Palerme, la fin des années roses
Relégué en Serie B, le club qui a révélé Pastore, Cavani ou Sirigu voit s'achever une période faste et fastueuse pour lui, dans une Sicile en plein renouveau footballistique.
Douze mai 2013, le déjeuner dominical des tifosi palermitains, déjà perturbé par l'étrange horaire du match de leurs protégés à Florence, est gâché par l'une de leurs ex-idoles. Luca Toni, sorti de sa préretraite émiratie pour un dernier défi avec le club qui l'a fait star, marque le but qui fait replonger à l'étage inférieur le club avec lequel il a accédé à la Serie A. Si ce match lourd de symboles officialise la descente de Palerme, les Rosaneri s'y attendaient depuis quelques temps. La saison 2012/13 aura été pour eux une longue souffrance, débutée avec un seul point acquis au terme des cinq premières journées. Cette fois, les changements d'entraîneur à répétition et un mercato d'hiver agressif n'auront pu faire de miracles pour le club du président Zamparini, malgré un sursaut d'orgueil en fin de saison.
Cette relégation marque la fin d'un cycle, de neuf années de présence dans l'élite, de la période la plus faste pour le calcio dans la capitale sicilienne. Si les racines de l'USC Palermo datent de 1900, le club a longtemps été moins connu pour ses faits d'armes que pour son inhabituel maillot rose et noir. La légende veut qu'il s'agisse du souvenir d'un match sous la pluie ayant fait déteindre l'originel maillot rouge et bleu. Selon une autre interprétation, ces couleurs symbolisent l'alternance de joie et d'amertume dont est fait le football. Quoi qu'il en soit, les joies s'étaient faites rares pour Palerme, qui n'avait plus passé trois saisons consécutives en Serie A depuis 1953, et plus aucune depuis 1973. Mais le club a prouvé au cours de la dernière décennie être capable d'y jouer les premiers rôles, et ne pas se contenter de passages éphémères avant de reprendre l'ascenseur. Avec trois cinquièmes places, cinq qualifications pour la C3 (Coupe UEFA puis Europa League, avec pour meilleur résultat un huitième de finale en 2006) et une finale de Coupe d'Italie (perdue contre l'Inter en 2011) sur la période, Palerme était devenu un club qui compte – au moins à l'échelle nationale.
Les tifosi rosaneri au Stadio Olimpico, finale de coupe 2011 (cc Wikimedia Commons)
L'ascension du Palerme de Zamparini
Cette indiscutable réussite correspond à la présidence de Maurizio Zamparini. L'entrepreneur frioulan aux méthodes controversées a acheté en 2002 un club qui naviguait entre Serie B et C1. Il n'a pas hésité à afficher ses ambitions et a obtenu les résultats recherchés, en premier lieu avec Francesco Guidolin qui a emmené les Rosaneri en coupe d'Europe pour leur première saison dans l'élite. Cela n'a pas empêché l'impatient Zamparini de virer son technicien aux premières contrariétés, pour le rappeler ensuite, ouvrant un bal d'entraîneurs qui a valu sa réputation et son surnom de mangiallenatori.
Durant cette période de succès, les habitués du Renzo-Barbera ont vu passer de nombreux joueurs de très grand talent. L'équipe s'est d'abord appuyée sur un noyau de jeunes Italiens et ses résultats ont propulsé certains d'entre eux en équipe nationale: les champions du monde 2006 Fabio Grosso, Cristian Zaccardo, Andrea Barzagli, et bien sûr Luca Toni, étaient des piliers de l'historique saison 2004/05. Par la suite, le club a pérennisé sa réussite par un recrutement bien pensé. D'une part, il a fait venir des talents émergents, aussi bien d'Amérique latine (Edinson Cavani et Javier Pastore pour les plus fameux) que de championnats européens méconnus, (Simon Kjaer ou la "filière slovène"). D'autre part il a pêché à bon escient en Italie, en réussissant à attirer des valeurs sûres de Serie A (Fabio Simplicio, Mark Bresciano, Fabio Liverani...) et en en révélant d'autres (Antonio Nocerino, Federico Balzaretti, Salvatore Sirigu...).
Un cercle vertueux s'est ainsi enclenché, sur le modèle de l'Udinese, dans lequel la revente de joueurs permet de réaliser de nouveaux investissements. Néanmoins, ce cycle s'est essoufflé, en particulier à cause du départ du directeur sportif et réputé découvreur de talents Walter Sabatini, qui a démissionné fin 2010 pour divergence de vues avec Zamparini. Il fait désormais profiter de son flair la Roma, tandis que Palerme voit arriver des recrues pas toujours à la hauteur de leurs devancières.
Fabrizio Miccoli, capitaine et bandiera du club.
La bataille de Sicile
La décennie écoulée a non seulement été celle des Rosaneri, mais aussi de tout le football sicilien, qui n'avait jamais été à pareille fête et a pu vivre des derbies enflammés. Palerme a d'abord été accompagné dans l'élite par Messine, qui n'avait connu ce niveau que brièvement dans les années 50. Les Giallorossi (qui jouaient également un "derby du détroit" contre la Reggina) ont accroché une brillante septième place en 2005, avant d'être sauvés de la descente par la relégation de la Juventus dans l'affaire Calciopoli l'année suivante. Si cela ne leur a donné qu'une saison de répit, la Sicile aura ainsi vu pendant un an trois de ses représentants en Serie A.
En effet, Catane est venu rejoindre ses voisins, après avoir souvent ferraillé avec eux dans les divisions inférieures. Les Rossazzurri avaient un passé plus riche dans l'élite, avec plusieurs passages entre les années 50 et 80, mais ils étaient repartis des rangs amateurs pour raisons financières en 1993. Leur ascension a donc été spectaculaire, mais leur première saison en Serie A a été compliquée, entre autres pour des débordements (à l'occasion précisément d'un derby contre Palerme) ayant coûté la vie à un policier et presque un demi-championnat à huis clos et sur terrain neutre au club. Néanmoins, le Calcio Catania s'est depuis solidement installé en Serie A, appuyé sur quelques vieux briscards du championnat et une impressionnante colonie argentine. Il vient même de boucler la saison dans la première moitié de tableau, pour la première fois depuis les années 60.
Le leadership régional a donc basculé en faveur du club à l'éléphant. Pour le lui disputer, Palerme va devoir se livrer à une nécessaire et douloureuse reconstruction, mais Zamparini ne semble pas vouloir lâcher son club. À cause du salary cap récemment imposé en Serie B, il devra se débarrasser de beaucoup de ses gros salaires, et des quelques joueurs qui ont réussi à briller cette saison et attirent l'attention de clubs de haut de tableau. En premier lieu Josip Ilicic, qui a retrouvé la régularité qu'il avait perdue depuis le départ de son alter ego Pastore. En revanche, Palerme souhaite conserver ses dernières perles sud-américaines, le jeune Argentin Paulo Dybala et l’Uruguayen Abel Hernandez, qui devait prendre la succession de Cavani mais dont le talent n'a pu s'exprimer que par intermittences en raison de blessures récurrentes.
Cette opération remontée a été confiée à l'entraîneur débutant Gennaro Gattuso, recruté pour secouer une équipe en plein doute. "La Serie B n'est pas un enfer", a dit le président, mais Palerme est au moins condamné à un an de purgatoire.
Les clubs siciliens, d'honorables sociétés?
Qui dit Sicile dit Mafia, donc qui dit football sicilien dit clubs infiltrés par Cosa nostra. Le raccourci est facile mais erroné, l'USC Palermo et les autres clubs professionnels italiens semblant préservés de ce type d'influences. Cela n'empêche pas certaines individualités, notamment parmi les joueurs, d'être inquiétées pour des fréquentations suspectes. Le cas le plus récent est celui de l'emblématique Fabrizio Miccoli, pour qui la relégation du club s'est doublée d'une mise en examen en raison de ses liens avec la famille d'un boss palermitain.
En revanche, les échelons semi-pros et amateurs du foot sicilien ont connu plusieurs affaires mettant en cause des capimafia locaux qui auraient volontiers utilisé certains clubs comme couvertures ou pions de luttes d'influence. Cela a notamment conduit à la dissolution de la Juveterranova de Gela et plus récemment de deux clubs d'Agrigente.