultats lui permettent de passer les tours de la Copa Perú, système de promotion relativement exclusif au championnat péruvien. Cette Coupe fait s'affronter tous les clubs des divisions non-nationales du Pérou, dans différentes poules dont les meilleures équipes intègrent la division supérieure. Après l'étape régionale, une coupe avec match par aller-retour fait s'affronter les meilleures équipes régionales. Dans une fédération avec seulement deux divisions nationales, le vainqueur de la Copa Perú accède directement à la Première division tandis que le finaliste malheureux se retrouve en Segunda. Dès 2010, les Celestes arrivent à l'étape nationale de l'épreuve, et se font éliminer en quart de finales par le Sportivo Huracan. De ce parcours commencé tout en bas de l'échelle, le club obtiendra de son surnom: la Máquina Celeste (la Machine bleu ciel).
La transition 2010-2011 est importante pour le club: aidé par ses fondateurs et financiers, l'équipe recrute des joueurs rompus aux matches de première et deuxième divisions, ainsi que l’entraîneur Fredy Petróleo García. La formation finit première de sa poule de Copa Peru, et après avoir sorti l'équipe des mineurs de l'Orcopampa en huitième de finales, prend sa revanche en quart sur l'équipe du Sportivo Huracan. Les demi-finales la voient se qualifier difficilement pour la finale où elle affrontera Pacifico FC. Après une victoire 3-1 dans son antre de Cuzco, la défaite 1-0 à Callao lui permet d'accéder à la Primera División.
"Méthodes modernes de pressing"
L'intersaison est agitée au niveau national: de nombreux clubs historiques connaissent des difficultés financières, dont le rival local du Cienciano, et le début de saison est menacé (lire "L'infortune du Pérou"). Le Real Garcilaso fait figure d'exception: les résultats financiers sont bons, les dirigeants sont prêts à investir pour renforcer l'équipe et le recrutement permet de créer un groupe compétitif en qualité et en quantité pour réaliser une saison satisfaisante. Fredy García est conforté au poste d’entraîneur et se voit accorder une grande liberté pour mettre en place son projet, qui se base notamment sur sa thèse en Méthodes modernes de pressing dans le football. L'équipe développe deux projets de jeu: à domicile, en profitant des 3.400 mètres d'altitude de Cuzco, l'équipe pratique un football offensif avec un pressing qui asphyxie littéralement les équipes visiteuses. À l'extérieur, l'équipe joue en contre en s'appuyant sur la vitesse de ses petits gabarits pour se projeter rapidement vers l'avant.
Et cela fonctionne: la saison 2012 du Campeonato Descentralizado voit le Real Garcilaso terminer deuxième de la saison régulière, en étant notamment invaincu à domicile, avec vingt victoires et seulement deux matches nuls. La finale se joue notamment par aller-retour contre le Sporting Cristal et ses quinze titres de champion. Le match aller à Cuzco, au stade Inca Garcilaso de la Vega qu'ils partagent avec le Cienciano, voit leur première défaite à domicile de la saison 1-0, résultat qui se répétera la semaine suivante à Lima.
Liberté pour l'entraîneur
Le Real Garcilaso, en tant que vice-champion, est donc qualifié pour la Copa Libertadores 2013. Le meilleur buteur du championnat Andy Pando s'envole pour l'Espagne, et le recrutement est confié à García qui part au Paraguay chercher des joueurs s'intégrant à son équipe. Et après avoir impressionné le Pérou, l'équipe va surprendre au niveau continental et se qualifier pour les huitièmes de finale avec le second meilleur total pour un deuxième de groupe. Le huitième aller a lieu le 25 avril à Cuzco, contre le Nacional Montevideo, de cent-dix ans son aîné. Le Real s'impose 1-0 sur un but de la tête de son défenseur central paraguayen Bogado, et rate de nombreuses occasions de creuser l'avantage. Le retour, le 9 mai, chez le champion en titre uruguayen, s'annonce difficile et les locaux reviennent à égalité en début de deuxième période. Le Real tient bon lors des prolongations et lors de la séance de penalties, Álvaro Recoba rate son premier tir. Aucun Péruvien n'échouera, et la Máquina Celeste se qualifie pour les quarts de finale.
Quelles sont les raisons d'un tel parcours? Le contexte national et les difficultés des autres clubs ont certes facilité l'ascension, mais ne suffisent pas à l'expliquer. La raison principale semble résider dans le professionnalisme du club. Il est ainsi un des seuls au Pérou à posséder son propre siège, la Casa Celeste, où l'on peut trouver des salles de préparation physique, de réunion, de préparation tactique... Les comptes sont bien gérés, mais sans sous-estimer l'importance des sommes investies, le budget est inférieur à de nombreux rivaux du pays. Enfin, la liberté donnée à l’entraîneur par le club permet la mise en place d'un projet de jeu associé à un recrutement choisi par ce même coach. Cette stabilité est l'exception dans un championnat habitué aux nombreux changements d'effectif et de staff.
Bien parti dans le championnat 2013, le club se positionne progressivement sur la scène nationale et continentale comme une valeur sûre. Il faut du temps à une équipe pour se forger une identité propre, que ce soit avec son logo, fortement inspiré du Real Madrid, ses légendes, son supportariat. Il sera intéressant de voir comment cette équipe, ses dirigeants et son public affronteront les premières difficultés et échecs, ainsi que le possible départ de Petróleo García, que les rumeurs envoient régulièrement à la tête de la sélection péruvienne.
[1] Le club a été éliminé en quart de finale par Santa Fe (1-3; 0-2).
[2] Un Torneo de Apertura, deux Torneo de clausura et seul club péruvien à avoir gagné une coupe continentale avec la Copa Sudamericana en 2003 et la Recopa Sudamericana en 2004.