Du canular ou du cochon ?
Prise pour argent comptant par Chronofoot, la dernière dépêche ATP a ajouté une ligne au palmarès de notre agence de presse virtuelle, dont les pièges fonctionnent décidément trop bien...
Le tableau de chasse de notre Agence Transe Presse s'est donc honoré d'un nouveau trophée avec la reprise, par Chronofoot hier soir, de "l'information" selon laquelle le collectif de hackers baptisé Anonymoussilou allait révéler le classement des 50 journalistes sportifs les mieux payés (voir ici l'article qui a été mis hors ligne très vite après les premières réactions sur Twitter).
Dans le panneau
La première prise de l'ATP avait été L'Équipe magazine, qui avait repris en brève la découverte que le Stade de la route-de-Lorient était construit sur un ancien cimetière indien (CdF #13, février 2005). quelques mois plus tard, elle a convaincu le site du quotidien sportif que Fabrice Fiorèse avait vraiment quitté son club d'Al-Rayyan pour le rival national El-Arabi le 31 août au soir (lire la dépêche). La collision la plus rude avec la réalité s'est produite quand, quelques jours après la parution d'une dépêche ATP imaginant qu'un footballeur croate trouvait la mort après avoir percuté un panneau publicitaire... un footballeur croate avait trouvé la mort après avoir percuté un panneau publicitaire (lire ici).
La dépêche ATP prend le ton et la forme des dépêches d'agence et elle joue sur la plausibilité de l'information révélée: crédible à 90%, elle devrait toutefois être discréditée par les 10% restants de clins d'œil appuyés, de calembours grossiers et d'énormités diverses. C'est sans compter sur la lecture en diagonale et des tendances contemporaines comme la consultations d'articles sans prendre garde à la source, leur circulation loin de cette source (sur les réseaux sociaux en particulier), ou la spectacularisation de l'actualité. Peu importe l'invraisemblance du sujet: la force d'une rumeur ou d'un hoax réside dans l'envie qu'on a d'y croire, indépendamment de sa crédibilité.
Pièges de cristal
Poisson d'avril non daté, la dépêche ATP est un piège tendu et il ne faut pas s'étonner qu'il fonctionne... en piégeant non seulement le lecteur distrait ou candide, mais aussi ceux qui vont imprudemment reprendre l'information sur d'autres médias, parachevant le canular. Parodie de journalisme, l'ATP trompe certains journalistes... [1] Les effets de chaîne aggravent les risques. Récemment, un article de sofoot.com s'est fait l'écho de propos de Sepp Blatter préconisant le port de tenues sexy dans le football féminin. Ces propos datent en réalité de janvier 2004, mais l'information postdatée a circulé d'un blog à l'autre en passant par un site d'information.
Une fois disséminée sur les réseaux sociaux, l'information est difficilement rattrapable. La semaine dernière, après la défaite de Paris à Marseille, un journaliste facétieux a retweeté avec une semaine de retard l'information selon laquelle Carlo Ancelotti remplacerait Antoine Kombouaré dès le mardi suivant, déclenchant un début de contagion (et semant probablement la panique dans certaines rédactions). La blague consistant à utiliser à retardement un média d'actualité pure a le mérite de mettre le doigt sur une faille.
Il ne s'agit pas ici de se gargariser de la "réussite" d'une dépêche ATP, petit jeu délibérément ambigu, ni de fustiger particulièrement le média qui, cette fois-ci, est tombé dans le panneau. En revanche, l'expérience confirme que si des erreurs, des rumeurs et des canulars sont aussi facilement pris ou présentés comme des informations, c'est surtout parce que la course au trafic comme seul modèle économique a conduit la majeure partie des sites spécialisés à débiter de la news pour faire des pages vues, avec une légèreté devenue usuelle quant à la vérification (et la citation) des sources.
[1] Dans un genre proche, on se souvient de l'affaire Borisio Ferrara, joueur inventé sur un forum de supporters dont le transfert à Saint-Étienne avait été évoqué jusque dans les colonnes de France Football.